Offrandes polonaises
OLESNO, MAJESTUEUSE ET GÉNÉREUSE
Les forêts polonaises ont la réputation d’abriter d’importantes populations de cervidés et de sangliers. Nous avons voulu en avoir le coeur net. Battue à l’est en compagnie de JeanClaude Pigeon, fondateur de l’agence And.
Alignés à l’arrière d’une longue remorque, nous filons à vive à l’allure sur l’allée forestière empierrée. Chaque nid- de- poule est l’occasion d’un tressaut que nous tentons d’amortir au mieux. Qu’importe, nous n’avons pas une minute à perdre, si nous voulons profiter au maximum de cette toute première journée de battue ! Quelques minutes plus tôt, autour d’un rond des plus protocolaires, Grzegorz, président du club de chasse de Stobrawa Sochaczew, nous a donné le programme avant d’effectuer l’incontournable tirage au sort des postes. Pas moins de six traques nous attendent à l’occasion de cette sortie. Une stratégie qui réjouit d’ores et déjà la douzaine de chasseurs venus de France, et qui visiblement sont pressés d’en découdre avec bêtes noires et cervidés. La plupart d’entre eux sont de fidèles habitués de ces battues polonaises. Ils n’ont eu de cesse, la veille au soir, de vanter les densités giboyeuses de ces forêts, auprès des deux ou trois équipiers dont c’est la toute première expérience à l’est. Malgré la fin novembre qui approche à grands pas, la neige ne s’est curieusement pas encore invitée au rendezvous. Les températures sont toutefois négatives, et nous ont obligés à revêtir des tenues de circonstance. Des équipements qui, certes, ne sont pas pour faciliter le tir, mais que nous ne regrettons aucunement tant l’air est vif et piquant à l’arrière de ce singulier attelage. Le long du chemin, à intervalles réguliers,
La quasitotalité des enceintes sont équipées de miradors, gage indéniable de sécurité. Tout juste lancé par les vaillants kopov, ce cerf se dirige inexorablement vers la ligne.
nous déposons, un à un, les membres de l’équipe. Sécurité oblige, à chacun de ces arrêts, le chef de ligne explique à l’intéressé le sens de la traque, et les angles de tir qu’il doit impérativement respecter. Notons au passage que comme chez nous, la tenue orange est ici de rigueur. Notre ligne finalement déployée, chacun se hisse en haut de son mirador, en prenant soin de ne pas glisser sur les échelons encore recouverts de givre.
Un sanglier se dirige vers le pare-feu
Un long coup de pibole s’élève bientôt au-dessus des grands pins, annonçant le début des hostilités. Un geste de la main à l’attention de ses proches voisins, histoire de se signaler, et un à un les postés actionnent les culasses. Singuliers cliquetis indiquant que les armes sont chargées, et que les tireurs sont prêts à stopper un éventuel fugitif. Une main sous la longuesse, l’autre serrant fermement la poignée, pour chacun de ces acteurs l’attente débute. Dans l’enceinte, les cris des traqueurs se mettent à résonner, troublant la majestueuse forêt jusqu’alors endormie. Pas moins d’une vingtaine de chasseurs locaux, accompagnés majoritairement de kopov (chien courant slovaque), ont été pour l’occasion recrutés afin de pousser suidés et cervidés. De solides gaillards, qui mieux que quiconque connaissent parfaitement la topologie des bois et le comportement des hôtes qui l’habitent. En compagnie de Christian, nous nous faisons attentifs au moindre craquement, au plus infime bruissement de la végétation. L’aguerri nemrod sait qu’à tout instant une opportunité peut se présenter, avant même que les chiens n’empaument la moindre voie. Gare aux dérobards fuyant devant le volontaire tintamarre produit par les rabatteurs ! D’ailleurs, alors qu’aucun auxiliaire ne s’est encore récrié, une première déflagration vient troubler la relative tranquillité de la pinède. Un seul et unique claquement, bon présage, qui provient de la ligne en retour. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’un ragot, ayant pris le parti d’une fuite en arrière, mais stoppé par le feu précis de Johnatan. Tandis que cette détonation résonne encore par-delà les hauts conifères, un bruit sec attire subitement notre attention. Nos yeux balaient les tènements à la recherche de l’origine de ce craquement. La végétation
Du haut de certaines chaises, le tir vers la traque peut être autorisé. Ce ragot échappera à la balle du tireur… Pas à notre objectif.
