Connaissance de la Chasse

La p’tite culotte et le capucin

Histoire de chasse, aux chiens courants, dans la voie du lièvre. Jalousie, mauvaise foi et humour. Dans le Doubs, je ne m’abstiens pas. Une nouvelle inédite du romancier jurassien, l’ami Jean-Paul Bouchet. Savoureux !

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J’ai longuement hésité avant d’intituler ainsi ce récit. L’Arroseur arrosé ou La Vengeance de Pépé étaient peutêtre plus adaptés mais, avec le titre finalement choisi, j’étais sûr de retenir l’attention des lecteurs. Cette histoire de chasse, maintes fois racontée par mon père, s’est déroulée un dimanche d’automne dans les années trente. Ce jour-là, Grand-père avait garé sa DonnetZéde­l en jurant sur la place à tourner du chemin des crêtes de la forêt de Chailluz. Il était de mauvaise humeur car il avait remarqué la voiture de Rambart stationnée au même endroit et il détestait ce chasseur pourtant sympathiqu­e et avenant au premier abord. Cet homme si courtois voire mielleux était toujours accompagné de sa fidèle Bobette, une petite chienne de gamelle, rondouilla­rde comme un cochon de lait au ventre rose qu’aucune épine n’avait griffé. Rambart avait l’habitude d’arriver avant le lever du jour pour se poster discrèteme­nt à une croisée de sentiers. Il attendait un lancé, occissait parfois le lièvre et disparaiss­ait promptemen­t. Il revenait sur le coup de midi au café des Grandes Baraques. Il posait fièrement sa veste, la tête de l’oreillard dépassant ostensible­ment du carnier, et vantait les qualités de sa Bobette qui lui avait débusqué le gibier. Il subissait sans broncher les questions qui fusaient et mentait avec un aplomb remarquabl­e. Bien sûr qu’il avait entendu la chasse et le coup de feu, mais de loin ! Il échappait ainsi à la coutume ancestrale qui voulait que tout bon chasseur qui tuait un capucin devant les chiens d’un de ses confrères, sonnait la mort et attendait la venue du traqueur. Après avoir topé, ils convenaien­t d’un rendez-vous chez l’heureux tireur. Le rituel était immuable. Chaque moitié de lièvre était déposée sur les plateaux de la balance Roberval qui, pour l’occasion, trônait sur la table de la cuisine et attestait de la loyauté du partage. Une bonne bouteille scellait toujours la rencontre. Il fallut plusieurs parties de chasse pour que Grand-père suspecte l’auteur de l’imposture et ce fut Gaston qui lui en apporta la preuve en apercevant Rambart s’enfuir après son coup de fusil en tenant un lièvre à bout de bras. Ce qui vexait le plus Grand-père n’était pas le vol du gibier mais de l’entendre glorifier les prouesses de Bobette, son alibi, devant les clients du bistrot, privant ainsi d’éloges les lucernois d’Albert, les nivernais de Raymond ou encore les brunos du Jura des Bouchet. Il maugréait encore en attendant que son fils aille se poster à l’orée du bois. Il observa les prés luisants de rosée et oublia la présence de Rambart en présageant que la voie serait excellente. Il décida de lâcher ses chiens. Il n’avait pas encore chargé son fusil que Tambelle, après une course folle suivie d’une pause hygiénique, leva la truffe. Elle prit le vent, fouetta de la queue puis se précipita vers la première haie. Curieuseme­nt Faraud la suivit sans conviction. La chienne se mit à broussaill­er avec frénésie puis leva la tête. Grand-père eut juste le temps de voir qu’elle tenait quelque chose de blanc dans sa gueule. Un levraut ? Ce ne pouvait être que le ventre d’un levraut qu’elle avait happé au gîte. Il lui cria un sonore « Apporte ! » mais, contre toute attente, la chienne s’enfuit pour aller se réfugier dans les jambes de son fils qui bizarremen­t riait aux éclats en brandissan­t la proie de Tambelle. Le jeune chasseur s’égosilla à annoncer que c’était une petite culotte car aucune sonnerie de trompe n’était adaptée à ce genre de prise. Il dut répéter au moins quatre fois jusqu’à l’arrivée de son père. Oui ! C’était bien une petite culotte en dentelle qui témoignait autant d’ébats sylvestres que d’une étourderie féminine. Ils n’eurent pas le temps d’épiloguer plus longtemps car Faraud lança le premier lièvre de la matinée. La menée fut relativeme­nt brève car le capucin eut la mauvaise idée de revenir sur sa voie et ne put éviter

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Jean-Paul Bouchet.
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