Cheval Magazine

« Elle, moche et méchante »

S’il y avait un classement des bourdes de débutante, celle-ci serait au top 10 : accepter un cheval en provenance d’un obscur sauvetage et finalement se retrouver propriétai­re d’une jument en piteux état.

- PAR SOPHIE DUHAMEL. ILLUSTRATI­ON : BRUCE MILLET.

Àquel moment ça a dérapé cette histoire ? Sans doute le jour où j’ai accepté de prendre cette jument en pension, alors que tout laissait présager un plan galère. “Sauvetage d’une jument maltraitée par un novice complet ou quasi ”. Voilà le pitch. L’intention était louable mais déraisonna­ble au possible. J’avais à peine dit « oui » que je le regrettais déjà. J’ai bien tenté de décourager le futur adoptant, en lui expliquant qu’en prenant un cheval avec un lourd passif, il y avait de fortes chances qu’il passe plus de temps chez le véto ou le comporteme­ntaliste que sur son dos, mais il n’en démord pas. Je ne peux plus reculer. Et la miss arrive, en provenance d’une “famille d’accueil” où elle a été placée par une “associatio­n ”. Des palmes à la place des pieds, un masque anti-mouches en lambeaux qui dissimule un oeil atrophié… Elle est grande, elle a dû être belle et sportive mais là, elle est efflanquée, parasitée, boiteuse et borgne. Et pas sympa, sinon ce n’est pas drôle ! J’apprends qu’elle n’a pas de livret, que le précédent adoptant l’a ramenée à l’asso parce qu’elle a mordu, que la famille d’accueil ne l’a pas manipulée pendant plus de deux mois et n’avait qu’une envie, c’est qu’elle dégage… Et voilà mon gentil proprio, un tantinet inconscien­t, avec un premier cheval qui mord, ne se laisse pas attraper au pré, encore moins licoler. Trop bien !

Des postérieur­s légers

Et moi, accessoire­ment, avec mon armée de pensionnai­res bisounours, trop collants, trop proches de l’homme, je suis désemparée avec la louloute pas aimable, dont il faut que je m’occupe.

Au mieux elle ne me calcule même pas, au pire, elle m’accueille les oreilles plaquées et les naseaux pincés. Et ce n’est pas du bluff. Quant à son éphémère proprio, il renonce après avoir vu les postérieur­s de trop près. Ouf, elle va partir miss ronchon, me dis-je, un brin désabusée tout de même. Évidemment “l’asso” n’a pas de place et cherche une autre “famille d’accueil ”. Les jours passent.

C’est sûr que ça ne se bouscule pas au portillon pour adopter une jument vieille, maigre, moche et “méchante”… Je suis obligée de continuer mes modestes manipulati­ons quotidienn­es. « Le licol le matin, c’est cool, c’est pour aller au pré. L’humaine qui vient le soir, c’est cool, c’est pour aller manger ». Les juments de la pension sont à proximité et lui tiennent compagnie. Elle baisse un peu la garde, accepte une première gratouille sur la tête. Le licol devient une formalité, le retour du pré aussi. Je cherche des informatio­ns sur son passé : elle a été jument de club, a plusieurs pages de résultats à petit niveau en CSO… Sa dernière propriétai­re l’aurait confiée au pair, où elle aurait croisé un homme maltraitan­t. Elle aurait été battue. Aujourd’hui la simple vue d’une brosse la met en panique. Il n’en faut pas plus pour faire chavirer mon petit coeur ! J’ai la structure, un peu de compétence­s et des “plus pro” que moi à qui faire appel en cas de souci. Restent les sous à trouver pour entretenir cette grande carcasse de selle français de 20 ans, qui va avoir besoin de soins, dentaires, ostéopathi­ques, vétérinair­es…

Contre toute attente, mon conjoint (qui d’ordinaire me menace de divorce quand j’évoque le projet d’un nouveau cheval) me propose de prendre en charge les frais et de s’occuper d’une petite cagnotte. On en parle autour de nous. Des amis perdus de vue depuis des années prennent contact pour apporter leur soutien. La tirelire se remplit, des profession­nels proposent leur aide. Et dans la période difficile que nous traversons tous, cet élan de générosité inattendu met du baume au coeur, tout simplement. Elle fait déjà des miracles cette jument ! Je l’ai adoptée officielle­ment…

Au mieux elle ne me calcule même pas, au pire, elle m’accueille les oreilles plaquées et les naseaux pincés.

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