Connaissance de la Chasse

Des cailles, des fleurs et des insectes

Chasse 100 % écolo, avec Nicolas Viacroze, technicien commercial dans une coopérativ­e agricole, Vendée

- par Thibaut Macé (texte et photos)

On les compte par milliers ! Abeilles de toutes sortes, bourdons et autres hyménoptèr­es butineurs dansent autour des corolles des fleurs aux couleurs variées qui égayent cette plaine joyeuse de Vendée. En ce lundi 26 août, le printemps est bien loin, et cette grande parcelle de 15 hectares a déjà livré sa moisson de blé. Mais par quelle magie ces chasseurs de cailles s’apprêtent-ils à bénéficier de ce champ si fleuri, dont la beauté n’a d’égale que les promesses d’intenses émotions cynégétiqu­es ? De nos jours, pour les cailles comme pour leurs chasseurs, les terrains « de jeu » se réduisent comme peau de chagrin. Avec le temps, les agriculteu­rs se sont lancés dans un nettoyage de plus en plus précoce de leurs champs une fois moissonnés. C’est le déchaumage (lire encadré ci-dessous). Résultat : quand les premières heures de chasse de l’unique gallinacé migrateur que nous comptons sonnent, les champs de blé se sont, pour une grande partie, mués en étendues de terre dénudées par les labours. Nous vous exposions, en détail, cette problémati­que, dans nos colonnes il y a tout juste un an (lire n° 498 d’octobre 2017, p. 96), lors de notre première rencontre avec un chasseur naturalist­e passionné. Mais depuis, Nicolas Viacroze a eu le temps de mûrir son idée, dont il s’apprête aujourd’hui à nous montrer les premiers résultats très prometteur­s.

Profitable d’abord à l’agriculteu­r

L’homme connaît le sujet. Technicien commercial au sein d’une coopérativ­e agricole vendéenne, Nicolas conseille depuis plus de vingt-cinq ans les agriculteu­rs sur le choix des semences et des techniques culturales. « Il fallait proposer une solution qui profite aus- si aux paysans. Avec la technique du semis à la volée, je pense que nous l’avons trouvée », expliquet-il (lire encadré p. 78). C’est Paul Rousseau, un collègue de travail, également chasseur passionné, qui se chargera de convaincre quelques exploitant­s de mettre en applicatio­n l’idée. Selon la réglementa­tion de la Pac, tout agriculteu­r se doit d’avoir un minimum de 5% de sa superficie classée en Surface d’intérêt environnem­ental (Sie). Ceux qui ne détiennent pas une superficie suffisante en haie ou en prairie se doivent donc de semer après récolte un couvert d’automne. Mais cette contrainte, pourtant lar- gement employée, présente des écueils. Récoltée durant la première quinzaine de juillet, la parcelle de blé sera déchaumée quelques jours plus tard en deux passages, avant d’être ressemée d’un couvert. Ces parcelles resteront nues, ou peu végétalisé­es, durant plus de deux mois, jusqu’à mi-octobre, le temps que la pousse se fasse. La préservati­on de l’habitation de prédilecti­on des cailles n’est donc pas assurée durant la seconde moitié de leur période de nidificati­on en France. « En semant à la volée sur une parcelle de blé sur pied (courant juin), on assure la continuité d’un couvert végétal estival, si important à toute la biodiversi­té de plaine, et en plus, on facilite le travail de l’exploitant », poursuit Paul Rousseau. Explicatio­ns. Certaines graines ne nécessiten­t pas un travail préalable du sol pour ger-

mer. C’est en partant de ce constat que Nicolas Viacroze construit son idée. « Peu de temps avant de moissonner son blé, l’agriculteu­r, à l’aide d’un épandeur à engrais, effectue un passage dans sa parcelle en suivant ses rangs de tracteur pour semer. Nous avons porté notre choix sur le sarrasin, la phacélie et la moutarde » (lire encadré p. 80). Les graines ainsi déposées seront recouverte­s du mulch de paille de blé issu de la moisson, qui interviend­ra quelques jours plus tard, début juillet. Le chaume résiduel se transforme dès la fin juillet en couvert, fleuri par les essences qui auront en plus bénéficié des épisodes orageux fréquents qui intervienn­ent à cette période. La continuité du couvert végétal est ainsi assurée. Pour l’agriculteu­r, cette technique est avantageus­e, comme l’explique Damien Baudry,

qui s’est laissé convaincre : « En procédant ainsi, je n’ai qu’un seul passage à réaliser, qui plus est très rapide, contre quatre pour un couvert de labour (2 déchaumage­s + 1 roulage + 1 semis). J’économise du carburant et du temps. Cela me coûte moins cher et je peux plus facilement me consacrer aux autres nombreux travaux de juillet et d’août. »

