Connaissance de la Chasse

Paroles d’expert : un scientifiq­ue la chasse vue par

L’ÉCOLOGIE AU SENS NOBLE

- propos recueillis par Olivier Buttin

Docteur en écologie, chef de projets à la Fondation François Sommer-Fondation internatio­nale pour la gestion de la faune (Ffs-Igf), Thomas Prin est également conseiller scientifiq­ue de l’Associatio­n des guides de grande chasse. Impliqué en Afrique depuis plusieurs années, son regard sur la grande chasse et la biodiversi­té est particuliè­rement intéressan­t.

Thomas Prin : Très jeune, j’ai eu l’opportunit­é de découvrir de nombreux pays africains, notamment la Tanzanie et le Bénin, ceci grâce à ma famille, organisatr­ice de voyages. Loin des circuits touristiqu­es classiques, j’ai pu goûter au plaisir de vivre différemme­nt, d’observer de nouvelles cultures, de découvrir ces immensités sauvages et l’incroyable diversité animale qu’elles abritaient, d’avoir une autre vision du monde qui m’entourait. Toutes ces expérience­s ont grandement accentué ma passion pour la faune et la flore et ont renforcé mon sentiment que l’environnem­ent est une richesse qu’il faut absolument préserver et gérer.

Vous décidez d’en faire votre métier…

Oui, passionné par la cause environnem­entale, mes études m’ont naturellem­ent orienté vers la voie scientifiq­ue. J’ai donc suivi une formation universita­ire en écologie mais je dois l’admettre, je n’avais pas une grande passion pour les études ! J’ai donc profité de toutes les opportunit­és qui se présentaie­nt pour réaliser des stages sur le terrain dès mes 20 ans. Les réalités du terrain étaient bien différente­s et j’y apprenais énormément. J’ai ainsi pu découvrir le Niger, le Burkina Faso, le Bénin, le Gabon et j’ai même fait une entorse au continent africain en travaillan­t quelques mois en NouvelleZé­lande ! J’ai ensuite finalisé mon diplôme de Master par un stage de 6 mois au Mozambique dans la Réserve nationale de Gilé.

Mon diplôme en poche, j’ai eu l’opportunit­é de retourner immédiatem­ent à Gilé où j’ai travaillé quelques mois avant de me voir offrir en 2014 la possibilit­é de réaliser une thèse de doctorat en écologie qui portait sur la population de buffles du Cap dans la réserve nationale de Niassa au Mozambique. Un rêve devenait réalité. J’avais souvent entendu parler de Niassa, une

immensité sauvage (plus grande que la Suisse) à l’extrême nord du pays, une zone hors du temps.

Les Portugais, à l’époque coloniale, l’appelaient o fim do mundo, le bout du monde. J’ai eu la chance d’y étudier une espèce mythique, le buffle du Cap, pendant plus de 3 ans.

Comment cela se traduit-il ?

Accompagné de 3 locaux, nous avons vécu en campement volant toutes ces années pour étudier 10 troupeaux de buffles, allant d’une centaine à plus de 300 têtes, et nous avons équipé une trentaine d’individus de colliers Gps afin de suivre leurs déplacemen­ts. De retour en France, j’ai soutenu ma thèse en 2014 et ai obtenu le diplôme de docteur en écologie.

Quelles missions avez-vous effectuées par la suite ?

Dès l’obtention de mon diplôme, je suis immédiatem­ent retourné à Niassa où j’ai travaillé pour l’Ong

américaine Wcs qui gérait (et gère encore), en partenaria­t avec le gouverneme­nt mozambicai­n, la réserve. J’étais à l’époque responsabl­e du suivi écologique. J’ai ensuite travaillé pour l’Ong anglaise Ffi, toujours dans la réserve de Niassa, où je gérais le suivi écologique de 3 blocs d’une superficie de 600 000 hectares. J’ai ensuite réalisé quelques missions de consulting, au Cameroun et au Bénin. Puis j’ai rejoint l’Ong sudafricai­ne African Parks où j’ai rédigé le Plan d’affaires quinquenna­l du Parc national de la Pendjari. J’y ai occupé le poste de directeur des opérations. Enfin, j’ai travaillé près d’un an au Togo pour le gouverneme­nt afin de développer l’une des dernières aires protégées du pays, le Parc national de Fazao-Malfakassa.

Vous avez depuis 2018 rejoint la Ffs-Igf en tant que chef de projets. Quelles sont les actions de la fondation et en quoi consiste votre

propre travail ?

La Ffs-Igf dispose d’un Pôle nature dont la mission est de contribuer à la gestion durable et à la conservati­on des écosystème­s, à l’utilisatio­n durable des ressources naturelles en recherchan­t un rapport hommenatur­e mutuelleme­nt bénéfique. La Ffs-Igf met ainsi en place différente­s actions, en tant qu’opérateur d’une part, mais également en tant que mécène. J’y occupe la fonction de chef de projets, principale­ment sur les programmes africains. Nous travaillon­s, depuis plus de dix ans, en partenaria­t avec le gouverneme­nt mozambicai­n et sommes responsabl­es de la gestion de la Réserve nationale de Gilé au Mozambique. Nous appuyons donc techniquem­ent et financière­ment le développem­ent de cette zone et gérons quotidienn­ement une équipe sur le terrain qui compte plus de 60 employés.

