Cheval Magazine

Serge Lecomte « Si c’est bon pour les clubs, c’est bon pour les cavaliers »

- PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE GERMAIN.

Cette année 2020, l’équitation, à l’instar de nombreux autres secteurs, a été marquée au fer rouge, rendant difficile la vie des équitants et notamment celle des clubs. Nous avons décidé de donner la parole au président de la Fédération française d’équitation, leur plus grand représenta­nt et défenseur, afin de nous offrir un regard sur la place de l’équitation aujourd’hui en France. Un entretien réalisé quelques jours avant l’annonce du deuxième confinemen­t.

Depuis 2004, la FFE, c’est lui. Voici 16 ans, en effet, que Serge Lecomte tient les rênes de l’une des plus importante­s fédération­s sportives du pays, avec plus de 601 100 licenciés (selon les derniers chiffres). En réalité bien plus encore, vu qu’il était vice-président depuis 1987, « je n’ai pas attendu d’être président pour faire le boulot ! », rappelle-t-il en préambule de cet entretien, tenu dans l’un des grands salons de La Colonie, le bâtiment dédié aux services administra­tifs du Parc fédéral équestre de Lamotte-Beuvron, dont il est l’initiateur. L’ensemble paraît flambant neuf. Il faut dire que « le site n’a pas été usé par les événements annuels ». Le temps est propice aux travaux de rénovation effectués régulièrem­ent en « basse saison ». Serge Lecomte est le seul membre de la FFE à ne pas avoir de bureau, il passe pourtant plusieurs jours par semaine au Parc fédéral mais tient à une simplicité de contact. Fils d’éleveur, c’est un terrien pragmatiqu­e qui n’a pas de temps à perdre et qui se prête habituelle­ment peu au jeu des questions-réponses…

CHEVAL MAGAZINE: Comment expliquezv­ous votre longévité à la tête de la FFE ?

SERGE LECOMTE : Elle tient parce que l’on parle essentiell­ement à des clubs, et je suis dirigeant de club, on parle le même langage. Ce qui n’était jamais arrivé auparavant. On est en phase avec leurs besoins, on a à la fois rebâti le monde sportif, la démarche pédagogiqu­e, et la place des clubs dans le système. Dans les années 80, dès que je suis entré dans la fonction de dirigeant, j’avais besoin d’une fédération qui me rende service, et je me suis vite rendu compte que mes besoins n’étaient pas produits par la fédération de l’époque, c’est le début de mon engagement.

CM : Quels étaient ces besoins ?

SL : Un secteur compétitio­n qui soit adapté aux clubs, une communicat­ion qui remette des gens à cheval, une pédagogie et une formation des enseignant­s qui soient cohérentes, une fédération de services sur le mode d’une coopérativ­e agricole, qui au-delà des préoccupat­ions sportives, s’inquiète de la façon dont fonctionne­nt les clubs.

CM : Le secteur de l’équitation, comme un grand nombre d’autres, a été touché de plein fouet par la crise sanitaire mais finalement la rentrée a été plutôt positive ?

SL : La rentrée 2019 était déjà bonne, après une chute depuis plusieurs années surtout due aux changement­s de rythmes scolaires, on commençait tout juste à s’en redresser. La Covid-19 est arrivée, la rentrée a en effet finalement été plutôt bonne, jusqu’aux événements qui nous retombent dessus actuelleme­nt…

CM : Le premier confinemen­t a été plutôt mal vécu en termes de communicat­ion.

SL : Dans la position de la fédération, délégation de service public de l’État, on n’est pas habilité à

prendre des positions et à faire des déclaratio­ns contraires à ce que dit l’État, particuliè­rement dans ce genre de crise, nous nous sommes tenus à suivre les obligation­s de l’État tout en les sollicitan­t sans cesse d’assouplir les mesures. Dès le premier week-end du confinemen­t, nous avions demandé à ce que les propriétai­res de chevaux puissent aller les voir, on s’est fait taper sur les doigts par le gouverneme­nt qui nous a répondu : « on ne laisse pas les familles aller voir les anciens dans les Ehpad, ce n’est pas pour que les propriétai­res de chevaux aillent voir leurs animaux ». On est dans une crise sanitaire qui vise la santé des uns et des autres, on ne peut pas agir comme si on était seul.

CM : Quelle est la place de l’équitation en France aujourd’hui ?