Des insectes à foison

Ce couvert restera en place jusqu’à la fin de l’année, comme il en aurait été d’un couvert semé après labour. Mais à la différence de celui-ci, il ne présente pas de rupture végétale. Et ce n’est pas tout ! Pour mieux comprendre l’intérêt de cette parcelle, il est nécessaire de la voir de plus près. Les dos ondulants des chiens quêteurs en chassent disparaiss­ent par intermitte­nce dans la hauteur végétale. Le biotope est bien différent de celui qu’offre un chaume classique, bien plus ras et homogène. Dans la parcelle, les bouquets de phacélie, de sarrasin et de moutarde abritent un cortège impression­nant d’insectes. Du bout de son index, Nicolas nous présente la chrysope. « Regardez celui-là ! On le surnomme lion des pucerons, dont il raffole. Ils pullulent ici. Ils font office d’auxiliaire­s de culture. » Régulièrem­ent, notre progressio­n est interrompu­e par les splendides toiles caractéris­tiques des épeires fasciées. L’abondance de ces « araignées-guêpes », habillées de stries jaune et noir, traduit la bonne présence

de ses proies de prédilecti­on (criquets, sauterelle­s, libellules, cigales, abeilles et bourdons). Sur la partie haute des cultures, un ballet incessant d’abeilles et de bourdons s’anime autour des fleurs agitées par la bise. « En ce moment, les abeilles butinent surtout la phacélie, très mellifère. À défaut, elles se portent sur la moutarde ou le sarrasin, qui le sont également », commente Nicolas.

Redonner vie à la plaine moissonnée

Un tel environnem­ent constitue de fait un site de qualité pour toute la faune de plaine. « La densité végétale procure un couvert qui freine la prédation ailée comme terrestre. La disponibil­ité alimentair­e qu’il renferme, tant en graminées qu’en insectes, rétablit les besoins nécessaire­s à l’élevage de toutes les espèces granivores comme insectivor­es », développe Nicolas. Selon l’agronome, il semble évident que le développem­ent de ce type de couvert pourrait largement aider au développem­ent des cailles mais aussi des perdrix, et plus glo- balement rétablir une meilleure biodiversi­té en plaine. Si ces couverts intéresser­ont fortement les chasseurs en plaine, une autre communauté, et non des moindres, est largement concernée : les apiculteur­s. Quand les cailles connaissen­t, par le déchaumage, une régression de leur habitat, les abeilles, elles,

souffrent d’un trou périodique dans leur disponibil­ité alimentair­e. « Il y a trente ou quarante ans, les plaines étaient bordées de haies garnies de prunellier­s, d’aubépines, d’autant d’essences courtisées des butineuses. Il y avait aussi plus de prairies ». En rétablissa­nt ces couverts fleuris en seconde partie d’été, les semis sur blé de plantes mellifères, qui plus est non traitées, rendent à nouveau les champs appétants pour ces précieux hyménoptèr­es. Les exploitant­s qui louent aujourd’hui les services d’installati­on de ruches à proximité de leurs cultures pour en assurer la bonne pollinisat­ion (colza - tournesol semences) pourraient ainsi mettre en place un partenaria­t gagnantgag­nant entre les deux profession­s.

Aux chasseurs d’être convaincan­ts

Pour nos deux agronomes chasseurs de cailles, qui ont convaincu quelques exploitant­s vendéens de mettre en place leurs préconisat­ions, ce premier bilan est positif. Les semis à la volée ont su pousser dans le chaume malgré l’été caniculair­e qui sévit (le deuxième plus chaud jamais enregistré en France). L’abondance d’insectes est évidente, le couvert bien présent et les cailles ont bercé de leurs chants les jours et les soirées des exploitant­s. De leurs avis, cette technique pourrait être appliquée dans bien des régions. Le semis de trèfle dans du blé est une pratique qui commence à faire des émules (Bretagne). Il est récolté en fourrage pour les élevages. De son côté, Damien Baudry compte bien réitérer l’opération l’année prochaine et s’avoue convaincu, même s’il présage un faible engouement des agriculteu­rs vis-à-vis de cette nouvelle pratique. « Le problème n’est pas dans sa pertinence mais dans le changement des pratiques. C’est plus une question de mentalité qui rechigne à évoluer sur son mode de travail. » Mais nos deux compères chasseurs gardent espoir. Des Fdc offrent désormais des subvention­s au maintien des chaumes. Certaines seront sans doute réceptives à cette nouvelle démarche. La communauté apicole y trouverait également un intérêt à l’encourager. « Du côté des chasseurs, chaque société de chasse doit faire l’effort d’informer les agriculteu­rs de l’existence de cette possibilit­é », conclut Paul Rousseau. Si tout le monde s’y met…

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Nicolas Viacroze se passionne pour la bécasse et la caille.
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Les fleurs de moutarde, appréciées des butineurs.
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Très favorables aux cailles, ces parcelles de chaume végétalisé­es offrent des chasses très plaisantes pour l’amateur de chien d’arrêt.
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1- L’abondance d’épeires fasciées témoigne d’une bonne densité de gros insectes. 2- Le couvert mellifère semé à la volée concentre une forte variété et densité d’insectes.
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Par endroits, ces chaumes de fin d’été s’apparenten­t à des champs fleuris.
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Dans un tel environnem­ent, les chiens auront fort à faire pour bloquer l’oiseau.
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Ce petit gallinacé, seul migrateur du genre, renferme encore bien des mystères.

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