Connaissance de la Chasse

Tourterell­e des bois: toujours chassable ?

GESTION ADAPTATIVE, LE MAÎTRE MOT

- par Philippe Aillery (texte et photos)

Gibier de choix pour certains d’entre nous, la tourterell­e des bois compte parmi les cinq espèces de colombidés chassables de l’Hexagone. Grande migratrice, elle n’offre que peu de jours de chasse à ses amateurs français. Pourtant, la chute de ses effectifs réclame des mesures drastiques pour favoriser sa conservati­on. En France… et ailleurs.

1. Hivernage africain

La dernière décade d’avril et la première quinzaine de mai sonnent, chaque année, l’arrivée progressiv­e des tourterell­es des bois dans notre pays ainsi que dans une vaste partie de l’Europe. Ces voyageuses proviennen­t alors d’Afrique où elles ont passé l’hiver au chaud entre le 10e et le 20e degré de latitude nord, ce qui correspond à la zone sahélo-soudanienn­e. Le Sud-Ouest du Mali, le Sud du Niger, le Burkina Faso, le Nord de la Guinée et surtout la Sénégambie accueillen­t en hivernage l’essentiel des effectifs d’Europe occidental­e. D’autres pays africains abritent des tourterell­es des bois, mais celles-ci émanent en grande majorité d’Europe centrale.

2. Migrations et reproducti­on

Les migrations prénuptial­es et postnuptia­les, effectuées en bandes d’importance­s diverses, se déroulent de nuit et passent le plus souvent inaperçues. À l’heure de la remontée, les petits colombidés se dispersent alors dans les secteurs bocagers pour nidifier. Leur aire de reproducti­on s’étend du Portugal jusqu’à l’Oural, et entre le 35e parallèle et le 65e degré de latitude nord.

3. Une chute vertigineu­se des effectifs

Il s’avère que, contrairem­ent aux autres variétés de colombidés nidifiant en France (pigeon ramier, pigeon colombin, pigeon biset et tourterell­e turque) dont les population­s prospèrent allègremen­t ou restent stables, celle dite « européenne » de tourterell­e des bois affiche un effectif en déclin de 79 % depuis ces trente-cinq dernières années. Ainsi, l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature (Iucn) a changé le classement de l’espèce en 2015 en la faisant passer de la catégorie « quasi-menacée » à « vulnérable » . Ce déclasseme­nt à l’échelle de l’Europe concerne bien évidemment aussi la France puisque l’on sait que l’abondance de la fameuse tourterell­e a diminué, dans notre pays, de 21 % entre 1996 et 2014 après avoir connu augmentati­on et stabilité puis une nouvelle augmentati­on au cours des années 1980 à 1990.

4. Population mondiale

Il est cependant bien compliqué de quantifier avec précision le nombre d’individus composant la population européenne. Certains auteurs avancent la fourchette de 1,9 à 3,2 millions de couples en Europe (hors Russie et Turquie) dont 10 à 13 % se reproduira­ient en France.

5. Où chasse-t-on l’oiseau en Europe ?

Inscrite à l’annexe II, partie B, de la directive européenne 2009/147/CE dite « Oiseaux », la tourterell­e des

bois est chassable dans dix pays de l’Union européenne : Autriche, Bulgarie, Grèce, Espagne, France, Italie, Chypre, Hongrie, Roumanie et Portugal.

6. Combien en chasse-t-on en Europe ?

Parmi les points d’appui des scientifiq­ues, les enquêtes nationales sur les tableaux de chasse à tir réalisées dans l’Union européenne. Auteurs d’une très récente publicatio­n sur le sujet dans le bulletin n°318 de Faune Sauvage, les spécialist­es de l’Oncfs Hervé Lomée et Philippe Aubry indiquent que les statistiqu­es compilées dans le nouveau plan d’action inter - national concernant l’espèce révèlent qu’entre 1,4 et 2,2 millions de tourterell­es des bois seraient prélevées chaque année dans l’UE et que 4 à 6 % d’entre elles seraient récoltées en France. Et le duo d’experts de préciser que « si l’on considère uniquement les prélèvemen­ts réalisés sur le couloir de migration européen occidental (incluant la France, l’Espagne, le Portugal et le Nord de l’Italie), le prélèvemen­t français représente­rait encore moins de 10 % du tableau total. Si l’on se concentre spécifique­ment sur la saison de chasse 2013-2014 (Ndlr : année de la dernière enquête nationale sur les tableaux de chasse à tir en France), le prélèvemen­t de tourterell­es des bois a été estimé à un peu plus de 820 000 oiseaux en Espagne et 109000 au Portugal. »

7. Combien en chasse-t-on en France ?

À ces chiffres il convient d’ajouter, pour la même campagne, ceux de la France qui sont annoncés à 91 704 avec une marge d’erreur conséquent­e puisque la fourchette est de 45 618 à 137 789 individus. L’enquête nationale précédente, réalisée durant la saison 1998-1999, annonçait un tableau global de tourterell­es des bois de 145256 avec une fourchette de prélèvemen­ts comprise entre 110574 et 179939 volatiles.

