Tourterelle des bois: toujours chassable ?
GESTION ADAPTATIVE, LE MAÎTRE MOT
Gibier de choix pour certains d’entre nous, la tourterelle des bois compte parmi les cinq espèces de colombidés chassables de l’Hexagone. Grande migratrice, elle n’offre que peu de jours de chasse à ses amateurs français. Pourtant, la chute de ses effectifs réclame des mesures drastiques pour favoriser sa conservation. En France… et ailleurs.
1. Hivernage africain
La dernière décade d’avril et la première quinzaine de mai sonnent, chaque année, l’arrivée progressive des tourterelles des bois dans notre pays ainsi que dans une vaste partie de l’Europe. Ces voyageuses proviennent alors d’Afrique où elles ont passé l’hiver au chaud entre le 10e et le 20e degré de latitude nord, ce qui correspond à la zone sahélo-soudanienne. Le Sud-Ouest du Mali, le Sud du Niger, le Burkina Faso, le Nord de la Guinée et surtout la Sénégambie accueillent en hivernage l’essentiel des effectifs d’Europe occidentale. D’autres pays africains abritent des tourterelles des bois, mais celles-ci émanent en grande majorité d’Europe centrale.
2. Migrations et reproduction
Les migrations prénuptiales et postnuptiales, effectuées en bandes d’importances diverses, se déroulent de nuit et passent le plus souvent inaperçues. À l’heure de la remontée, les petits colombidés se dispersent alors dans les secteurs bocagers pour nidifier. Leur aire de reproduction s’étend du Portugal jusqu’à l’Oural, et entre le 35e parallèle et le 65e degré de latitude nord.
3. Une chute vertigineuse des effectifs
Il s’avère que, contrairement aux autres variétés de colombidés nidifiant en France (pigeon ramier, pigeon colombin, pigeon biset et tourterelle turque) dont les populations prospèrent allègrement ou restent stables, celle dite « européenne » de tourterelle des bois affiche un effectif en déclin de 79 % depuis ces trente-cinq dernières années. Ainsi, l’Union internationale pour la conservation de la nature (Iucn) a changé le classement de l’espèce en 2015 en la faisant passer de la catégorie « quasi-menacée » à « vulnérable » . Ce déclassement à l’échelle de l’Europe concerne bien évidemment aussi la France puisque l’on sait que l’abondance de la fameuse tourterelle a diminué, dans notre pays, de 21 % entre 1996 et 2014 après avoir connu augmentation et stabilité puis une nouvelle augmentation au cours des années 1980 à 1990.
4. Population mondiale
Il est cependant bien compliqué de quantifier avec précision le nombre d’individus composant la population européenne. Certains auteurs avancent la fourchette de 1,9 à 3,2 millions de couples en Europe (hors Russie et Turquie) dont 10 à 13 % se reproduiraient en France.
5. Où chasse-t-on l’oiseau en Europe ?
Inscrite à l’annexe II, partie B, de la directive européenne 2009/147/CE dite « Oiseaux », la tourterelle des
bois est chassable dans dix pays de l’Union européenne : Autriche, Bulgarie, Grèce, Espagne, France, Italie, Chypre, Hongrie, Roumanie et Portugal.
6. Combien en chasse-t-on en Europe ?
Parmi les points d’appui des scientifiques, les enquêtes nationales sur les tableaux de chasse à tir réalisées dans l’Union européenne. Auteurs d’une très récente publication sur le sujet dans le bulletin n°318 de Faune Sauvage, les spécialistes de l’Oncfs Hervé Lomée et Philippe Aubry indiquent que les statistiques compilées dans le nouveau plan d’action inter - national concernant l’espèce révèlent qu’entre 1,4 et 2,2 millions de tourterelles des bois seraient prélevées chaque année dans l’UE et que 4 à 6 % d’entre elles seraient récoltées en France. Et le duo d’experts de préciser que « si l’on considère uniquement les prélèvements réalisés sur le couloir de migration européen occidental (incluant la France, l’Espagne, le Portugal et le Nord de l’Italie), le prélèvement français représenterait encore moins de 10 % du tableau total. Si l’on se concentre spécifiquement sur la saison de chasse 2013-2014 (Ndlr : année de la dernière enquête nationale sur les tableaux de chasse à tir en France), le prélèvement de tourterelles des bois a été estimé à un peu plus de 820 000 oiseaux en Espagne et 109000 au Portugal. »
