Fontainebleau 20 magnum
Avec ce Fontainebleau, un superposé original et élégant, Pierre Chapuis innove. Il apporte à sa gamme un fusil efficace et bien né aux lignes ensorcelantes. Un fusil charmeur parfait pour la billebaude comme pour la battue.
Un coup de foudre. C’est ce que fut la découverte de ce fusil, sur le stand Armes Pierre Artisan, lors du dernier Game Fair de Chambord. Ce fusil charmeur, alliant la finesse et l’élégance du calibre 20 à une relime soignée et des bois de grand luxe, était immanquablement beau. Sans aucune étiquette « Nouveau », sans aucun artifice coloré, ce fusil attirait le regard. Pas de doute, il nous fallait l’essayer et vous le présenter au plus vite. Deux semaines plus tard, ce beau Fontai- nebleau tout juste terminé arriva à la rédaction pour un examen plus soigné et un essai poussé. Une fois la mallette ouverte, le charme opère toujours. Ce fusil en jette ! À commencer par ses bois. Certes, c’est ce qu’il faut regarder en dernier pour se concentrer sur la mécanique et les canons en premier lieu, je le répète assez souvent, mais comment ignorer cette parure de ronce de noyer ! Tous les Fontainebleau ne seront pas équipés d’une telle robe, il s’agit d’une option facturée 1195 euros, même si depuis toujours les bois qui équipent les fusils de Pierre Chapuis sont très élégants. Mais ici reconnaissons que ce bois mérite son titre de noyer grand luxe, on ne peut pas contredire le fabricant. Noeuds, veines, couleur, ponce à l’huile, rien à redire, on frise la perfection, si tant est qu’elle existe. La crosse assez épaisse et à busc droit est à l’anglaise mais façon « anglaise
ventrue » : on est un peu à mi-chemin entre une crosse col de cygne et une crosse anglaise. La tête du busc est originale, élargie, plane et renforcée par une queue d’écureuil qui débute juste derrière la queue de bascule et se termine par une jolie pointe festonnée. Pour équilibrer cette dé- coration, le pontet est également long et prolongé. On retrouve cette même partie festonnée que sur l’arrière de la queue de bascule. La crosse est tout bois, c’est-à-dire que vous ne trouverez pas de plaque de couche rajoutée ici. Néanmoins, comme ce fusil est une commande et a été mis
OPÉRATION CHARME CHEZ ARMES PIERRE ARTISAN
aux mesures de son futur propriétaire, il est doté d’un talon squelette en acier, dont le pourtour reçoit une jolie gravure en rinceaux et feuilles d’acanthe. À noter : toutes les pièces encastrées dans le bois et vissées ne sont pas maintenues par des vis à bois. Il n’y a d’ailleurs aucune vis à bois sur ce fusil. Comment Pierre Chapuis a-t-il réussi ce tour de force ? En réalisant et fixant dans le bois des inserts de laiton dans lesquels les vis viennent prendre appui pour un meilleur ancrage. Notre armurier explique simplement son choix : cela « assure une bien meilleure tenue dans le temps et un démontage plus aisé ». Le devant est ventru et tulipé. Il se dépose par une petite pompe noyée dans un puits pratiqué sous les canons dans la partie frontale de la « tulipe ». C’est discret, efficace et cela évite d’encastrer dans cette partie délicate du bois un insert de métal qui risquerait ensuite de générer fissure ou casse. Une bécasse en argent massif est encastrée sous le devant. Devant et crosse sont quadrillés main sur une large surface. La prise en main sera ainsi assurée quelle que soit la météo.
On n’y voit goutte à trois reprises
La bascule de ce fusil est élégante et dotée d’une belle relime et d’une gravure originale. Rappelons que Pierre Chapuis est MOF (Meilleur Ouvrier de France) en gravure. Sur cette bascule arrondie, et dotée de platineaux latéraux qui lui confèrent une bonne épaisseur – c’est cette bascule qu’il utilise pour ses express – il a réalisé une gravure animalière avec un médaillon central en forme de goutte d’eau. Cette goutte dont la pointe est dirigée vers la queue de détente dynamise l’ensemble des lignes du fusil. Si l’on est observateur, on retrouve cette goutte sous la forme des corps de crosse, ces surfaces de bois planes en arrière de la bascule. Ici, avec l’entaillage concave de la bascule, chaque corps de crosse, affiné et pointu, forme une deuxième goutte. Et, avec un peu plus d’imagination encore, on retrouve ce design de part et d’autre du devant fer, sur la partie avant de la bascule, au niveau de la goupille de basculage et sur la partie affinée du devant bois. C’est discret, harmonieux et en total accord avec les formes rondes de la bascule. Pour continuer sur ces petits détails qui apportent sans que l’on y prenne garde de l’élégance à ce fusil, que dire de la clé de bascule ? Pierre Chapuis l’a découpée pour nous offrir, en guise de doigt de clé, un canard qui referme ses ailes à hauteur de son bec. Et ce n’est pas tout : pour renforcer l’idée qu’il s’agit d’un colvert, il a chauffé au bleu le cou du canard. C’est là encore très réussi, même s’il s’agit d’une option valorisée 315 euros que vous n’êtes pas obligé de choisir. La relime de la bascule participe également de manière importante à l’élégance de cette arme. Elle est très complexe. Un double filet part des coquilles (qui sont ciselées avec une feuille de chêne) pour rejoindre les canons. Mais très vite un troisième filet apparaît, rejoignant les platineaux de la bascule. En arrière
des coquilles, un autre filet rejoint la clé de basculage. Outre son élégance, cette relime apporte beaucoup de caractère et de personnalité à ce fusil qui ne ressemble à aucun autre.