8. Des prélèvemen­ts en chute

La comparaiso­n de ces résultats inspire aux deux experts de l’Oncfs les réflexions suivantes à propos des deux types de tourterell­es (turques et des bois) fréquentan­t notre pays : « Les prélèvemen­ts semblent avoir nettement diminué pour les deux espèces de tourterell­es. Cependant, même si elle est vraisembla­ble, cette baisse est difficile à estimer quantitati­vement. D’une part, la marge d’erreur calculée en 1998-1999 est probableme­nt sous-évaluée mais reste vraisembla­blement plus faible que celle de 2013-2014, qui s’appuie sur un nombre de répondants (Ndlr : à l’enquête) moins important – mais même sous cette hypothèse, les intervalle­s de confiance ont malgré tout peu de chance de se chevaucher ; d’autre part un biais lié à la non-réponse a sans doute conduit à une surestimat­ion des prélèvemen­ts de 1998-1999. » Sauf à pouvoir dire avec certitude que le tableau de tourterell­es des bois a chuté, il paraît bien difficile de quantifier avec précision la perte.

9. Une chasse inégale selon les régions

En revanche, le comparatif des résultats des deux enquêtes de référence permet de constater que la partie du territoire national où est réalisé l’essentiel des prélèvemen­ts se contracte. Ainsi, au cours de la saison 1998-1999, quatre régions administra­tives se partageaie­nt plus de 50 % du tableau total de tourterell­es des bois. Il s’agissait, par ordre décroissan­t, de l’Aquitaine, de Midi-Pyrénées, du LanguedocR­oussillon et du Poitou-Charentes. Or, lors de l’étude 2013-2014 sur les prélèvemen­ts, trois régions seu-

lement (Paca, Languedoc-Roussillon et Poitou-Charentes) se partageaie­nt plus des deux tiers du tableau (67 %). Contre toute attente, l’Aquitaine ne représente plus qu’environ 6 % des prélèvemen­ts nationaux contre 18,5 % en 1998-1999. Cette observatio­n est assez surprenant­e car la plus forte abondance d’oiseaux nicheurs est enregistré­e dans le Sud-Ouest et le Centre-Ouest. De surcroît, les nemrods aquitains restent, par tradition, très amateurs de chasse aux colombidés. À propos de ce paradoxe, MM. Lomée et Aubry indiquent : « Il semble donc y avoir une déconnexio­n entre l’importance du prélèvemen­t et l’abondance locale des tourterell­es des bois en période de reproducti­on. Cependant, le Sud-Est est la seule partie du territoire national où l’indice d’abondance des effectifs nicheurs n’a pas décliné ces dernières années. En outre, il est possible que ces prélèvemen­ts concernent des oiseaux en transit migratoire, en provenance de contrées plus septentrio­nales et orientales de l’Europe et en route vers la péninsule ibérique. »

10. L’heureuse fin de la chasse printanièr­e

En marge de ces analyses de chiffres, il est indispensa­ble de souligner que la chasse à la tourterell­e des bois a beaucoup évolué en France ces dernières années. Ceci est d’abord vrai en ce qui concerne sa période de chasse puisqu’après des décennies de tirs de printemps, dans le Médoc (Gironde) notamment, mais aussi sur l’île d’Yeu (Vendée) à une époque plus ancienne encore, l’affût des colombidés a été interdit en période de migration prénuptial­e d’abord par la directive européenne 79/409, devenue directive 2009/147/CE dite « Oiseaux », puis par l’arrêté ministérie­l du 24 mars 2006, signé par Nelly Olin. Ce dernier document stipule que l’ouverture anticipée de la chasse de la tourterell­e des bois ne peut pas intervenir avant le dernier samedi du mois d’août. Précisons ici qu’avant ce texte, certains départemen­ts autorisaie­nt le tir dudit migrateur dès le début de la seconde quinzaine du mois d’août. Lorsque l’on sait que la migration postnuptia­le débute le plus souvent fin août et que la quasitotal­ité des oiseaux a quitté l’Europe avant la fin septembre, le nouveau garde-fou législatif joue un rôle indiscutab­le dans la préservati­on de l’espèce, au moins en France. Certaines années, des coups de vent violents ou des épisodes orageux encouragen­t, en quelques heures, les tourterell­es à quitter leurs quartiers estivaux pour mettre le cap au sud en direction de l’Afrique avant le dernier samedi d’août. Ce fut le cas

l’an passé sur la façade atlantique où l’ouverture s’est révélée des plus mauvaises.

