Heureusement…
Problème d’aiguillage, vol de câble ou feuilles sur les voies, peu importe la cause, ce qui est certain c’est que nous roulions à un train de sénateur. Il ne manquait que le chauffage dans le wagon surpeuplé de la Sncf. La lenteur – administrativement dit vitesse réduite – ainsi que la lumière faiblarde créaient une ambiance apaisante, propice aux confidences. Quatre usagers – le terme client n’ayant pas sa place entre grèves et perturbations – avaient trouvé refuge dans un carré de ce train d’hyper banlieue. Parce qu’ils avaient annexé des places assises, ceux-ci étaient regardés comme autant de privilégiés. Les voyageurs en station debout et compressés lorgnaient les places tels des charognards, chacun espérant fondre sur le gîte sitôt libéré lors de l’arrêt suivant. Il n’en fut rien, l’homme et les trois femmes causaient de bon matin. La promiscuité aidant, nous apprîmes que nos quatre amis habitaient entre Beauce et lisières des forêts des Yvelines. Il fut question de trajets routiers, de circulation en forêt, à la nuit, dans le brouillard ou par temps brumeux. Et de grand gibier, cerfs, chevreuils et sangliers. Soudain, ce fut le choc ! Non pas celui qu’aurait pu subir notre train, pour cela il aurait dû acquérir quelque élan. L’homme de clamer : « Heureusement qu’il y a les chasseurs ! » Un regard furtif nous indiqua qu’aucun attribut ne trahissait l’éventuel collègue. Simplement un banlieusard et ses amies évoquant les risques de collision routière avec la grande faune. Ces dames opinèrent du chef lorsque le meneur répéta avec certitude : « Heureusement qu’ils sont là ! » J’aurais aimé embrasser l’honnête homme mais la pudeur ainsi que la difficulté à se mouvoir dans les couloirs bondés m’en empêchèrent. Certes, nous ne chassons pas pour gérer la faune, ni pour réguler, nous chassons pour le plaisir, la liberté, la poésie. Sinon quid de la chasse de la perdrix ou de la bécasse, quid des cueillettes que sont la chasse au vol ou la vènerie ? Toutefois, si nous considérons que le grand public accepte l’idée même de la chasse au nom de la régulation, qu’il nous donne un quasi blanc-seing pour agir, pourquoi ne pas savourer la reconnaissance, la confiance ? Après tout, cette mission que nous confient nos contemporains participe à la légitimité de notre acte. Et couvre d’une aile protectrice les autres pratiques cynégétiques. Finalement, tout dogme ne finit-il pas par se briser sur le mur des réalités ?
Le lundi 1er décembre dernier, nous avons salué une ultime fois Alain F. Gheerbrant. Il avait débuté sa collaboration à Connaissance de la Chasse il y a plus de vingt ans, avant de devenir un pilier d’Armes de Chasse. Outre ses connaissances en matière d’armes, de munitions, de balistique et de rechargement, Alain se singularisait par son élégance, physique et morale. Ce que nous aurions pu considérer comme une sorte de légèreté relevait en réalité d’une philosophie fondée sur la curiosité, le savoir et la bienveillance. Paix à votre âme, cher Alain [lire hommage page 22].
L’équipe de Connaissance de la Chasse vous souhaite de belles fêtes de fin d’année et vous présente ses meilleurs voeux pour 2015. Bonne lecture à toutes et à tous.
François-Xavier Allonneau fx.allonneau@editions-lariviere.fr