7. Combien en chasse-t-on en France ?
À ces chiffres il convient d’ajouter, pour la même campagne, ceux de la France qui sont annoncés à 91 704 avec une marge d’erreur conséquente puisque la fourchette est de 45 618 à 137 789 individus. L’enquête nationale précédente, réalisée durant la saison 1998-1999, annonçait un tableau global de tourterelles des bois de 145256 avec une fourchette de prélèvements comprise entre 110574 et 179939 volatiles.
8. Des prélèvements en chute
La comparaison de ces résultats inspire aux deux experts de l’Oncfs les réflexions suivantes à propos des deux types de tourterelles (turques et des bois) fréquentant notre pays : « Les prélèvements semblent avoir nettement diminué pour les deux espèces de tourterelles. Cependant, même si elle est vraisemblable, cette baisse est difficile à estimer quantitativement. D’une part, la marge d’erreur calculée en 1998-1999 est probablement sous-évaluée mais reste vraisemblablement plus faible que celle de 2013-2014, qui s’appuie sur un nombre de répondants (Ndlr : à l’enquête) moins important – mais même sous cette hypothèse, les intervalles de confiance ont malgré tout peu de chance de se chevaucher ; d’autre part un biais lié à la non-réponse a sans doute conduit à une surestimation des prélèvements de 1998-1999. » Sauf à pouvoir dire avec certitude que le tableau de tourterelles des bois a chuté, il paraît bien difficile de quantifier avec précision la perte.
9. Une chasse inégale selon les régions
En revanche, le comparatif des résultats des deux enquêtes de référence permet de constater que la partie du territoire national où est réalisé l’essentiel des prélèvements se contracte. Ainsi, au cours de la saison 1998-1999, quatre régions administratives se partageaient plus de 50 % du tableau total de tourterelles des bois. Il s’agissait, par ordre décroissant, de l’Aquitaine, de Midi-Pyrénées, du LanguedocRoussillon et du Poitou-Charentes. Or, lors de l’étude 2013-2014 sur les prélèvements, trois régions seu-
lement (Paca, Languedoc-Roussillon et Poitou-Charentes) se partageaient plus des deux tiers du tableau (67 %). Contre toute attente, l’Aquitaine ne représente plus qu’environ 6 % des prélèvements nationaux contre 18,5 % en 1998-1999. Cette observation est assez surprenante car la plus forte abondance d’oiseaux nicheurs est enregistrée dans le Sud-Ouest et le Centre-Ouest. De surcroît, les nemrods aquitains restent, par tradition, très amateurs de chasse aux colombidés. À propos de ce paradoxe, MM. Lomée et Aubry indiquent : « Il semble donc y avoir une déconnexion entre l’importance du prélèvement et l’abondance locale des tourterelles des bois en période de reproduction. Cependant, le Sud-Est est la seule partie du territoire national où l’indice d’abondance des effectifs nicheurs n’a pas décliné ces dernières années. En outre, il est possible que ces prélèvements concernent des oiseaux en transit migratoire, en provenance de contrées plus septentrionales et orientales de l’Europe et en route vers la péninsule ibérique. »
10. L’heureuse fin de la chasse printanière
En marge de ces analyses de chiffres, il est indispensable de souligner que la chasse à la tourterelle des bois a beaucoup évolué en France ces dernières années. Ceci est d’abord vrai en ce qui concerne sa période de chasse puisqu’après des décennies de tirs de printemps, dans le Médoc (Gironde) notamment, mais aussi sur l’île d’Yeu (Vendée) à une époque plus ancienne encore, l’affût des colombidés a été interdit en période de migration prénuptiale d’abord par la directive européenne 79/409, devenue directive 2009/147/CE dite « Oiseaux », puis par l’arrêté ministériel du 24 mars 2006, signé par Nelly Olin. Ce dernier document stipule que l’ouverture anticipée de la chasse de la tourterelle des bois ne peut pas intervenir avant le dernier samedi du mois d’août. Précisons ici qu’avant ce texte, certains départements autorisaient le tir dudit migrateur dès le début de la seconde quinzaine du mois d’août. Lorsque l’on sait que la migration postnuptiale débute le plus souvent fin août et que la quasitotalité des oiseaux a quitté l’Europe avant la fin septembre, le nouveau garde-fou législatif joue un rôle indiscutable dans la préservation de l’espèce, au moins en France. Certaines années, des coups de vent violents ou des épisodes orageux encouragent, en quelques heures, les tourterelles à quitter leurs quartiers estivaux pour mettre le cap au sud en direction de l’Afrique avant le dernier samedi d’août. Ce fut le cas
l’an passé sur la façade atlantique où l’ouverture s’est révélée des plus mauvaises.