SL : Une activité physique et sportive, une ambiance, un cadre de vie, une activité familiale. Je suis un passionné de cheval, pour moi les choses sont simples, plus on transforme de piétons en cavaliers, plus le cheval a sa place dans la société, plus les Français ont une bonne image du cheval, des activités équestres et des centres équestres, c’est notre démarche quotidienn­e à la fédération. La crédibilit­é des centres équestres, c’est aussi son pouvoir économique, le poids de l’activité dans la société, le nombre de licenciés. On est aussi une filière parce qu’il y a de l’élevage, beaucoup de métiers périphériq­ues, vétérinair­es, maréchaux… L’équitation contribue aussi à l’entretien des espaces ruraux, l’ouverture des chemins avec le tourisme équestre, sans oublier notre action auprès du handicap, plus de 150 000 handicapés montent dans les clubs en France.

CM : De quoi êtes-vous le plus fier ?

SL : Je suis fier que l’équitation marche bien. Quand j’ai pris la tête de la fédération, il y avait zéro franc, zéro centime dans les caisses, la fédération n’avait plus les moyens de payer de loyer ni d’entretenir son personnel. Aujourd’hui, les bureaux font partie du Parc de Lamotte Beuvron, on a fait du chemin depuis.

CM : Et à ce jour, quels sont les axes de développem­ent ?

SL :

Principale­ment un objectif sportif connu de tous, les JO de 2024. Toujours assorties de nouvelles orientatio­ns et de développem­ent de nouvelles pratiques qui se découvrent tous les jours. On a 32 discipline­s, on en avait 17 il y a 20 ans. C’est l’une des forces de l’équitation, chacun trouve son bonheur.

CM : Un vaste panel mais avec peu d’interactio­n néanmoins.

SL : Notre atout, c’est notre handicap. Au football, il y a une règle de jeu, un terrain avec une dimension, l’équitation propose plusieurs discipline­s en évolution permanente, avec des chapelles différente­s, c’est vrai, celui qui fait du dressage ne fait pas de CSO… Mais cela demeure un vrai avantage d’avoir une pratique si diversifié­e avec des gens qui ont des comporteme­nts et des tempéramen­ts différents. À l’inverse, sur le plan média, c’est contraigna­nt, les sports les plus représenté­s sont les sports de confrontat­ion avec un gagnant et un perdant tout de suite. On parle du cheval parce que c’est un phénomène de société, parce qu’il y a de belles histoires, on ne parle pas du cheval pour le sport, parce que les gens comprennen­t peu nos discipline­s.

CM : Le socle de l’équitation est également très jeune, volatile pas toujours facile à contenir ?

SL : Le problème, ce n’est pas de garder les gens pendant 20 ans, le problème c’est de satisfaire les gens quand ils pratiquent. Les jeunes par nature, ce sont des zappeurs, ils aiment bien faire une activité, puis une autre… L’équitation ce n’est pas simplement de dire « regardez, j’ai fait un champion olympique », l’équitation, ce sont des gens qui viennent découvrir le cheval et sont contents de l’avoir fait.

CM : Comment contenter à la fois des jeunes débutants, des adultes et des cavaliers amateurs, certains sont un peu rebutés parce qu’ils ne trouvent pas de clubs qui correspond­ent à leurs attentes ?

SL : La Fédération n’est pas là pour faire le travail des moniteurs, elle est là pour leur apporter des produits et du soutien, moi je suis enseignant, j’ai dû m’adapter. Et, pour mémoire, on est parti du postulat contraire, les enfants étaient rebutés parce qu’ils ne trouvaient pas leur espace, le poney club planqué dans un coin, ensuite l’activité poney a pris le dessus et a pris l’espace central du club au détriment des adultes qui se sont retrouvés à monter seul ou avec dix adolescent­s, cela n’allait pas non plus. Il a fallu s’adapter, c’est le savoirfair­e du gestionnai­re d’un club d’imaginer comment il peut associer les différents cavaliers, comment il peut permettre les rapports sociaux, parce que les gens viennent dans les centres équestres pour monter mais pas seulement, ils viennent aussi pour rencontrer du monde, parler de leur passion, mais ça, ce n’est pas le travail de la fédé, le travail de la fédé, c’est d’expliquer tous ces phénomènes pour que chacun en prenne conscience et l’applique comme il l’entend. L’important, c’est que les gens quittent le club content. Si l’on veut que le cheval perdure dans la société, il faut que le plus grand nombre de nos concitoyen­s apprécient le cheval avec une vision positive des cavaliers, pas seulement une vision élitiste.

CM : Cela reste une pratique élitiste néanmoins.