s’agite soudain à quelque 30 mètres sous bois, juste le temps pour nous d’entrapercevoir la fugace silhouette d’un sanglier se dirigeant vers le pare-feu. Le plus discrètement possible, Christian pivote, prêt à faire parler la poudre dès que celui-ci présentera sa carrure en travers de l’allée. La tension monte d’un cran, le temps d’une poignée de secondes qui semble durer une éternité. Mais, contre toute attente, le rusé suidé s’arrête en bordure, à quelques pas de notre mirador. Les consignes ont été claires ce matin. Du haut de certaines chaises, le tir vers la traque est autorisé, à condition qu’il reste dans un rayon raisonnable. Des recommandations qui vont toutefois à l’encontre des habitudes de cet expérimenté chasseur français, et qui du coup nécessitent de sa part une courte tergiversation. Trop tard ! Doté d’un odorat développé, le gibier a sans doute détecté notre présence et, plutôt que de franchir le sentier, le voici qui opère un rapide demi-tour avant de s’enfoncer daredare vers l’obscurité du sous-bois.
Harde conséquente et bêtes noires en nombre
Qu’importe, la forêt polonaise se veut d’ordinaire généreuse. Christian, plus quiconque le sait, or nous ne sommes qu’aux prémices de notre villégiature. Comme pour confirmer nos pensées, les bouillonnants kopov se mettent maintenant à crier. Les voix se déchaînent, montent dans les aigus, nous lais- sant supposer que les valeureux courants chassent à vue. À en croire ces récris, il semble évident que la chasse se dirige vers notre ligne. En effet, à l’extrémité de celle-ci, nous apercevons bientôt une harde conséquente de cervidés. Ce ne sont pas moins d’une quinzaine de biches et faons qui s’élancent bientôt avec vélocité au-dessus de l’allée. Leur passage déclenche aussitôt un feu des plus nourris, le biotope relativement ouvert permettant aux deux postés concernés de vider leurs carabines jusqu’à épuisement des stocks. Le résultat ne se fait pas attendre : trois de ces nobles cervidés s’écroulent sous les ogives des habiles tireurs. Les chiens se taisent, la forêt reprend ses droits. Il ne nous faut guère attendre plus de dix minutes avant d’apercevoir, à travers le rideau végétal, les silhouettes orange des rabatteurs. C’en est fini de cette toute première traque, qui aura duré moins d’une heure. Déjà, le rugissement d’un moteur diesel se fait entendre. Tandis que nous reprenons place à l’arrière de notre remorque, Anna, notre traductrice, s’empresse de no-
ter les noms des tireurs, les animaux prélevés, ainsi que le nombre de balles. Autant d’éléments qui alimenteront ce soir, lors de la présentation du tableau, le traditionnel et rigoureux protocole. Cet intermède est aussi l’occasion d’apprendre que de nombreux autres sujets, cervidés comme suidés, ont été aperçus sans pouvoir être tirés. Inutile de dire qu’à bord de notre attelage, l’ambiance est plutôt au beau fixe ; le bilan de ce tout début de séjour satisfait pour l’heure l’ensemble des protagonistes, qu’ils soient chasseurs ou organisateurs. À l’instar de ceux qui suivront, notre transfert vers la prochaine battue s’opère dans les plus brefs délais. Force est de constater que nos homologues polonais n’ont rien à nous envier côté organisation et effica- cité. Pour cette seconde traque, nous faisons exceptionnellement le choix d’abandonner les postés, pour accompagner conducteurs et limiers au coeur de la forêt. À peine avons-nous parcouru quelques dizaines de mètres que déjà les auxiliaires lancent trois cerfs, dont un très joli dix-cors. Au premier abord, le biotope que nous foulons semble plus propice aux « grandes-pattes » qu’aux sangliers. Sous les longs fûts des laricios, la végétation, plutôt rase, n’offre aucun des abris serrés qu’affectionnent tant les suidés. Une réflexion que nous avons déjà partagée avec Christian dès la première traque. Et pourtant, bêtes noires en nombre il y a, c’est certain. Nous ne tardons pas à en découvrir la raison. Au centre de ces immenses parcelles de pins, subsistent de- ci de- là quelques touffus carrés de courts feuillus, s’imposant de fait comme d’inévitables remises pour les sangliers. D’ailleurs, c’est en inspectant consciencieusement l’une d’entre elles que les courageux kopov lancent très vite une laie suitée de plusieurs bêtes rousses. Sur notre gauche, mais aussi face à nous, les déflagrations fusent. Ni celles-ci, ni les suivantes ne semblent pourtant émouvoir les costauds traqueurs. D’un pas rapide, sans jamais dévier, ils traversent l’enceinte et ne tardent à pas rejoindre la grande allée sur
laquelle les postés, attentifs, déchargent aussitôt leurs armes.
