La p’tite culotte et le capucin
Vécu, nouvelle inédite de Jean-Paul Bouchet
la gerbe de plomb de mon père. Les Brunos débusquèrent encore un autre lièvre qui échappa aux chasseurs et qui emporta les chiens au diable vauvert. En fin de matinée, revenant à la voiture, ils croisèrent Albert qui ne décolérait pas. Il s’était fait calotter effrontément un oreillard devant ses Lucernois à moins de trois cents mètres de lui et il était certain que c’était encore Rambart. Ses chiens avaient mis bas et pour preuve, il avait trouvé du poil et du sang au coup de feu. Ils longèrent l’orée du bois et passèrent devant la petite culotte. Grand-père, goguenard, commença à narrer l’histoire de cette découverte puis se tut en annonçant avec un sourire énigmatique qu’il savait comment se débarrasser de Rambart. Il l’avait entendu plusieurs fois se plaindre de la jalousie maladive de son épouse. Elle ne supportait pas la présence d’autres femmes autour de son mari et, selon elle, la seule activité strictement masculine était la Chasse. Grand-père avec un regard de visionnaire échafauda son stratagème : le traître poserait sa veste au carnier entrouvert sur la table de la tonnelle du bistrot. Il vanterait encore le flair incomparable de Bobette. Il se pavanerait encore une fois, probablement la dernière, en mimant la culbute du lièvre… Il suffisait qu’une main habile glisse la petite culotte dans le carnier de sa veste… sur le capucin… pour être sûr que la preuve de son infidélité fictive tombe aux pieds de sa charmante épouse… Elle pousserait des cris d’orfraie… Il jurerait par tous les grands dieux que… Conclusion : il serait privé de Chasse… Oui ! C’était un bon plan, simple comme tous les bons plans. Grand-père s’était attablé avec son fils et Albert sous la tonnelle du café des grandes baraques. Les trois hommes avaient scruté toutes les tables mais n’avaient pas aperçu le mari pseudoadultère. Les chasseurs, heureux de se retrouver, arrivaient par petits groupes et le cafetier débouchait les bouteilles qui passaient de main en main dans un joyeux brouhaha. Le père Bouchet s’impatientait et s’étonna de l’absence de Rambart devant le patron qui le rassura. Il était passé en coup de vent boire une chopine car il avait promis à sa femme de rentrer tôt pour recevoir des invités. Il était content d’avoir tué un lièvre d’au moins neuf livres. Albert s’étouffa en buvant une gorgée de savagnin et Grand-père jura entre ses dents, mécontent de remettre son plan au dimanche suivant. Il s’efforça de cacher sa déception et oublia la petite culotte jusqu’au soir quand il sortit fièrement de son carnier, devant sa femme, une perdrix dont une patte était emmaillotée dans la fine dentelle… Mon père arrêtait la narration à ce moment. Il éclatait de rire et concluait : – Ma mère n’était pas jalouse mais il ne fallait pas la provoquer… Quant à la petite culotte, elle a fini sur les braises de la cuisinière à bois !