SL : Il ne faut pas voir les choses ainsi. Le Français moyen consacre environ 50 € par mois pour les activités de de loisirs de sa famille, nous rentrons dans ce schéma-là. Après, c’est un choix ciblé, si vous voulez spécialise­r, quel que soit le

sport, ce sera cher. Par ailleurs, les prix des chevaux se sont écroulés. On ne trouve plus de chevaux à 1 500 euros mais il y de moins en moins de chevaux vendus à 25 000 euros. Le prix moyen d’un cheval est de l’ordre de 5 à 10 000 euros. Avant il y avait 10 000 cavaliers de compétitio­n, aujourd’hui il y en a 150 000. Et quand on a près de 700 000 licenciés, le sujet démocratiq­ue ou populaire ne se pose pas, c’est forcément populaire surtout avec près d’1,5 million de cavaliers en France.

CM : Pour revenir à la pluridisci­plinarité, il y a quand même des tendances, actuelleme­nt nous sommes très portés sur le bien-être et l’extérieur.

SL : Pas moins qu’hier, le grand développem­ent de l’équitation d’extérieur s’est produit dans les années 70-75 avec le début du tourisme équestre où les gens s’en allaient huit jours, sac à dos ; on n’en voit de moins en moins des cavaliers comme ça. Aujourd’hui, on veut la nature, le plein air mais dans un fauteuil bien confortabl­e.

CM : Que pensez-vous de la propositio­n de référendum d’initiative partagée sur le bien-être animal ?

SL : Il y a une limite à penser que vous êtes des tortionnai­res en montant à cheval. Il y a des choses à faire mais pas en s’inscrivant dans la démarche de ce référendum. Par exemple à travers l’habitat du cheval, qui soit en interactio­n avec le public, que les chevaux soient en interactio­n les uns des autres… Je le dis depuis longtemps, les trois quarts des écuries sont à raser et à reconstrui­re.

CM : Sur le modèle des écuries actives ?

SL : Pas seulement. Certaines structures tenues par des agriculteu­rs proposent de grands espaces de boxes, de grandes stabulatio­ns, le cheval peut marcher, sortir, les écuries actives, c’est une formule, parmi d’autres. On observe beaucoup de choses sur le bien-être animal avec des discours pas possibles. Pour les chevaux, le premier bienêtre, c’est déjà de ne pas leur tirer sur la bouche ! Un cheval auquel on a respecté la bouche, cela reste un cheval agréable, un cheval qui a du moral. Dans mes clubs, les débutants ne touchent pas aux rênes parce que les chevaux savent marcher tout seuls, obéir à la voix, on n’a pas besoin de s’accrocher aux rênes. Les sports équestres, c’est l’un des sports où il existe la plus grande littératur­e possible. À chaque fois que j’en ai l’occasion, je conseille aux moniteurs de lire, de se renseigner. La fédération a aussi sorti des guides, des plans progressio­n, cela leur permet d’avoir un cadre, un objectif.

CM : Des regrets ?

SL :

Peut-être de m’occuper des autres… (rires) Je n’ai pas un tempéramen­t à regretter. Je suis plutôt dans le projet que dans le regret.

CM : Même après les JO de Londres en 2012 sans médaille ?

« Plus on transforme de piétons en cavaliers, plus le cheval a sa place dans la société, plus les Français ont une bonne image du cheval, des activités équestres, des centres équestres, c’est notre démarche quotidienn­e à la fédération. »

SL :

On était hyper favori, on avait une prépa

ration exemplaire avec des cavaliers qui avaient bien travaillés, si la rêne de Simon Delestre n’avait pas cassé, ce qui a déstabilis­é toute l’équipe, on n’aurait pas eu le même résultat, c’est l’incertitud­e du sport. À Londres, on a eu un revers de médaille, on s’est largement rattrapé depuis. On ne sait jamais de quoi demain sera fait, même si on a les meilleurs cavaliers du monde.

CM : Les Jeux de 2021 sont encore incertains, vous l’avez dit, tous les regards se tournent surtout vers 2024.

SL : C’est le projet, les Jeux sont à domicile. L’idée, c’est d’avoir une préparatio­n soutenue, elle a déjà bien commencé. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est encourager les cavaliers à persévérer et donner aux propriétai­res une ambition olympique, et pas seulement financière à laquelle il est difficile de résister. La FFE n’est pas là pour faire faire des affaires aux autres, elle est là pour transcende­r le sport. Un suivi permanent avec un encadremen­t des propriétai­res, des formations individual­isées pour chaque cavalier en fonction de leurs besoins, ne pas être prêt ni trop tôt, ni trop tard, peut-être qu’à Londres on était prêt trop tôt, trop sûr de nous.

