La brousse au corps
AVEC MARCEL TIRAN
Vous venez d’inaugurer un tout nouveau site Internet. Présentez-nous ce support...
Marcel Tiran : Après trois ans de services, j’ai voulu donner un nouveau souffle à mon support internet. Cette refonte m’a permis d’inclure une multitude de renseignements. Étant plus de dix mois par an en Afrique, je veux, à travers ce site, faire partager ma passion. Chaque journée passée en brousse est unique et réserve souvent des rencontres surprenantes. J’espère vraiment que cette nouvelle interface plaira. Mise à jour régulièrement, cette vitrine me permet aussi de proposer les destinations qui me sont chères : la Centrafrique et le Mozambique. Je vous invite à découvrir tout cela au plus vite.
Vous allez devenir très prochainement le manager de la compagnie Central African Wildlife Adventures. Présentez-nous cette structure, ses territoires, ses fondateurs…
Central African Wildlife Adventures (Cawa) a été fondé en 2006 par Emelie et Erik Mararv. Tous les deux ont grandi en Rca et Erik est même né dans ce pays. Après avoir débuté sa carrière dans le nord, comme guide de chasse, il a décidé avec son épouse de partir explorer l’une des régions les plus éloignées : le bassin du Chinko, dans l’est. Après une année de prospection, ils ont pris ensemble la décision de créer Cawa. L’idée était de mettre en place une
La chasse est une histoire de famille pour Marcel Tiran. Une histoire qu’il perpétue en Centrafrique
où il s’investit davantage encore, et au Mozambique. Rencontre avec un homme
discret mais déterminé.
organisation de chasse dans l’une des régions les plus éloignées d’Afrique centrale. Ils voulaient offrir aux chasseurs quelque chose de nouveau dans un contexte totalement différent. Aujourd’hui la société a amodié, pour quinze ans, trois secteurs de chasse qui représentent 570 000 hectares dans un secteur qui est géré par le Projet Chinko. Ces secteurs de chasse offrent à notre clientèle internationale la possibilité de chasser, sur les mêmes territoires, les animaux de savane et ceux de forêt. La philosophie de notre compagnie est d’exploiter et de gérer durablement ces zones dans le souci permanent de la protection de la faune.
Quel va être précisément votre rôle ?
Responsable de Cawa en Centrafrique, je vais travailler en étroite collaboration avec les autorités du pays et le Projet Chinko. Comme manager, je serai sur zone dès le mois d’octobre afin de planifier dans les moindres détails le bon déroulement de notre saison de chasse qui commencera début décembre. Nous avons quatre camps, chassons sur 570000 ha avec un réseau de 2 000 km de pistes de chasse. Même si en intersaison, des équipes s’occupent de tout cela, après les pluies tout doit être refait. Pour être opérationnel début décembre, il faut beaucoup de présence sur le terrain et d’investissement personnel. J’aurai autour de moi une équipe sur qui je peux compter et m’appuyer. Il me faudra aussi superviser le bon déroulement de nos safaris. Plusieurs guides de chasse, de différentes nationalités, travaillent pour nous. Il faudra que je leur facilite au maximum la tâche et leur enlève tout souci. Je sais trop ce que représentent pour un professionnel ces difficultés quand on doit gérer un camp et chasser en même temps ! Une fois la saison finie et les camps fermés, je m’assurerai que tout est en ordre pour que nos chasseurs reçoivent leurs trophées en parfait état, le plus rapidement possible.
Allez-vous continuer à guider malgré cette nouvelle fonction ?
Oui, tout à fait, mais de façon plus aléatoire et plus occasionnelle. Rassurez-vous, la passion est toujours en moi !
Quelles espèces sont les mieux représentées sur les zones de Cawa ?
Il faut d’abord savoir que nos zones renferment une fabuleuse biodiversité. Nous pouvons passer, en quelques kilomètres, de secteurs totalement ouverts à d’autres vallonnés et entrecoupés de grandes galeries forestières. Cela peut nous permettre, par exemple, de pister l’éland de Derby le matin, et l’aprèsmidi d’être en milieu forestier à la recherche d’hylochères ou de traces de bongos pour le lendemain. Ces trois espèces, ainsi que le léopard, le cob defassa, les céphalophes (dos jaune, bleu, Weyns, Bai), le buffle
« Gérer durablement nos zones avec le souci permanent de la protection
de la faune »
ou encore le potamochère sont très bien représentés. La qualité des animaux que nous prélevons chaque année est assez exceptionnelle. Plusieurs élands de Derby et bongos se situent dans les tout premiers rangs mondiaux. De même, les léopards n’ont rien à envier à ceux tirés dans certains pays anglophones. Les lions sont également présents mais nous avons décidé de ne pas faire de demande de licence pour les deux prochaines années.
Sera-t-il réellement possible de chasser en toute sécurité en Rca la saison prochaine ?
