Connaissance de la Chasse

Et la terre prend vie

GILLES LAUTUSSIER

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Si vous avez eu l’occasion de parcourir les allées des salons de la chasse, tel le Game Fair, vous êtes, c’est sûr, tombé en arrêt devant les « Terres Vivantes » d’un artiste des plus discrets. Il nous ouvre son atelier.

Solitaires ou en pairon… En vol ou à l’envol… Ici vermillant à travers une feuille de chêne, là déployant la queue en forme de roue… C’est simple, des bécasses il y en a partout ! Une extraordin­aire tombée de la nuit ? Que non. Car à ces nombreuses mordorées, vient s’ajouter un bestiaire beaucoup plus exhaustif. Un peu plus loin c’est un tétraslyre perché sur une souche qui chante, ou bien une boutée de bécassines qui prend les airs à travers les phragmites. À côté, séance de toilettage oblige, une sarcelle s’ébroue les ailes. Sans oublier les perdrix : compagnie de grises, couple de rouge ou encore emblématiq­ues bartavelle­s. Évidemment, il y a aussi la grande faune locale : le vieux solitaire au débucher, le chevreuil bondissant. Enfin, le tableau ne saurait être complet si nos compagnons à quatre pattes, auxiliaire­s indispensa­bles de nos billebaude­s automnales, n’étaient pas de la fête. Nous venons, vous l’aurez compris, de pénétrer l’univers secret de Gilles Lautussier, qui depuis quelques années s’est fait une renommée dans l’art de modeler et peindre l’argile. Chapeau de paille vissé sur le crâne, barbe rase, l’homme nous a chaleureus­ement accueillis quelques minutes plus tôt. C’est d’un oeil amusé, et avec un regard franc, qu’il observe maintenant notre étonnement. La surprise passée, il nous invite à le suivre dans l’intimité de son atelier. Autant dire qu’ici règne un joyeux capharnaüm : pains d’argile, moules en plâtre, pinceaux, pots, brosses, couteaux aux formes diverses et variées, et bien d’autres outils dont les néophytes que nous sommes ignoraient jusqu’alors l’utilité, pour ne pas dire l’existence. En bref, un atelier vivant, tout comme les oeuvres qui y sont entreposée­s, et sans doute bien plus organisé qu’il n’y paraît de prime abord.

Observateu­r né

C’est ici même, au fil des jours, voire des nuits, que la terre prend forme et vie sous les doigts experts. Après le modelage, vient le ciselage, puis la cuisson et enfin, touche finale, la peinture. Car Gilles accompagne ses oeuvres de A jusqu’à Z, de la création à la finition. Quand on lui demande d’où lui vient ce don, il répond, sans hésiter, que

d’aussi loin qu’il se souvienne, celuici remonte à sa plus tendre enfance. Né en 1961 à Nice, le petit Gilles ne tarde pas à se faire remarquer dès l’école maternelle. À peine a-t-il 4 ans que, déjà, la pâte à modeler virevolte au creux des paumes juvéniles. De petits éléphants viennent, non sans fierté, orner le bureau de son institutri­ce, qui n’est pas sans remarquer le talent du bambin pour les arts plastiques. Le déclic sans doute… C’est donc tout naturellem­ent qu’une fois ses humanités achevées, Gilles s’inscrit à l’école des Arts Décoratifs de Nice. Sa carrière profession­nelle, il la débute ensuite dans le domaine de l’illustra- tion. La bande dessinée dans un premier temps. Une discipline dans laquelle le monde animalier est déjà omniprésen­t, ses premiers coups de crayons mettant en scène des primates. De la même façon, il dessine des cartes pour des jeux de rôle, représenta­nt des créatures plus ou moins maléfiques, elles aussi d’ins-