…et le coup attendu ne vient pas
C’est au terme d’une troisième traque matinale que nous nous retrouvons désormais pour le déjeuner. Au croisement de deux chemins, une batterie de tables a été spécialement dressée à notre attention. Un peu plus loin, au-dessus d’un feu rougeoyant, chauffe un plein faitout d’une soupe à base de viande et de légumes. Le temps d’avaler une assiette de ce brûlant et consistant potage, et déjà Jean-Claude Pigeon, fondateur de l’agence AND, appelle les tireurs par leur numéro. En cette saison, il ne faut guère espérer pouvoir tirer après 16h30, notre hôte le sait, et trois battues supplémentaires sont prévues pour cet après-midi. Acceptant l’invitation du voyagiste à l’accompagner, nous nous retrouvons, quelques instants plus tard, perchés au sommet d’un mirador placé à l’angle d’un sentier et d’une vaste clairière récemment déboisée. Au loin, un coup de pibole retentit avant que ne s’élève le tohu-bohu orchestré par les marcheurs et leurs dévoués compagnons. Les yeux ri- vés sur la lisière, attentif au moindre signe de vie, Jean-Claude est statufié. Un couple de geais crie avec fracas avant de prendre son envol. Trois ou quatre merles s’élèvent à leur tour. Plus que jamais nos sens sont en alerte. Soudain, une laie suitée de cinq sujets d’une quarantaine de kilos perce le rideau de bouleaux pour s’élancer à vive allure à l’assaut de la trouée. En plein clair, ces suidés sont a priori des cibles faciles pour le tireur chevronné qu’est Jean-Claude. La carabine monte d’ailleurs à l’épaule, mais le coup attendu ne vient pas. Curieusement, notre compagnon reste figé sur la coulée empruntée par les sangliers. Une, deux, trois secondes s’écoulent avant que ne surgisse, tout aussi subitement, un imposant mâle. L’index presse la queue de détente à deux reprises. La première balle le fait fléchir, la seconde le foudroie. L’écho résonne encore quand quatre détonations successives retentissent à leur tour. À l’autre bout de la clairière, avant que les premiers fuyards ne rembûchent, Damien, unique nemrod polonais de l’équipe, vient de s’offrir un quadruplé qu’il n’est pas près d’oublier. Deux traques plus tard, alors que la nuit enveloppe de son voile ténébreux la somptueuse futaie, ce sont des chasseurs plus qu’enthousiastes qui se rassemblent autour du relais de chasse. Au centre de ce surprenant édifice circulaire, sur des braises ardentes, crépitent morceaux d’échines et saucisses. Une collation plus que méritée pour ces zélés marcheurs sans lesquels nous n’aurions pas vécu cette exaltante journée. Dehors, à la lueur des flambeaux, le son envoûtant des trompes s’élève, rendant un ultime hommage au noble gibier, aux valeureux traqueurs, aux fins limiers et aux chasseurs passionnés. Aujourd’hui, proies et tireurs étaient au rendezvous. Il en sera tout autant les deux jours suivants. À l’issue de ce séjour, ce seront un peu plus d’une cinquantaine d’animaux qui seront prélevés : trois cerfs, deux chevrettes, le reste du tableau étant composé pour parts égales de biches et faons, et de sangliers. À l’aube du premier jour, Grzegorz et Jean-Claude Pigeon nous avaient promis une forêt tout aussi majestueuse que généreuse. Force est de constater qu’ils ne se sont pas trompés ! texte et photos Gérard Hagenet