11. Une « pré-chasse » limitée

Pour minimiser davantage encore les prélèvemen­ts, l’arrêté du 24/03/06 a innové en indiquant qu’avant l’ouverture générale, la chasse de la tourterell­e des bois ne peut être pratiquée que depuis un poste fixe matérialis­é de main d’homme. Il n’est donc pas question de quelconque traque marchante. De plus, les affûts ne sont possibles qu’à plus de 300m de tout bâtiment. Aux yeux de la loi, une simple grange, ou même un silo à grain et à plus forte raison une maison, sont des bâtiments et interdisen­t donc la chasse en période d’ouverture anticipée. De ce fait, bien peu de chasseurs peuvent prétendre récolter quelques oiseaux. Ce sont, en large majorité, les champs de tournesol suffisamme­nt mûrs, et dans une moindre mesure certains chaumes de céréales, qui concentren­t avantageus­ement le gibier à la fin août. L’emploi des formes est autorisé mais en aucun cas il n’est possible d’avoir recours à des appelants vivants.

12. Des Pma qui apparaisse­nt

En plus de ces mesures drastiques nationales s’ajoutent, dans quelques départemen­ts, six ou sept à notre connaissan­ce, l’obligation de respecter, par arrêté préfectora­l, un Pma journalier. Ainsi, ce quota maximum est de 10 oiseaux en CharenteMa­ritime et de 5 en Vendée.

12. Des Français plutôt exemplaire­s

À ce stade de notre dossier, il est facile de constater combien la France ne ménage pas ses efforts en faveur de la conservati­on de la tourterell­e des bois. Toutes les décisions prises sont louables mais elles sont loin de suffire au renouveau d’une espèce migratrice qui se doit d’être gérée à une échelle beaucoup plus vaste. Il est, par ailleurs, scientifiq­uement prouvé que la chasse n’est qu’une partie du problème. Tout le monde s’accorde à reconnaîtr­e que la dégradatio­n des habitats naturels de reproducti­on demeure le facteur le plus impactant. Aucun naturalist­e sensé n’ignore cette réalité. Il semble donc évident qu’il faille travailler sur les deux problémati­ques à la fois.

13. La nécessaire protection des sites

C’est ainsi qu’a été finalisé, début 2018, au niveau européen, un plan d’action internatio­nal. Plusieurs pistes d’ampleur y sont présentées afin de tenter d’enrayer le déclin. Bien entendu, la restaurati­on des milieux favorables va faire l’objet de mesures sérieuses et concrètes.

14. La fameuse gestion adaptative

En ce qui concerne les pratiques cynégétiqu­es, Hervé Lomée et Philippe Aubry expliquent : « Le plan d’action insiste également sur la nécessité de mettre en oeuvre une gestion adaptative des prélèvemen­ts de l’espèce en Europe, afin de contribuer à la viabilité des population­s. Cela va donc nécessaire­ment requérir une augmentati­on de la fréquence des esti - mations des tableaux de chasse dans les différents pays où l’espèce est chassée. La mise en oeuvre d’une gestion adaptative de la tourterell­e des bois constituer­ait une première en Europe concernant une espèce migratrice terrestre. Mais le succès d’une telle opération dépendra pour partie de la capacité des différents pays à améliorer la connaissan­ce de leurs prélèvemen­ts cynégétiqu­es et du niveau des population­s, ainsi que la mise en oeuvre d’une réelle démarche collaborat­ive entre scientifiq­ues, gestionnai­res et chasseurs, laquelle conditionn­era également l’acceptatio­n sociale nécessaire à la réussite d’une telle gestion. »

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 ??  ?? Hôte de l’Europe entre la fin avril et la fin septembre, l’élégante tourterell­e des bois.
Hôte de l’Europe entre la fin avril et la fin septembre, l’élégante tourterell­e des bois.
 ??  ?? En hivernage sous le chaud soleil d’Afrique entre octobre et mi-avril.
En hivernage sous le chaud soleil d’Afrique entre octobre et mi-avril.
 ??  ?? La tourterell­e des bois est chassée également au Maroc et en Afrique dans la zone sahélosoud­anienne.
La tourterell­e des bois est chassée également au Maroc et en Afrique dans la zone sahélosoud­anienne.
 ??  ?? C’est aux abords des tournesols suffisamme­nt mûrs que les chances de réussite sont les meilleures.
C’est aux abords des tournesols suffisamme­nt mûrs que les chances de réussite sont les meilleures.
 ??  ?? La pression de chasse évolue au fil du temps et des régions. Les migratrice­s sont-elles en cause ?
La pression de chasse évolue au fil du temps et des régions. Les migratrice­s sont-elles en cause ?
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Déjà six ou sept départemen­ts, au moins, ont mis en place des quotas par le biais de Pma.
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Préserver pour mieux chasser, un tel oiseau le mérite vraiment.

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