11. Une « pré-chasse » limitée
Pour minimiser davantage encore les prélèvements, l’arrêté du 24/03/06 a innové en indiquant qu’avant l’ouverture générale, la chasse de la tourterelle des bois ne peut être pratiquée que depuis un poste fixe matérialisé de main d’homme. Il n’est donc pas question de quelconque traque marchante. De plus, les affûts ne sont possibles qu’à plus de 300m de tout bâtiment. Aux yeux de la loi, une simple grange, ou même un silo à grain et à plus forte raison une maison, sont des bâtiments et interdisent donc la chasse en période d’ouverture anticipée. De ce fait, bien peu de chasseurs peuvent prétendre récolter quelques oiseaux. Ce sont, en large majorité, les champs de tournesol suffisamment mûrs, et dans une moindre mesure certains chaumes de céréales, qui concentrent avantageusement le gibier à la fin août. L’emploi des formes est autorisé mais en aucun cas il n’est possible d’avoir recours à des appelants vivants.
12. Des Pma qui apparaissent
En plus de ces mesures drastiques nationales s’ajoutent, dans quelques départements, six ou sept à notre connaissance, l’obligation de respecter, par arrêté préfectoral, un Pma journalier. Ainsi, ce quota maximum est de 10 oiseaux en CharenteMaritime et de 5 en Vendée.
12. Des Français plutôt exemplaires
À ce stade de notre dossier, il est facile de constater combien la France ne ménage pas ses efforts en faveur de la conservation de la tourterelle des bois. Toutes les décisions prises sont louables mais elles sont loin de suffire au renouveau d’une espèce migratrice qui se doit d’être gérée à une échelle beaucoup plus vaste. Il est, par ailleurs, scientifiquement prouvé que la chasse n’est qu’une partie du problème. Tout le monde s’accorde à reconnaître que la dégradation des habitats naturels de reproduction demeure le facteur le plus impactant. Aucun naturaliste sensé n’ignore cette réalité. Il semble donc évident qu’il faille travailler sur les deux problématiques à la fois.
13. La nécessaire protection des sites
C’est ainsi qu’a été finalisé, début 2018, au niveau européen, un plan d’action international. Plusieurs pistes d’ampleur y sont présentées afin de tenter d’enrayer le déclin. Bien entendu, la restauration des milieux favorables va faire l’objet de mesures sérieuses et concrètes.
14. La fameuse gestion adaptative
En ce qui concerne les pratiques cynégétiques, Hervé Lomée et Philippe Aubry expliquent : « Le plan d’action insiste également sur la nécessité de mettre en oeuvre une gestion adaptative des prélèvements de l’espèce en Europe, afin de contribuer à la viabilité des populations. Cela va donc nécessairement requérir une augmentation de la fréquence des esti - mations des tableaux de chasse dans les différents pays où l’espèce est chassée. La mise en oeuvre d’une gestion adaptative de la tourterelle des bois constituerait une première en Europe concernant une espèce migratrice terrestre. Mais le succès d’une telle opération dépendra pour partie de la capacité des différents pays à améliorer la connaissance de leurs prélèvements cynégétiques et du niveau des populations, ainsi que la mise en oeuvre d’une réelle démarche collaborative entre scientifiques, gestionnaires et chasseurs, laquelle conditionnera également l’acceptation sociale nécessaire à la réussite d’une telle gestion. »