Cheval Magazine

Audrey Larcade «J’étais obsédée par la compétitio­n, je voulais devenir une championne»

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A34 ans, la gérante de écu-ries Ryan’s Farm, à Ury en Seine-et-Marne (77), essaie de se reconstrui­re après avoir été victime de violences sexuelles de la part de son entraîneur pendant plusieurs années. Après un long silence, la cavalière se confie pour la première fois en 2013 auprès d’une amie, qui aurait elle aussi subi des gestes déplacés de la part dudit entraîneur. Une informatio­n judi-ciaire est ouverte, mais l’enquête préliminai­re se solde par un classe-ment sans suite en 2014. Finalement, après toutes ces années, Audrey Lar-cade a décidé de ne pas en rester là.

Cheval Magazine : Pourquoi avez-vous eu envie de reprendre le combat aujourd’hui ? Audrey Larcade : Le classement sans suite nous (elle et son amie Julie Baudouin, ndlr) a un peu dégoutées. Dans un premier temps, on a laissé tomber. On avait nos vies à faire, j’étais en train de me marier, j’allais avoir mon 2e enfant, ma structure commençait à démarrer, j’ai fait le choix de m’occuper de ma famille.

Et puis, cette année, quand les relations sexuelles ont commencé à être dénoncées dans le sport, notamment avec l’aff aire de Sarah Abitbol, cela nous a fait un choc. On a pris la décision de relancer le combat. La lettre d’Amélie Quéguiner (qui a révélé avoir été violée et agressée par son moniteur et deux autres encadrants dans les années 1980, ndlr) à Serge Lecomte, le président de la FFE, a conforté notre choix.

CM : Où en êtes-vous à présent ?AL : J’ai été auditionné­e par Jeu-nesse et sport, le mis en cause doit être auditionné le 13 octobre. Une commission doit ensuite se tenir d’ici la fi n de l’année pour décider d’une sanction : six mois d’arrêt sans exercer, un arrêt total d’exercer ou rien, au fi nal trois options. Puis ce sera au tour de la justice de tran-cher, deux enquêtes sont menées en parallèle. S’il n’a aucune sanction, on continuera de se battre ! Nous, on ne peut plus nous protéger mais il faut protéger les autres mainte-nant. J’ai bon espoir car il a avoué tout ce qu’il a fait.

CM : Quels messages aimeriez-vous justement faire passer aujourd’hui aux jeunes cavalières ?AL : Il ne faut pas mettre en avant le sport de haut niveau au détriment de sa propre vie. J’étais obsédée par la compétitio­n, je voulais devenir une championne. Mais à quel prix ! Aujourd’hui je suis détruite à vie, j’es-saie de me reconstrui­re mais c’est compliqué. J’aurais préféré une vie sans paillette, sans trophée, plutôt que d’avoir été abîmée, humiliée et violée par mon entraîneur pendant des années. C’est un rêve qui a détruit ma vie, c’est contradict­oire, je sais… Quand on est jeune, on est fi er, les parents sont fi ers de leurs enfants, on est tout le temps sur le podium, on fait beaucoup de sacrifi ces, d’inves-tissements, les tenues, les chevaux… Mais on n’a pas de vie d’enfant, on est violé, on nous explique que c’est nor-mal, le passage de l’adolescenc­e à la vie de femme devient très compliqué parce qu’au fi nal on se retrouve face à soi-même et à ses propres cauche-mars. On ne voit plus les trophées, on est juste abîmé.

CM :Quelles mises en garde pour celles qui rêvent encore de haut niveau ?AL : Il faut être bien entouré par sa famille et poser des limites, entraî-neur/entraîné, les parents doivent faire blocage. Ils ne doivent pas être obsédés par les titres, les victoires de leurs enfants. Il y a des choses qui ne se font pas, on n’embrasse pas son entraîneur, on ne dort pas dans le même lit, ni la même chambre. Le mis en cause expliquait que c’était de l’amour, à 15 ans pour lui c’était normal que je dorme dans son lit. Un entraîneur est là pour faire travail-ler son élève, pas pour l’emmener au restaurant ou lui faire des câlins.

CM : Et vous, aujourd’hui comment vous conduisez-vous avec vos élèves ?AL : Comme je suis maman de trois enfants, je suis très maternelle avec eux, en revanche j’ai beaucoup de mal avec les hommes plus âgés que moi, cette relation me rend méfi ante.

CM : Faut-il pour autant abandonner ses rêves de podiums ?AL : Bien sûr que non ! Mais il ne faut pas que l’on puisse dire un jour : « si j’ai réussi, c’est grâce à mon entraineur ! »

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