Rendez-vous avec un buffle à problème
Débarqué le 1er septembre 2013 sur le petit aéroport de Lichinga, dans la province nord-mozambicaine de Niassa, le Français Martial Elie retrouve avec un immense plaisir son fidèle ami Manuel Carona, le guide fondateur de la compagnie Majune Safari. Sur la route qui les ramène au camp, le PH informe son visiteur qu’il a reçu une demande écrite de la part du chef d’un village bordant le territoire pour éliminer sans tarder un buffle solitaire installé durablement sur le secteur de culture des paysans. Ce fauve sème la terreur et les villageois n’osent plus se rendre dans leurs « machambas » (champs cultivés) de peur de subir les foudres du belliqueux. Au terme d’une nuit bercée par les plaintes des hyènes et le vacarme des singes omniprésents, Martial est réveillé par le lointain et familier ronronnement du groupe électrogène, il est 5 h. Un copieux petit déjeuner et l’équipe de chasse prend place à bord d’un 4×4. Une bonne heure plus tard, deux villageois sont embarqués sur le bord d’une piste. Ils ont vu la veille des traces fraîches du fameux buffle. La traque s’annonce difficile car l’animal traîne depuis plusieurs semaines dans les parages et les indices de présence s’entremêlent allègrement. Ceci est cependant sans compter sur le savoir-faire des pisteurs de l’organisation. Ils l’ont déjà prouvé à d’innombrables reprises. Bientôt le convoi s’arrête à quelques encablures des lieux repérés par le duo d’indicateurs. Chacun s’apprête en silence tandis que les carabines sont immédiatement approvisionnées. Débute alors un long moment de marche en sous-bois pour atteindre les machambas. La température monte rapidement. Martial nous raconte : « Peu à peu, je comprends la stratégie de mon guide. Il sait, par expérience, que le taureau va déserter les zones ouvertes pour passer les heures chaudes au coeur des fourrés ombragés où il nous sera plus facile de l’approcher. Le seul inconvénient de cette tactique est le risque réel de charge. Nous avancer très près de lui peut provoquer non pas une fuite mais une attaque. Nos deux agriculteurs nous abandonnent à l’endroit où nous découvrons des pieds de la nuit. Ceux-ci se dirigent, comme imaginé, vers une succession de boqueteaux très fermés qui suivent un ruisseau partiellement asséché. La traque débute véritablement. Seuls les deux pisteurs principaux restent avec nous. Le vent est favorable. La progression est lente, chaque pas mesuré, chaque brindille évitée. Nous ne communiquons plus que par gestes. Je demeure une fois encore ébahi par le travail des hommes de tête. À l’approche de chaque couvert, nous explorons aux jumelles afin d’y déceler une présence. Le feu a brûlé les pailles par endroits, laissant des cendres et des places dégagées où le regard porte plus loin. Puis, dans les zones non brûlées que nous traversons, la visibilité se réduit à rien, et l’on peut imaginer notre buffle tapi, attendant le moment propice pour nous charger avec une grande violence, poussant une sorte de rugissement, dans un vacarme de branches brisées. J’imagine d’autant mieux la scène que j’ai déjà essuyé deux charges similaires lors de safaris précédents. Au bout d’une heure de ce méticuleux pistage, Manuel s’immobilise brutalement et poste ses jumelles à ses yeux. Toute l’équipe se fige. J’observe à mon tour et distingue une tache gris foncé dans les
grandes herbes vertes. Quelque chose vient de bouger : c’est la queue du buffle et ce point grand comme un mouchoir de poche est une partie de cuisse. Il nous tourne le dos. Le guide fait signe aux pisteurs de ne plus bouger. Nous reprenons la progression en duo. Avec d’infinies précautions, nous contournons la végétation et là, je distingue une masse un peu plus grande qui me semble être le garrot. Manuel me souffle : « La tête est à droite ». C’est donc bien le garrot et le début de l’épaule que nous avons devant nous, à quinze mètres. La tension est telle que nous devons dégager des ondes menaçantes pour l’animal. Il tressaille et Manuel, sentant que le buffle va s’ébranler, me dit : « Tire ! » J’expédie ma balle de 375 HH un peu plus bas que la partie visible du fauve, en pleine épaule. Manuel double dans la fraction de seconde qui suit, avec sa 500 Nitro. Le Caffer s’écroule ! Nous contournons le fourré et découvrons le sujet, fauché par nos deux balles. C’est un vieux grand buffle, avec un cornage d’un mètre et un beau casque qui couvre la totalité du front. Je tire une balle d’achèvement. “Il faut toujours tuer le buffle mort.” Après une courte attente, Manuel touche, du bout du canon, l’oeil resté ouvert de ce mastodonte de 900 kg qui gît à nos pieds. Aucune réaction. Le buffle est mort ! Le reste de notre équipe nous a rejoints au bruit des détonations, les deux villageois exultent. Les pisteurs me congratulent avec joie. C’est leur étonnante connaissance de la nature qui a permis cette chasse passionnante. L’un d’eux part en courant vers son village annoncer la bonne nouvelle. Le buffle est bientôt chargé dans notre véhicule et nous partons vers le village. Notre arrivée est triomphale. Toute la population court derrière notre 4×4. Quand nous débouchons sur la place centrale, c’est une foule joyeuse, dansante et hurlante qui nous entoure, liesse générale. À ma descente de voiture, je vois une femme enthousiaste essayer de soulever Manuel pour le porter en triomphe. Mais mon ami est trop lourd pour elle, alors elle se tourne vers moi, me ceinture avant que je n’aie pu faire un geste, et me soulève avec une telle énergie que je manque de passer par-dessus sa tête. On peut lire sur tous les visages la double joie d’être débarrassés d’un hôte dangereux et d’avoir de la viande à profusion. Pour moi aussi, la satisfaction est double. Satisfaire sa passion de la chasse avec toutes les émotions qu’elle procure, et rendre la sérénité dans ce coin de brousse où demain les hommes et les femmes du village pourront reprendre le chemin de leurs machambas sans appréhension. » Martial Elie, avec Philippe Aillery