Nuisible = non Déprédateur = oui
Fini les nuisibles, bienvenue aux « déprédateurs ». Après l’animal devenu « être doué de sensibilité », le législateur se plaît à changer un autre vocable, sans pour autant changer la situation… promet-il. CONSÉQUENCES D’UN CHANGEMENT DE NOM
Depuis le mois de juin dernier, le Parlement examine le projet de loi relatif à la biodiversité. Dans son article 60 (lire encadré p. 42), les rapporteurs souhaitent à nouveau modifier la terminologie entourant l’animal. Il ne serait donc plus question d’employer le mot de « nuisible » mais de lui préférer celui de « déprédateur ». Que signifie ce changement de terminologie que certains présentent d’emblée comme sans effets, à l’image de la position officielle du ministère de l’Écologie ? « Le changement de terminologie proposé ne remet pas en cause les motifs du classement précisé dans le décret du 23 mars 2012 », (lire encadré p. 44) expliquait Laurent Roy, directeur de l’Eau et de la biodiversité auprès du ministère dans un courrier adressé à Jean-Claude Saulnier, président de l’Union nationale des piégeurs agréés de France (Unapaf), le 7 février 2014.
Volontairement incomplète
« Je veux bien être crédule, mais il faut m’expliquer pourquoi changer une terminologie si cela n’apporte aucun effet, explique le président des associations de piégeurs agréés. Il s’agirait alors d’un “effet purement cosmétique” pour faire plus joli. Cela me paraîtrait alors être du temps perdu. A contrario, le contexte m’incite à la plus grande prudence. Nous sommes bien placés pour savoir que les opposants au piégeage sont nombreux et comptent désormais parmi les décideurs. » Sur ce point, JeanClaude Saulnier est rejoint par la sénatrice du Loir-et-Cher qui, lors d’une question posée le 27 février 2014, résume parfaitement le doute qui envahit certains esprits : « Mme Jacqueline Gourault attire l’attention de monsieur le ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie sur son annonce visant à remplacer le terme “nuisibles” par “déprédateurs” et ses conséquences. En effet, un animal “nuisible” est un animal qui cause des nuisances non seulement à l’encontre des biens des personnes mais aussi à la faune sauvage, quelle que soit sa qualification (gibier ou protégé), alors que les animaux “déprédateurs” ne causent de dommages qu’aux biens des personnes. Le classement des animaux dans l’une ou l’autre de ces catégories entraîne la possibilité de mettre en oeuvre des mesures de régulation. Dès lors, remplacer le terme “nuisibles” par “déprédateurs” reviendrait à restreindre les motifs de régulation visant à préserver la faune sauvage. De surcroît, ce changement de terminologie pourrait intervenir par ordonnance, sans aucune concertation avec les acteurs concernés. Aussi, compte tenu de l’impact environnemental et écologique d’une telle décision, elle lui demande de bien vouloir procéder aux consulta-
tions et études nécessaires à l’appréhension de cette question. »
Le changement permanent
Selon certains, la distinction ne semble pas si évidente entre les deux termes. « Elle est bien réelle, rétorque Jean-Claude Saulnier, mais peut-être que l’on voudrait nous faire croire le contraire. D’après la définition du dictionnaire Larousse, un animal déprédateur est un animal qui commet des déprédations, celles-ci étant définies par “des dégâts causés à des propriétés, à des biens par quelqu’un, par des animaux ». Si ceci englobe aussi bien les dégâts commis dans les habitations que ceux à l’encontre des animaux domestiques (bassecour, clapier…), cela écarte du champ d’action les dégâts commis à la faune sauvage, qu’elle soit espèce gibier ou espèce protégée. En effet, la faune sauvage est res nullius et n’appartient donc juridique- ment à personne. Dans ce cas, on devrait parler de “prédateurs”. Si on ne parle plus de nuisible mais de déprédateur, cela induirait que la “nuisance” d’une espèce ne peut être quantifiée que sur des biens. Or, la faune sauvage, parmi laquelle figurent bon nombre d’espèces de gibier, n’est pas un “bien” sur le plan juridique. Nous sommes convaincus que les opposants au piégeage souhaitent cette réorientation sémantique dans l’espoir de limiter les espèces susceptibles d’être piégées aux seuls dommages qu’elles causent aux biens de l’homme et non à ce qu’elles pourraient causer à la faune sauvage. Or, comme vous le savez, une très grande partie des acteurs de notre milieu pratique bien souvent le piégeage dans le but de rétablir certains équilibres entre des espèces gibier et d’autres, qui sont leurs prédateurs. Pour conclure, je dirais que nous ne sommes pas opposés à une suppression du mot nuisible pour peu qu’il soit requalifié en “prédateur et déprédateur” puisque, in fine, le terme de nuisible englobe ces deux mots. » Et notre homme de réaffirmer sa position adressée le 26 novembre 2013 au ministère de l’Écologie : « Nous sommes conscients