R8 Classic Sporter
UNE BLASER EN MODE ÉLÉGANCE À L’ANGLAISE
C’est, sur le papier, une R8 dotée d’une nouvelle crosse bois. Mais dans la pratique, c’est bien plus que cela. Cette Sporter Classic devient presque une toute nouvelle arme, la première Blaser qui reprend les codes esthétiques des armes anglo-saxonnes et vise à séduire les derniers réfractaires à la marque.
Il y a parfois des nouveautés très attendues et annoncées à grand renfort de publicité qui, au final, s’avèrent décevantes dès que l’on s’aperçoit qu’elles ne reposent que sur quelques modifications esthétiques… À l’inverse, certaines nouveautés annoncées comme purement cosmétiques peuvent nous enchanter et devenir aussitôt de véritables innovations et
des incontournables. La nouvelle Blaser R8 Sporter Classic fait assurément partie de cette deuxième catégorie. Cette carabine qui repose uniquement sur une nouvelle crosse est non seulement très réussie, mais elle apporte en fait une autre dimension aux armes Blaser, presque un autre esprit.
Conçue pour les USA et… la France
D’ailleurs, le nom de Classic n’est pas usurpé. Blaser, qui représente l’armurerie moderne avec son style de verrouillage, son process de fabrication, l’emploi de matériaux allégés et composites, vient ici draguer dans la cour des amateurs de belles carabines à l’ancienne en proposant une arme à la silhouette traditionnelle très proche de celle des carabines Kimber et Dakota, sans doute les deux marques américaines qui revendiquent le plus ouvertement leurs inspirations : anglaise pour les lignes et germanique pour le mé- canisme. Vous ne serez donc pas étonné d’apprendre que la Blaser R8 Sporter Classic sera essentiellement exportée vers les États-Unis où elle devrait connaître un vif succès. Et la France alors ? La France fait également partie des pays où il est d’ores et déjà possible d’acquérir cette arme. La décision a été prise en 2013, sur le stand Blaser lors de l’IWA de Nuremberg où cette carabine a été soumise – à l’état de prototype encore – à de nombreux journalistes européens. L’enthousiasme des Français a sans doute décidé Bernard Knöbel, le directeur général de Blaser, à exporter également cette arme vers notre pays. La Sporter Classic est une R8 à part entière, elle en reprend le mécanisme, le bloc détente-chargeur, le canon amovible et interchangeable à griffe de montage optique intégrée, mais elle innove toutefois assez pour se démarquer totalement du reste de la gamme. Cette carabine à la crosse bois en effet vient rompre avec 21 ans de crosse bipartite chez Blaser.
Bien sûr, il y a eu quelques crosses monobloc de la sorte chez Blaser, mais elles étaient toutes réalisées en composite, comme la Timber avec son film imitant la loupe de noyer, suivie des Offroad ou Professionnal aux lignes plus futuristes, mais pour ce qui est du bois, c’est une grande première. Ici, c’est en effet la même pièce de noyer blond qui, sans interruption, court de la plaque de couche à l’extrémité avant du fût. Rien ne vient rompre ou scinder cette belle robe de noyer. La crosse est dite intégrale et englobe littéralement la mécanique et le canon. On ne retrouve pas les filets de métal qui matérialisent la mécanique comme sur les modèles Diplomate ou Battue, dont les plaquettes de noyer donnent l’impression d’une crosse continue.
