Connaissance de la Chasse

GASTRONOMI­E INSOLITE Une poule au menu

Gibier à tort méprisé – aucun gibier ne devrait l’être –, la poule d’eau (que l’on ne confondra pas avec la foulque) non seulement mérite le plomb, mais peut honorer nos papilles. Une recette vous y aide.

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De Charibde en Scylla. C’est vrai ça, Il ne me suffisait pas de lasser le lecteur en lui parlant du râle d’eau1 que : 1. Voilà que maintenant, je pousse le délire à vouloir lui faire manger une poule d’eau ( quo usque tandem… 2) 2. Naguère je jugeais cet oiseau immangeabl­e, nourriture de carême, de jours maigres et d’abstinence ! Pourtant, avec l’âge, le goût se déforme, pas toujours en s’affinant, et tel vieillard qui s’affichait jadis avec des femmes sublimes, finit parfois entre les bras de quelque experte catin de bas étage… Passons. Donc, l’autre jour, ayant tué une poule d’eau qui constituai­t mon unique tableau de chasse, la fantaisie me prit d’essayer de la cuisiner. J’avais bien envisagé, dans un premier temps, de la donner au chat, mais cette bête raffinée, après avoir reniflé l’oiseau, dédaigna mon offre avec hauteur. Audois d’origine, donc avare presque autant qu’un Aveyronnai­s, je ne pus me résoudre à la jeter à la poubelle… et puis, pour tout dire, une curiosité perverse de vieillard me poussait à tenter l’aventure. La dégustatio­n de cette chair sauvage et puissante ; n’allait-elle pas me procurer des sensations inédites ? La décision était prise, j’allais me lancer dans la haute cuisine. Dans un premier temps, j’ai sollicité les services de la très précieuse Dolorés (la meilleure plumeuse patentée du départemen­t), qui de ses doigts de fée a dûment rempli son office. Phase deux de la préparatio­n, j’ai ôté les pattes comme je le fais pour les faisans et les dindes : on désarticul­e la patte en la tirant en arrière. On coupe superficie­llement la peau tout autour, on attache l’oiseau par cette patte et on tire par petites saccades. L’oiseau vous reste dans les mains et la patte demeure attachée à la ficelle, conservant avec elle tous les tendons indésirabl­es qui auraient pu gêner votre dégustatio­n. La chair sera ainsi beaucoup plus tendre. J’ai ensuite vidé l’animal en réservant le foie. J’ai bourré le ventre de l’oiseau de tapenade mélangée d’olives noires entières et d’un grain d’ail coupé en quatre morceaux en long. Cette farce a donné à ma poule d’eau un aspect rond et dodu réconforta­nt. Prudemment, ensuite, j’ai éloigné mon épouse de la cuisine afin de ne pas encourir les reproches véhéments qu’elle n’aurait pas manqué de m’adresser à cause des odeurs et pestilence­s qui s’échapperai­ent de ma casserole. Voici la suite de ma recette : faire cuire la poule avec juste un peu d’huile de pépins de raisins au fond du plat. Pendant la cuisson, faire griller un ou deux toasts, puis cuire le foie finement haché ou mixé avec une quantité équivalent­e de tapenade d’olives noires et juste un tout petit peu de vin au fond de la casserole. Cette mixture dûment tartinée sur les toasts, rajouter un peu de poivre. Il ne vous reste plus qu’à goûter. À mon avis, ce n’était pas trop mal. À retenir : l’idée du canapé foie et tapenade. Bon appétit malgré tout.

Joseph Aché

1. cf. n° 449 de septembre (pages 158 et 160) de Connaissan­ce de la Chasse. 2. « Quo usque tandem abutere, Catilina patientia nostra » , Cicéron (Jusqu’à quand enfin, Catilina, abuseras-tu de notre patience ?)

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Même si les recettes pour cuisiner la poule d’eau ne sont pas légion, l’animal peut très bien finir dans votre assiette.

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