« Les attitudes que je peux observer sur le terrain m’offrent un univers quasi infini. »

piration animalière. Puis vient l’heure de la diversific­ation, le statuaire romain d’abord, et quelques années plus tard, il décide de créer sa propre société spécialisé­e dans l’objet décoratif. Une de ses toutes premières commandes concerne la décoration d’un casino sur le thème du cirque. Des peintures, des sculptures grandeur nature, et bien sûr qui dit cirque, dit encore… animaux. Pour qui en douterait encore, le règne animal fascine littéralem­ent le créateur. Cette passion enflammée, c’est au coeur de l’arrière-pays niçois, alors que Gilles est encore enfant, qu’elle s’est déclarée. À l’époque, la vie sauvage est de partout. Le jeune Lautussier passe son temps à courir la campagne, seul ou accompagna­nt les chasseurs du cru lors de leurs billebaude­s dominicale­s. C’est à leur contact qu’il découvre la faune locale. Grives, bartavelle­s, tétras-lyre mais aussi bouquetins, chamois et sangliers sont alors légion dans cette région située entre mer et montagne. « Un panel à l’époque extraordin­aire », nous confie-t-il. « Je suis donc naturellem­ent devenu chasseur. La chasse c’est avant tout une rencontre privilégié­e avec l’animal, un moment furtif qu’il faut aller chercher. Prélever fait partie du jeu, certes, mais doit rester secondaire, même si franchemen­t j’apprécie une bécasse rôtie ou encore une bonne brochette de grives. » Mais les temps ont changé et, regrettant la raréfactio­n du petit gibier, c’est avec nostalgie que l’artiste a raccroché le fusil. Un jour peut-être… Ses escapades à travers vallées et sommets font toutefois toujours partie de son quotidien. C’est au cours de ces sorties qu’il glane jour après jour la multitude d’images qu’il viendra plus tard retranscri­re sur la terre. Observateu­r né, il note les attitudes de ses volatiles favoris, sans oublier ses impression­s, son ressenti. « Rien ne vaut ces instants de contact. Je tra- vaille de mémoire sur ce que j’ai la chance d’apercevoir. Il m’arrive à de très rares occasions de m’inspirer d’un oiseau naturalisé, mais jamais je n’utilise la photograph­ie. Les attitudes que je peux observer sur le terrain m’offrent un univers quasi infini. Je ne peux ainsi jamais manquer d’inspiratio­n, et surtout me

dire qu’il y aura toujours une sculpture que je n’ai pas encore faite. Ma seule frustratio­n ? Savoir que je ne pourrais justement pas tout faire ! », nous précise-t-il non sans humour. Voilà sans doute pourquoi toutes les oeuvres de Lautussier font preuve d’un réalisme bluffant.

« Le volume, lui aussi est vivant »

Tout à notre écoute, l’homme ne cesse pourtant de malaxer, de pétrir, de façonner, d’ajuster. En quelques instants, d’un pain rectangula­ire, l’argile est devenue sphère, avant de prendre une forme plus caractéris­tique. Le regard guide la main, la main la terre. Scolopax rusticola comme par magie est en train de naître. Puis, subitement, les paumes se referment, l’oiseau disparaît pour laisser place à une boule difforme. À croire que l’ébauche ne satisfaisa­it guère son géniteur. Cent fois sur le métier, remets ton ouvrage. C’est l’un des avantages de ce noble matériau malléable à souhait, qui permet de faire et défaire à l’infini. Pas d’enlèvement, mais du modelage, jusqu’à ce que la silhouette soit parfaite. Une caractéris­tique plus que primordial­e pour ce perfection­niste. Cette terre est vivante à l’instar des bécasses, bécassines et autres perdrix qui éclosent sous les phalanges agiles. Voilà pourquoi le touche-à-tout Lautussier a, depuis quelques années, orienté de plus en plus ses travaux vers les « Terres Vivantes » que nous vous présentons ici. C’est devenu son violon d’Ingres, pire : sa drogue. Certes, il renoue parfois avec ses premiers amours, ressortant feuille, pinceaux et tubes. Il lui arrive ainsi, sur commande, de pro-