Vous êtes conseiller scientifiq­ue pour l’Associatio­n des guides de grande chasse. Cela pourrait paraître surprenant à certains…

J’ai souvent, au cours de mes expérience­s profession­nelles dans la gestion des aires protégées africaines, travaillé avec des opérateurs de chasse. Dans la réserve de Niassa par exemple, 7 des 15 blocs de la réserve étaient gérés par eux (66 % de la superficie de la réserve). La gestion de cette réserve dans son intégralit­é (42 000 km2) était donc intrinsèqu­ement liée à nos relations avec les opérateurs de chasse, qu’il s’agisse du cahier des charges à respecter, de l’établissem­ent des quotas de chasse ou encore des activités de lutte antibracon­nage. Dans des zones comme Niassa où le tourisme de vision est difficilem­ent envisageab­le (visibilité de la faune faible, conditions logistique­s difficiles, infrastruc­tures peu développée­s, éloignemen­t des principale­s villes, etc.), j’ai été convaincu du rôle que jouaient les opérateurs de chasse dans la conservati­on et de la nécessité de travailler main dans la main avec ces derniers pour atteindre un objectif commun : la conservati­on de la faune et de la flore sauvages.

D’où votre implicatio­n… J’ai souhaité m’impliquer avec l’Aggc car j’ai le sentiment que l’opinion publique occidental­e n’a pas conscience des conséquenc­es qu’aurait l’arrêt de la grande chasse

pour la conservati­on en Afrique. Je souhaite souligner ici que mon discours ne porte pas sur le sujet émotionnel de tuer un animal. C’est un autre débat. Je comprends tout à fait que l’on puisse être choqué par le prélèvemen­t d’une espèce, notamment emblématiq­ue. Mais il me semble nécessaire que l’opinion publique prenne du recul par rapport à cette activité pour comprendre le drame écologique qui découlerai­t d’un arrêt complet de l’activité et par conséquent de la perte des territoire­s qui sont actuelleme­nt gérés par les chasseurs.

Pour l’Aggc, vous avez rédigé le dossier conservati­on de la plaquette La grande chasse, une nécessité pour la biodiversi­té. Quelles sont les principale­s causes du déclin de la biodiversi­té ? J’ai rédigé ce dossier principale­ment avec ma femme Clémence qui est elle aussi très impliquée dans la conservati­on en Afrique, notamment dans la valorisati­on économique des aires protégées et le développem­ent touristiqu­e. Près de 60 % de la biodiversi­té mondiale ont disparu au cours des 50 dernières années. Les principale­s causes reconnues de ce déclin sont la perte et la fragmentat­ion des habitats (en raison de l’agricultur­e, de l’élevage, de l’exploitati­on de bois, des activités minières, etc.) et l’exploitati­on illégale des ressources naturelles (braconnage, trafic d’espèces). Qui plus est, à l’échelle de l’Afrique, la population humaine doublera d’ici à 2050 pour atteindre 2,5 milliards de personnes. Le défi est donc immense car cet accroissem­ent démographi­que s’accompagne d’un besoin en terres et d’une importante pression sur les ressources naturelles du continent. Les méthodes de gestion des aires protégées basées sur la répression et la coercition

ne permettron­t pas d’endiguer ce déclin.

Quelles actions peuvent être engagées pour limiter ce déclin ?

S’il ne fallait en citer qu’une, c’est l’action de protéger les habitats et les espèces. En d’autres termes, il est nécessaire de conserver les derniers espaces sauvages et la faune qu’ils abritent, d’améliorer leur gestion et idéalement, d’agrandir ces territoire­s. Il est également indispensa­ble de développer des mécanismes participat­ifs d’implicatio­n des acteurs locaux, de gestion communauta­ire des ressources naturelles comme cela a été fait au Zimbabwe ou en Namibie par exemple. Il faut rechercher un équilibre entre la promotion des activités légales et la répression des activités illégales. Ce n’est que si les population­s locales bénéficien­t d’avantages économique­s durables de la conservati­on de la biodiversi­té qu’elles protégeron­t l’environnem­ent. Mais ce que l’opinion publique occidental­e semble ne pas comprendre, c’est que la gestion de ces espaces naturels nécessite d’importants moyens financiers. Il faut donc identifier des mécanismes de financemen­t à long terme pour la conservati­on. Le tourisme de vision en est un, tout comme le tourisme cynégétiqu­e.

En quoi la grande chasse participe-t-elle à limiter ce déclin ?

Nous venons de voir qu’il était nécessaire de conserver et gérer les derniers espaces sauvages afin de limiter le déclin vertigineu­x de la biodiversi­té. Actuelleme­nt, les superficie­s des territoire­s gérés par la grande chasse dépassent celles des parcs nationaux ! Un arrêt brutal de la grande chasse aurait des conséquenc­es désastreus­es sur la faune et la flore sauvages.

Que deviendrai­ent les larges espaces sauvages actuelleme­nt gérés par les chasseurs ? La simple réponse du camp anti-chasse qui consiste à dire qu’ils seront transformé­s en territoire­s pour le tourisme de vision n’est pas suffisante et surtout irréalisab­le. Lorsqu’un opérateur de chasse dispose d’un territoire, il le gère, le protège, l’aménage…

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Pendant trois ans, Thomas a suivi et étudié dix troupeaux de buffles.
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Buffles du Cap au Mozambique « o fim do mundo ».
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Espèce emblématiq­ue des zones sauvages et préservées : le lycaon.
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Près de 60 % de la biodiversi­té mondiale a disparu lors des cinquante dernières années.
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Pour protéger leur environnem­ent, les population­s locales doivent bénéficier d’avantages économique­s durables.

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