L’ours a bon appétit, et alors ?
Une équipe de scientifiques allemands et slovaques a étudié l’impact des activités humaines sur l’alimentation et la sélection de l’habitat par des ours bruns des montagnes Pol’ana au centre de la Slovaquie. La zone d’étude, d’une superficie de 44450 ha, s’étage entre 400 et 1 458 m d’altitude. Elle est couverte à 75 % par une forêt de hêtres, sapins et épicéas. En outre, de nombreux arbres fruitiers sauvages ou cultivés sont répartis sur l’ensemble de la zone. Des cerfs, chevreuils et sangliers y sont présents en grosses densités. Une cinquantaine d’ours, une dizaine de lynx et deux meutes de loups sont leurs principaux prédateurs. Les scientifiques ont : - d’une part collecté sur le terrain 243 crottes d’ours entre 2006 et 2010 pour étudier leur régime alimentaire ; - d’autre part, capturé en 2012, 5 ours mâles et 2 femelles dans des cages pièges métalliques pour, sous anesthésie, les équiper de colliers Gps.
Résultats : - entre le 20 juin et le 20 septembre, période de maturation et récolte des blés, avoines, orges, pommes de terre et maïs, 11610 localisations Gps ont été analysées afin de comprendre comment les ours utilisaient les cultures agricoles ; - les animaux sauvages et les plantes cultivées sont pour les ours une importante et régulière source d’énergie du printemps à l’hiver ; - la venaison de cerf est consommée pendant toute cette période, comme celle des sangliers dont la consommation cesse cependant en fin d’été ; - les insectes et les fruits complètent l’alimentation en été ; - dans les champs cultivés, le maïs est la céréale la plus consommée et les ours en trouvent aussi toute l’année sur les places d’affouragement des ongulés alimentées par les chasseurs ; - les faînes et les glands sont très recherchés en automne et hiver et contribuent à plus de 50 % aux besoins énergétiques des ours à ces périodes. L’alimentation carnée des ours des montagnes Pol’ana, plus importante que celle des ours d’autres contrées d’Europe centrale ou du Sud, peut s’expliquer, d’après les scientifiques, par les fortes densités d’ongulés de cette zone très réputée pour la chasse. Les chasseurs y abandonnent 5,8 tonnes de viscères lors des éviscérations des 195 ongulés prélevés par an en moyenne. De plus, les ours profitent des restes des proies des loups et de la mortalité naturelle. La sélection des habitats par les ours est par contre très peu influencée par les activités humaines, les ours préférant s’alimenter en milieu forestier plutôt que dans les champs cultivés. Seuls les ours mâles adultes ont montré un grand intérêt pour les champs de maïs mais tous, quel que soit leur âge et sexe, fréquentent les points d’affouragement mis en place par les chasseurs. Cet apport de nourriture très énergétique pourrait accroître le succès de reproduction des ours : entre 1968 et 2014, la population d’ours a augmenté sur la zone d’étude. Moralité, pourquoi se servir ailleurs quand on a tout sur place ? Fruits forestiers, venaison et maïs apporté par les chasseurs abondent au menu des ours de Pol’ana. Jean-Michel Jullien D’après Human impacts on bear feeding habits and habitat selection in the Pol’ana Mountains, Slovakia, European Journal of Wildlife Research, Michaela Skuban, Slavomir Findo et Matus Kajba.