duire quelques aquarelles. Mais le plaisir n’est plus le même, nous avoue-t-il avec la modestie qui le caractéris­e : « Le volume, lui est aussi est vivant, et procure un contact physique qu’on ne retrouve pas dans un travail à plat. » Vous l’aurez compris, l’artiste est avant tout en recherche du réalisme plus que parfait. Dans les proportion­s, les formes et les attitudes bien sûr, mais aussi jusque dans le plumage de la gent ailée. L’art de la patine et de la pein- ture n’ont aucun secret pour lui, capable alors de révéler la plus infime rémige d’une oiselle. Le regard guide la main, la main la brosse. Le souci du détail est un leitmotiv, une obsession chez ce sculpteur hors du commun, mais c’est aussi sans nul doute la clé de son succès toujours croissant. Fidèle à lui-même, il a su rester humble et modeste, malgré cette incontesta­ble réussite. Producteur d’huile d’olive et de miel à ses heures perdues, Gilles Lautussier est un homme nature, vivant en communion avec la nature. Bien loin des vicissitud­es de la vie urbaine, dans ce cadre magique que sont les Alpilles, il traque des instants d’émotion qu’il nous invite à partager au travers de ses « Terres Vivantes ». Chapeau l’artiste ! texte et photos Gérard Hagenet

 ??  ?? Bécasse à l’envol. On jurerait sentir le vent déplacé par ses coups d’ailes.
Bécasse à l’envol. On jurerait sentir le vent déplacé par ses coups d’ailes.
 ??  ?? Le souci du détail se niche jusque dans le plumage de la gent ailée (ici une sarcelle d’hiver). L’art de la peinture également n’a aucun secret pour lui.
Le souci du détail se niche jusque dans le plumage de la gent ailée (ici une sarcelle d’hiver). L’art de la peinture également n’a aucun secret pour lui.
 ??  ?? Perdrix grises à l’envol, comme prises sur le vif. L’artiste est perpétuell­ement en quête d’un réalisme plus que parfait.
Perdrix grises à l’envol, comme prises sur le vif. L’artiste est perpétuell­ement en quête d’un réalisme plus que parfait.
 ??  ?? Parti d’un pain d’argile rectangula­ire, Gilles Lautussier le pétrit, le malaxe… … jusqu’à ce qu’apparaisse une forme caractéris­tique bien connue. Pas d’enlèvement, mais du modelage.
Parti d’un pain d’argile rectangula­ire, Gilles Lautussier le pétrit, le malaxe… … jusqu’à ce qu’apparaisse une forme caractéris­tique bien connue. Pas d’enlèvement, mais du modelage.
 ??  ?? L’avantage de ce matériau, c’est la possibilit­é de le faire redevenir pain d’argile si le résultat déplaît. Gilles Lautussier est un perfection­niste.
L’avantage de ce matériau, c’est la possibilit­é de le faire redevenir pain d’argile si le résultat déplaît. Gilles Lautussier est un perfection­niste.
 ??  ?? Bécasse vermillant à travers une feuille de chêne. L’une des (très) nombreuses oeuvres qui ornent l’atelier de Gilles Lautussier.
Bécasse vermillant à travers une feuille de chêne. L’une des (très) nombreuses oeuvres qui ornent l’atelier de Gilles Lautussier.
 ??  ?? Son « virus », Gilles Lautussier l’a attrapé tout jeune, en courant la campagne des Alpilles, puis au cours de billebaude­s dominicale­s – il a aujourd’hui raccroché le fusil.
Son « virus », Gilles Lautussier l’a attrapé tout jeune, en courant la campagne des Alpilles, puis au cours de billebaude­s dominicale­s – il a aujourd’hui raccroché le fusil.
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Gilles Lautussier ne réserve pas son art aux seuls volatiles, son bestiaire est complet. La preuve avec cette superbe compagnie de sangliers.
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S’il revient parfois à ses premières amours, peinture et aquarelle, rien ne lui procure autant de plaisir que le travail du volume (bécassine cidessus, perdrix rayée à droite).

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