que ce terme n’est pas forcément le plus approprié car ce n’est pas une espèce en soi qui est “nuisible”, mais des individus de cette espèce qui causent des nuisances, nous sommes attachés à conserver tous les critères définis par ce terme. Cette nouvelle définition ne peut nous convenir car elle écarte du champ de la législation tout un volet des nuisances provoquées par les “nuisibles”. Elle ne prend pas en compte les dommages à la faune sauvage, qu’elle soit gibier ou protégée. C’est méconnaître toutes les prédations sur le gibier et rendre caducs tous les efforts de réimplantation de celui-ci. C’est aussi ne pas prendre en compte la pré- dation de la martre sur une espèce emblématique comme le grand tétras, alors que cela figure explicitement dans le plan de restauration de cette espèce. À noter que la protection de cette espèce était un critère du classement “nuisible” de la martre, critère qui sera caduc dans la nouvelle définition. C’est aussi, enfin, nier la prédation du geai, de la pie et des autres corvidés sur des espèces protégées comme les passereaux (pillage des nids). Danstous ces cas, il faudrait parler de “prédateur” en plus de “déprédateur”. Apparemment, les services du minis - tère de l’Écologie se refusent à associer les deux termes. Nous nous considérons mis devant le fait accompli, ce que nous ne pouvons admettre. Une nouvelle procédure de désignation des espèces “nuisibles” vient de se mettre en place [en 2012] et déjà on en change la donne sans aucune concertation. C’est, à nos yeux, inadmissible. Tant qu’il n’y aura pas une terminologie remplaçant les termes “nuisibles” par une formule reprenant tous les critères, nous ne pourrons la cautionner. »
L’interprétation souveraine
« Il ne s’agit pas de mettre la nature sous cloche mais de restaurer son potentiel. » Voilà une phrase à travers laquelle bien des chasseurs se reconnaîtront dans l’esprit. Son auteur n’est ni plus ni moins que notre ministre de l’Écologie , Ségolène Royal, qui l’a « twittée » le 10 juin dernier pour tenter de clarifier l’esprit dans lequel veut se placer le projet de loi relatif à la biodiversité. La récente position de notre ministre de l’Écologie, appuyée par le courrier du directeur de l’Eau et de la biodiversité, sera-t-elle suffisante pour calmer les inquiétudes des piégeurs et chasseurs ? Rien n’est moins sûr.
À charge
L’interrogation grandit malgré tout dans les rangs des partisans de la régulation de certaines espèces animales. « La question sera tranchée d’ici la fin de l’année », poursuit Jean-Claude Saulnier, pessimiste. « Nous ne sommes pas résignés. Nous lutterons mais nous savons que le risque de voir cette disposition passer est tout à fait réel. Et les conséquences induites sont encore très incertaines. » Mais alors une question vient d’emblée à l’esprit : quelle espèce serait susceptible d’être déclassée nuisible si la notion de déprédateur devait être interprétée selon les craintes du président des piégeurs ? « Toute espèce dont nous ne parvenons pas à démontrer qu’elle cause des dommages précis et chiffrés peut être déclassée. Or, vous savez pertinem-
ment que pour certains types de dommages, le chiffrage est impossible, comme c’est le cas de la prédation sur la faune sauvage. On peut l’avérer, mais on ne peut pas le chiffrer précisément, comme les dégâts commis sur un poulailler. Et encore, ceci est un autre exemple, car certains vous rétorqueront que si le site est dévasté, on ne connaît pas l’identité de l’agresseur. Nous sommes désormais passés dans une autre logique où il est demandé aux acteurs du piégeage d’apporter, preuve à l’appui, la légitimité du classement des espèces. » Pour bien des espèces, nous savons que leur impact est réel, mais qu’il est impossible de le préciser. Comment faire ? La constitution de dossier établissant l’impact de chaque espèce demeure désormais la priorité des piégeurs. Il n’y a qu’à observer les changements intervenus sur le classement des espèces nuisibles en 2012 (voir cartes ci-dessus) pour voir que des statuts ont sensiblement changé en raison d’une mauvaise constitution de dossiers. Désormais les préfets, qui sont en charge de définir la liste des espèces du groupe 2 dans leur département (belette, fouine, martre, putois, renard, corbeau freux, corneille noire, étourneau sansonnet, geai des chênes et pie bavarde), s’appuient sur un guide méthodologique détaillé qui précise les critères de classification pour chaque espèce. Les prochaines listes seront proposées au ministre pour la période 20152018. En attendant, voici celles en vigueur actuellement (lire encadré ci-contre). « Les piégeurs, mais également les chasseurs, et surtout les agriculteurs doivent se mobiliser pour nous aider dans la compilation d’éléments démontrant le juste impact de certaines espèces et en certains lieux », clame Jean-Claude Saulnier. Un énième nouveau défi pour les piégeurs.