Bar in wood version carabine
Mais ici, ni filets ni sommet du boîtier visible, tout est intégré, presque avalé par la crosse sur cette version qui pourrait être qualifiée de « Bar in Wood », à la façon de certains fusils – anglais le plus souvent – dont la bascule était habillée par le bois de la crosse. De fait la crosse est assez haute, mais comme elle est longue, elle n’est jamais « mastoc », au contraire. La relime de cette crosse participe aussi à l’obtention d’une silhouette traditionnelle, presque vintage. Le busc est droit, comme sur toutes les R8 désormais, mais surtout la crosse est très ronde, la joue type Rigby est ronde également, la poignée à la façon d’une Prince de Galles plus étirée qu’à l’accoutumée et le devant arrondi lui aussi se termine par une pièce d’ébène. Le quadrillage est le même que celui des autres R8, avec ses doubles pointes traditionnelles. Tout cela est élégant, classique et bien réalisé. Ces formes nouvelles, cette mécanique cachée alors que d’habitude elle est omniprésente, font que l’on n’a pas tout de suite l’impression d’être en face d’une Blaser. Nous perdons nos repères et la silhouette de l’arme est totalement différente, nouvelle même. Il faut un peu de temps à notre oeil pour retrouver le levier droit terminé par une boule de plastique grainé noir, la culasse mobile aux formes anguleuses et l’armeur carré à l’arrière de cette dernière. Les fidèles de la marque seront sans doute un peu perdus, déstabilisés aussi. Mais tout y est, rien ne manque à cette Blaser à la sauce anglaise. Le bloc détente-chargeur qui caractérise les R8 est là également. La crosse a été soigneusement évidée pour laisser place à cette pièce incontournable. Et de fait, le chargeur se dépose toujours en pinçant deux ergots placés de part et d’autre du pontet. Si vous possédez une autre R8, votre chargeur pourra équiper cette arme sans transformation. Car si les formes changent, l’esprit Blaser, à savoir son incroyable modularité, demeure. Les canons sont interchangeables et celui de votre autre R8 pourra également prendre place sur cette Sporter Classic en vissant les deux vis imperdables logées sous le devant bois. Même chose pour votre culasse mobile ou seulement la tête de culasse, également interchangeable et qui permet de passer d’un calibre magnum à un calibre standard et inversement. Cette Sporter Classic est bel et bien une R8 et sera 100 % compatible avec toutes les pièces de R8 disponibles à ce jour, canons, montages optiques, etc. D’ailleurs cette carabine, avec son boîtier de culasse intégré à la crosse monobloc, reprend le même principe que la Professionnal à crosse composite, même si les formes des deux armes diffèrent pour le moins. Ainsi, en achetant simplement une crosse « Sporter Classic », si vous avez craqué pour la Professionnal Success par exemple, vous pourrez
jouir à prix « réduit » de deux R8, une tout-terrain pour la chasse dans les milieux difficiles et une arme à l’élégante crosse bois pour les battues ou les approches du brocard en plaine. L’esprit « panoplie Blaser » demeure, même si vous ne pourrez pas choisir d’installer un canon plus épais, le bois recouvrant parfaitement le canon au point qu’un tube de 19 mm ne passerait pas. Quant au canon flûté, toujours aussi en vogue, reconnaissons qu’il ne serait sans doute pas du meilleur goût sur cette arme.
La poignée aussi a changé… en mieux
Il est temps de passer aux essais de cette carabine. Sur le terrain, nous installons une lunette Zeiss Victory 1,5-6x42. Notre arme est chambrée pour le nouvellement libéré .308 Winchester. Un calibre tendu, doux au tir et très précis avec lequel nous avions pu chasser à plusieurs reprises hors de nos frontières. Les performances du .308 sont voisines de celles du .30-06, avec un peu moins de puissance mais plus de rasance. Ses balles pèsent en moyenne de 9,7 à 12,3 g – précisons qu’il convient souvent d’employer les balles les plus lourdes et si possible à expansion contrôlée ou monométalliques. Quatre cartouches Blaser CDP rejoignent le bloc détente-chargeur. Comme toujours sur la R8, la dépose du chargeur désengage l’armeur, c’est pratique et sécurisant. Avec son canon de 58 cm dépourvu d’organes de visée ouverte, notre R8 pèse qua- siment 3,2 kg. Un poids normal, mais qui semble un peu plus léger car non seulement l’équilibre de l’arme est bon mais surtout, la forme très ronde du devant facilite la prise en main. Les premières balles sont tirées à bras francs sur la butte en terre pour flamber le canon et juger du recul et de la qualité des départs. Comme il fallait s’y attendre, l’arme ne recule pas, les tirs sont confortables et les départs très bons, peut-être un peu légers encore. Le busc droit facilite la prise de visée, à plus forte raison pour les tirs sur cible mobile où l’on n’a pas toujours le temps d’acquérir une visée académique, mais au moins est-on certain que notre oeil sera toujours à la même hauteur, quel que soit le positionnement de la pommette sur la crosse. La position de tir est bonne, d’autant plus que la poignée pistolet fuyante permet de mieux pointer la cible avec un poignet moins cassé que sur une crosse Kaisergriff, voire « une » pistolet classique.