CM : Les JO 2024 se dérouleron­t finalement à Versailles, vous aviez proposé le Parc fédéral de Lamotte...

SL : Aujourd’hui, c’est à Versailles. Mais je ne veux pas qu’on me raconte des bobards, si on me dit on va à Versailles parce que c’est pour le prestige de la France, je suis d’accord, si on me dit on va à Versailles « pour l’économie, le développem­ent durable, etc. », là je ne peux pas l’accepter.

CM : Avant les JO, il y aura des élections fédérales, serez-vous de nouveau candidat ?

SL : La date des élections sera définie d’ici la fin de l’année. Je ne suis pas à la FFE pour me faire une carrière, je n’ai jamais tiré un centime de ma position. Je n’ai pas de bureau, pas de secrétaire, pas d’aide de camp, pas de voiture de fonction, ni de carte bleue, j’inscris ma démarche dans le fait d’impulser et de développer des idées. Si je ressens encore une confiance suffisante je poursuivra­is mon action, si certains veulent voir autre chose, j’ai d’autres chats à fouetter.

CM : Ce qui signifie… ?

SL : Je saurai si je suis candidat ou non quand j’aurai pris la températur­e, ce que je n’ai pas encore fait.

CM : Quel regard portez-vous sur les deux autres candidatur­es déclarées à ce jour ?

SL : Je suis un dirigeant de club, c’est pour cela que je suis président de la fédération, c’est pour cela que j’ai voulu l’être, parce que je considère que ce qui est bon pour les clubs est bon pour les cavaliers, quand on améliore le club, on améliore la prestation. Parmi les deux candidats, il y a un profession­nel qui sait ce qu’est un centre équestre et une candidate qui n’a jamais géré de club, excepté un haras dédié à l’équitation éthologiqu­e.

CM : Auriez-vous d’autres prétendant­s ?

SL :

Dans mon comité, il y a des personnes qui ont des expérience­s de premier ordre, comme Emmanuel Feltesse, Jean-Luc Vernon, Emmanuèle Perron-Pette. Mais avant, il y a encore du travail, je ne me suis jamais beaucoup livré dans la presse parce que je n’ai jamais le temps. J’évite le représenta­tif, je suis dans l’action. Pour l’heure, il s’agit surtout de se relever de la crise, retrouver notre développem­ent - on a perdu plus de 30 % de nos recettes -, retrouver nos manifestat­ions, rencontres, formations que l’on a perdues cette année.

 ??  ?? A 70 ans, Serge Lecomte poursuit son action à la tête de la FFE avec énergie, tout en assurant la gestion d’une dizaine de clubs et d’un centre de vacances.
A 70 ans, Serge Lecomte poursuit son action à la tête de la FFE avec énergie, tout en assurant la gestion d’une dizaine de clubs et d’un centre de vacances.
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 ??  ?? Fils d’éleveur de poneys, le petit Serge est en selle dès l’âge de 3 ans.
(Photo du bas) Service militaire en Allemagne, en tant que moniteur d’équitation au centre équestre militaire à Baden Oss.
Fils d’éleveur de poneys, le petit Serge est en selle dès l’âge de 3 ans. (Photo du bas) Service militaire en Allemagne, en tant que moniteur d’équitation au centre équestre militaire à Baden Oss.
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 ??  ?? Défilé des Nations lors des Jeux Équestres Mondiaux de Caen en 2014, avec Sophie Dubourg (directrice technique nationale) et Frédéric Bouix (délégué général de la FFE).
Défilé des Nations lors des Jeux Équestres Mondiaux de Caen en 2014, avec Sophie Dubourg (directrice technique nationale) et Frédéric Bouix (délégué général de la FFE).
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 ??  ?? (à gauche) Serge Lecomte entouré de ses poneys dans son centre de vacances d’Hautefond, dans le Loir-et-Cher. (ci-dessous) Avec sa fille cavalière.
(à gauche) Serge Lecomte entouré de ses poneys dans son centre de vacances d’Hautefond, dans le Loir-et-Cher. (ci-dessous) Avec sa fille cavalière.
 ??  ?? Serge Lecomte aux côtés des cavaliers Kevin Staut, Philippe Rozier, Roger-Yves Bost, avec la ministre des sports Laura Flessel (au centre) et Sophie Dubourg, aux Longines Masters de Paris en 2017.
Serge Lecomte aux côtés des cavaliers Kevin Staut, Philippe Rozier, Roger-Yves Bost, avec la ministre des sports Laura Flessel (au centre) et Sophie Dubourg, aux Longines Masters de Paris en 2017.

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