Gravure originale et superbe
La gravure est sans nul doute le troisième grand point fort de ce fusil, avec ses bois somptueux et sa relime raffinée. Les deux médaillons animaliers des platineaux sont ornés en fine taille douce d’une perdrix à l’essort à droite et d’une bécasse à gauche. Ces deux oiseaux s’inscrivent dans le même paysage vallonné, ce que je regrette. C’est certes parfait pour la symétrie mais j’aurais préféré deux univers différents, histoire sans doute de ne pas tomber dans une trop grande uniformité. De part et d’autre de ces médaillons, une bordure de feuilles d’acanthe et de légers rinceaux renforce le dessin en goutte d’eau. Le tourillon de bascule est orné d’une rosace délicate et large et de quelques rinceaux et feuilles d’acanthe à nouveau. Cette gravure est à la fois riche et aérée, détaillée et pas trop chargée. En revanche, le dessous de la bascule reçoit une gravure massive, très couvrante, dans un style différent mais tout aussi beau. Dans un médaillon ovale cette fois, soulignée d’une gravure plus soutenue de larges feuilles d’acanthe dans un fond perlé et donc noirci qui apporte beaucoup de relief à l’ensemble, un faisan prend son envol à la verticale. C’est à la fois original et superbe. Le devant fer est lui aussi gravé mais avec plus de force encore, pour rappeler sans doute cette gravure du dessous de la bascule. On y retrouve des feuilles d’acanthe en taille douce profonde à nouveau avec un fond noir qui leur apporte une grande force. Cette gravure, qui correspond parfaitement à celle du dessous de la bascule, aurait gagné, à mon avis, à être allégée et éclaircie sur les pans verticaux du devant fer, au fur et à mesure que l’on rejoint les canons. Le contraste entre les flancs de la bascule vieil argent à la gravure fine et légère et ce devant fer à la gravure marquée et très ombrée me semblant un peu trop violent, mais il s’agit là d’une question de goût et de couleurs qui, comme vous le savez, sont tous éparpillés dans la nature.
À l’arrière de la bascule, la sûreté comporte un sélecteur de tir transversal qui commande le premier ou le second coup de ce fusil à la monodétente à inertie. Cette dernière est large et non striée et surtout elle est vieil argent et non pas dorée, ce qui n’est pas plus mal. La canonnerie de ce fusil est classique… ou presque. En effet, les deux canons sont certes frettés mais surtout ils sont brasés à l’argent sur toute leur longueur, de la bouche au tonnerre. Pas de soudure à l’étain des bandes ici. La frette monobloc comporte deux crochets bas traditionnels dans lesquels vient s’engager à la fermeture un large verrou inférieur : du classique, sauf que lesdits crochets sont traversants et disposent ainsi d’une portée de recul au contact même de la bascule. La frette reçoit aussi les éjecteurs à échappement, là encore du grand classique. Les chambres de ce fusil mesurent 76 mm, c’est donc un magnum à part entière capable de tirer des cartouches de 34 g si vous le souhaitez. La frette est bouchonnée. La bande de visée striée est ventilée, elle se termine par un guidon boule en laiton doré et porte discrètement gravé le nom «Armes Pierre Artisan MOF» en toutes lettres. Les canons de ce fusil sont bien entendu éprou- vés billes d’acier hautes performances. Il n’y a pas de supplément à payer pour les canons à chokes amovibles, qui sont proposés au même prix que ceux à chokes fixes.
Un quasi sans-faute
C’est sous un soleil de plomb avec 29 °C à l’ombre que nous testons ce fusil. L’huile et la graisse qui protègent encore les pièces métalliques de ce fusil se sont liquéfiées. Il faut essuyer l’arme soigneusement avant les tirs. Pour ce test, nous utiliserons des cartouches à grenaille de plomb mais aussi d’étain et d’acier pour respecter le caractère polyvalent de cette arme conçue pour la billebaude. Le chargement s’opère sans difficulté, l’angle de basculage, plus délicat sur un superposé que sur un juxtaposé, est bon et la cartouche du bas est insérée aisément. Le premier plateau est lancé, raté et j’ai un peu de mal à tirer le second coup. Même chose pour le deuxième plateau. En fait, je constate vite que je dois ramener mon index un peu en avant après le premier tir pour laisser la monodétente à inertie se réarmer. Une fois ce principe acquis, les tirs s’enchaîneront sans aucun problème. Mieux même, le bon équilibre du fusil et sa longueur de crosse adaptée me permettront ensuite de frôler le sans-faute sur les deux parcours de chasse suivants. Le plaisir est là et comme rien ne vient perturber la séance, elle dure. Les canons chauffent, mais la forme large du devant protège parfaitement les doigts de la brûlure. Les cartouches sont éjectées avec puissance et une parfaite simultanéité, au point qu’il faudra s’y re-
prendre à deux fois pour réussir à photographier cette éjection. La forme de la crosse est également à souligner, la poignée bien quadrillée et la bonne épaisseur de bois permettent de caler l’arme parfaitement au moment du tir et de garder cette position ensuite. De fait, ce fusil est vif et maniable, sans être pour autant trop léger. D’ailleurs, le suivi des longs traversards permet de se rendre compte du bon comportement de cette arme lorsqu’il faut contrôler son swing et non pas tirer instinctivement. Ce fusil a tout pour devenir le calibre 20 à tout faire que vous attendiez pour la prochaine saison. Un fusil qui en plus a pour lui beaucoup d’élégance. En toute fin d’essai, plusieurs tireurs sont d’ailleurs venus voir de plus près ce calibre 20 en soulignant sa beauté, ce qui n’arrive pas souvent et constitue une nouvelle preuve de ses charmes. Pas de doute, ce Fontainebleau-là est une arme de séduction massive !
texte Laurent Bedu photos B. Berbessou