Les essais de précision attesteront, comme à l’accoutumée, de la grande précision de cette arme. D’ailleurs, si le verrouillage linéaire est souvent cité en premier lieu comme « la » qualité des carabines Blaser, pour ma part j’évoquerai plutôt la précision et la modularité, la vitesse de réarmement arrivant seulement après. Pas de surprises donc pour le groupement de cette arme, à plus forte raison avec le .308 Winchester qui est également le calibre préféré de bien des tireurs d’élite.
Née sous une bonne étoile…
Les tirs au sanglier courant confirmeront toutefois que le réarmement de cette arme est rapide, très rapide. Même s’il ne faut pas trop s’avancer sur la crosse car la culasse recule. Avec un peu d’habitude, le déplacement de la mécanique ne pose au- cun problème et les tirs se succèdent sur un rythme très soutenu qui fait chauffer le canon. Faute de balles, la séance s’achève sur un bilan extrêmement positif, mais tout est-il parfait sur cette Sporter Classic ? Pas tout à fait. Si la robe de noyer possède des formes élégantes et attirantes, c’est la qualité du noyer ellemême qui nous a un peu déçu, la marque nous ayant habitué à des veinages tourmentés. L’explication est rationnelle et matérielle. Pour des raisons bien compréhensibles en effet, il est toujours plus difficile et plus coûteux de trouver une pièce de noyer de 90 cm parfaitement veinée que deux petits morceaux de 45 cm. C’est sans doute pourquoi le noyer utilisé ici est un peu moins veiné, moins élégant que celui des R8 et R93 habituelles, c’est-à-dire à la crosse bipartite. À la décharge de cette Blaser Sporter Classic, reconnaissons que le noyer qui l’équipe satisferait bien des marques moins bien dotées en règle générale. Blaser a réussi néanmoins, avec cette crosse intégrale, à créer une nouvelle carabine. Une carabine aux vertus mécaniques et balistiques identiques à celles des autres R8, mais à la relime entièrement différente et plus encore presque opposée, au point de s’adresser à un nouveau public. Car la Sporter Classic fait entrer la R8 dans un autre univers, celui des carabines séduisantes, attirantes pour ceux qui sont le plus attachés aux formes des belles carabines à verrou anglaises du siècle dernier et qui ne se reconnaissaient pas dans les R93 et R8 jusqu’à présent. Et de fait, cette Sporter Classic s’adresse, outre les fans de la marque, à ceux qui en appréciaient les mérites techniques sans pour autant se résoudre à en acquérir une, faute de lignes trop modernes. Blaser réussit donc à faire entrer l’un de ses rejetons sur le marché des armes à l’esthétique « classique », où elle devrait convaincre les derniers chasseurs en quête d’une carabine moderne aux lignes traditionnelles qui n’avaient pas encore craqué pour la marque allemande. Les premiers échos des armureries où cette carabine est exposée semblent d’ailleurs le confirmer, la Sporter Classic fait parler d’elle, intrigue, charme et finalement séduit. Pas de doute, cette R8 semble née sous une bonne étoile… de noyer forcément ! texte Laurent Bedu photos Bruno Berbessou