Dans le contexte actuel, je sais que pour certains nous pouvons passer pour des inconscients et pour des irresponsables en proposant et en organisant des chasses en Rca. Depuis septembre, les forces de l’Onu sont déployées sur l’ensemble du territoire centrafricain et sécurisent l’aéroport, les hôtels et une grande partie des provinces du pays. Il faut également savoir que nos zones de chasse sont situées à plus de 100 kilomètres de toute habitation et que lors de l’arrivée et du départ de nos chasseurs à Bangui, ceux-ci sont totalement pris en charge par notre organisation. Cette année, nous avons reçu plusieurs chasseurs, en grande partie de nationalité américaine. Tous sont arrivés et repartis sans problème. Deux autres organisations françaises, opérant dans la même région que nous, ont également reçu quelques chasseurs. Dire que le risque zéro n’existe pas serait mentir. Chasser dans les contrées lointaines implique toujours un minimum de risques. Je crois que c’est à chacun de décider.
Qu’est-ce que le « Project Chinko » ?
Le Projet Chinko (www.chinkoproject.com) est une Ong à but non lucratif, fondée en Rca. Il a vu le jour sous l’impulsion d’Erik Mararv et d’un groupe de personnes issues de différents horizons, toutes soucieuses de protéger et de développer l’une des parties les plus sauvages et reculées d’Afrique centrale : le bassin du Chinko. Pour ce faire, quatre zones (classées par le gouvernement centrafricain comme zones de chasse) ont été amodiées et a été créée une réserve dénommée « Zone de protection du Chinko ». Cette entité a ensuite été divisée en douze blocs. Onze sont classés comme territoires de chasse avec comme but leur développement économique par le tourisme de vision, la chasse
et la pêche. Le douzième est devenu un parc national, situé au centre de cette grande réserve.
Et Cawa dans tout cela ?
Cawa a amodié pour quinze ans trois des blocs et une autre société nous rejoindra l’année prochaine. L’idée bien évidemment est de louer les sept zones restantes à d’autres organisations de chasse. Le Projet Chinko étant une Ong à but non lucratif, les revenus de ces amodiations seront utilisés pour la gestion de la réserve. Un accord de 50 ans avec l’État centrafricain a été signé dans cette optique en début d’année. Ainsi, depuis plusieurs mois, le Projet a commencé la formation des gardes-chasses pour la surveillance de cet immense territoire. L’organisation travaillera également en étroite collaboration avec le groupe African Parks (www.african-parks.org) pour assurer le fonctionnement, le financement et l’aménagement de la zone sur le long terme.
Vous proposez également des safaris au Mozambique… Le territoire couvre une superficie de 400 000 hectares et se situe dans la province de Niassa, au nord du Mozambique. La zone se compose de plaines, de forêts de Miombo et de nombreux inselbergs, qui sont des petits massifs isolés dominant les plaines. L’organisation a voulu faire de ce petit paradis un lieu unique dans lequel elle aime recevoir ses clients dans d’excellentes conditions. Entre 10 et 15 chasseurs seulement sont reçus chaque année. Pour les accompagnateurs, il est possible de faire des sorties sur la zone de chasse car de très nombreux points d’eau ont été aménagés. Le camp dispose d’une piscine et d’un accès à internet en connexion Wifi. Je chasse sur ce territoire de la mi-juillet à fin septembre.
Quels animaux phares faites-vous chasser là-bas ?
Grâce à une gestion rigoureuse de l’ensemble du territoire, la diversité des espèces que l’on peut approcher au quotidien est simplement incroyable. Mais la chasse se veut avant tout sportive. Éléphants, lions, léopards, buffles, sables, koudous, bubales du Lichtenstein, gnous du Niassa, élands, impalas, guibs, zèbres sont présents sur le territoire. Bien que je n’aime pas parler de pourcentages de réussite, sachez tout de même que nos résultats oscillent
entre 70 % (lion) et 90 % (buffle, sable, éléphant…) en passant par 80 % pour le léopard. La magie de cette zone tient également à la combinaison entre son authenticité et son organisation parfaite. À Niassa, on vit de vraies aventures de chasse mais pas de galères…
Si vous ne deviez plus désormais faire chasser qu’une seule espèce, quelle serait-elle ?
La chasse au pistage reste pour moi l’une des plus belles. Éland de Derby, buffle, lion, éléphant, sont les espèces que j’affectionne tout particulièrement, avec une préférence pour l’antilope géante. L’endurance et la persévérance sont, pour cette chasse, les clés de la réussite.
Comment envisagez-vous l’avenir de la grande chasse africaine ?
De nombreux pays africains traversent actuellement de graves crises et le lobbying des anti-chasse est de plus en plus important. Plusieurs études démontrent cependant que dans les États où une gestion rigoureuse est faite, la faune est présente et en augmentation constante. L’un des plus beaux exemples de réussite est la gestion de la réserve de Zakouma, au Tchad, par le projet African Parks. Les mentalités changent et nous en avons tous pris conscience. Je pense donc que la grande chasse en Afrique a encore de beaux jours devant elle.
Le mot de la fin…
Voilà maintenant plus de trente-cinq ans que je chasse en Afrique et le fait de pouvoir, à travers un nouveau projet, contribuer modestement à la sauvegarde de la faune centrafricaine me fait dire que j’ai encore en moi le feu sacré. Certes, cela ne sera pas facile et nous rencontrerons de nombreuses difficultés. Ce sera un travail long et compliqué mais une petite voix me dit : « Pas de mollesse Marcel » !
propos recueillis par Philippe Aillery