Setter anglais : tout au feeling
JÉRÔME FAISSAT
« Doigté et douceur » sont les maîtres mots du dresseur de renom Jérôme Faissat. Rencontre avec cet autodidacte qui, grâce à sa passion et son talent, a su se faire un nom incontournable sur la scène du chien d’arrêt, et du setter anglais plus particulièrement.
Racontez-nous un peu votre histoire cynégétique…
Jérôme Faissat : Je suis un pur produit du terroir. Né ici même dans l’Hérault, voici 45 ans, dans une famille pour laquelle la chasse du petit gibier n’avait aucun secret. Même s’ils traquaient à l’occasion la perdrix, mon père et mon grand-père étaient avant tout des lapiniers.
Le petit léporidé était pléthore dans notre région, et s’imposait de fait comme le gibier de base. Une époque malheureusement aujourd’hui révolue. Pour pratiquer cette chasse, mes aïeux utilisaient de simples briquets locaux, qui s’avéraient pour autant être de redoutables auxiliaires. En âge de marcher, je me suis mis à les suivre, puis à porter les carniers et plus tard à m’occuper des chiens. La passion pour la chasse et le monde canin était née. Pour mon 16e anniversaire, j’ai passé l’examen du permis. Depuis j’ai, pour ainsi dire, presque toujours chassé.
Comment êtes-vous devenu dresseur ?
Je suis en quelque sorte autodidacte, mais j’ai eu la chance de bénéficier des conseils avisés d’un dresseur de renom. À la base, j’ai une formation musicale. Je suis passé par le conservatoire avant de devenir guitariste professionnel. Si de 18 à 22 ans, je n’ai pas pu chasser autant que je l’aurais souhaité, j’ai toujours gardé des chiens. De longue date, je souhaitais acquérir un chien d’arrêt. Un jour, je suis tombé sous le charme du setter Gordon. C’est ainsi que j’ai fait l’achat de Théo. Très vite, je me suis rendu compte des grandes capacités de chasse que possédait mon nouvel auxiliaire. Aussi, l’ai-je confié à un dresseur. Les premiers résultats, et non des moindres, sont tombés. Théo fut vice-champion d’Europe sur gibier tiré alors qu’il n’avait pas 2 ans. Il fut par la suite sélectionné plusieurs saisons en équipe de France pour les championnats d’Europe et du monde. Rapidement, je me suis occupé moimême des entraînements, avant de prendre la décision d’abandonner concerts et représentations pour finalement m’installer en 2001.
Pouvez-vous nous décrire vos activités ?
L’essentiel de mon activité se concentre aujourd’hui sur le dressage de chiens d’arrêt, britanniques ou continentaux. En parallèle, j’ai développé, voici quelques années, une pension pour chiens et chats. Fut une époque aussi où je m’intéressais à l’élevage, mais cette activité est devenue aujourd’hui plus modérée, faute de temps.
Quid du dressage façon Jérôme Faissat ?
Il convient selon moi de faire le distinguo entre débourrage et dressage. Le débourrage s’adresse aux propriétaires désireux de faire préparer leur jeune chien pour la chasse pratique. Tandis que le dressage, plus poussé, intervient une fois le sujet débourré et concerne soit les chasseurs exigeants, soit les « trialisants ». Côté demande, l’essentiel se rapporte évidemment à la chasse à proprement parler, et touche par conséquent le débourrage.
Quel est l’âge idéal pour faire débourrer son chien ?
Cela dépend du sujet. Tout est histoire de maturité, et de capacité mentale à supporter les séances d’éducation. En moyenne, je dirais que les continentaux sont aptes à suivre les leçons dès lors qu’ils sont âgés de 8 à 10 mois, alors qu’il faut attendre au moins un an pour les races britanniques.
Qu’en est-il de ces sessions de débourrage ?
Tout commence par une période d’observation. L’analyse que je fais de l’élève, en particulier sa sensibilité et ses capacités mentales, me permet ainsi d’adapter ma façon de travailler. Il convient ensuite d’enseigner les règles de base de l’obéissance.
Ou, tout au moins, de les réviser. Ces fondamentaux sont la marche en laisse, la marche aux pieds, et la position assise à distance au sifflet. Toutes ces notions sont évidemment travaillées en l’absence de gibier et nécessitent, selon les capacités du sujet, d’une semaine à 10 jours. Ce n’est qu’une fois ces bases parfaitement acquises qu’il devient possible d’introduire progressivement du gibier.
Et ensuite ?
Il convient en priorité de travailler l’arrêt. À de rares
exceptions près, la plupart des chiens possèdent une aptitude naturelle à l’arrêt, même si cela s’avère un peu moins vrai pour certaines races continentales. Pour autant, il est indispensable de renforcer cet arrêt, c’est-à-dire le faire perdurer, et surtout interdire le coulé, sauf à l’ordre. Car, d’instinct, la première idée du chien est de vouloir se saisir de sa proie, peu importe sa race ou ses origines.
Vous évoquez le coulé à l’ordre…
Le coulé à l’ordre fait en effet partie intégrante de la session dite de débourrage. Travail en longe, mais qui nécessite au préalable une parfaite maîtrise de l’arrêt. J’insiste tout particulièrement sur cette notion car cela apporte un confort indéniable pour la chasse pratique ; le chasseur pouvant ainsi contrôler l’envol du gibier, prendre le temps de se préparer, de se positionner. Enfin, aussi surprenant cela soit-il, j’achève ces séances de débourrage par le travail de la sagesse à l’envol. Il aura fallu ainsi en moyenne cinq semaines pour
préparer le sujet à la chasse pratique.
En quoi la sagesse à l’envol est-elle surprenante ?
D’aucuns prétendent qu’elle n’est utile que lorsque le chien doit concourir, car imposée par le règlement, mais ne présente guère d’intérêt sur le terrain. Mon avis est plus mitigé, question de confort là encore. Il est de loin préférable, pour le chasseur lambda, de disposer d’un auxiliaire sage à l’envol, plutôt que d’un chien hors contrôle en présence de gibier et qui risque de vider le territoire. Raison pour laquelle j’intègre cet enseignement dès le débourrage, contrairement à d’autres.
Parlez-nous des séances que vous qualifiez de dressage…
Le dressage, tel qu’évoqué précédemment, c’est-à-dire pour trialer ou propriétaire exigeant, est un enseignement hyper poussé. Il n’est pas fait pour tous les chiens, loin s’en faut, mais est réservé aux sujets avec un mental pouvant supporter les contraintes. C’est d’autant plus vrai pour les britanniques, en particulier le setter anglais, races souvent plus sensibles que les continentaux. Lors d’une session de dressage, je révise rapidement les bases de l’obéissance, avant d’enchaîner stop à distance au sifflet en pleine course, sagesse à l’envol – si ce n’est déjà fait –, sagesse au feu, et enfin respect de la tombée du gibier.
À aucun moment vous n’évoquez le rapport…
La plupart des chiens, continentaux comme britanniques, possèdent un rapport plus ou moins naturel souvent suffisant pour la chasse pratique. Le rapport appris devient par contre nécessaire pour le sujet compétiteur, car là encore imposé par le règlement. L’éducation au rapport ne peut selon moi se faire qu’en dernier ressort, une fois tous les autres éléments du dressage parfaitement acquis. Aussi étonnant cela vous paraîtra-t-il, je confie ce travail à un confrère. Pourquoi ? Le rapport appris dans les règles de l’art se veut très contraignant pour le chien. Or, je ne souhaite pas
imposer une exigence supplémentaire à l’élève avec ma propre main, et être ainsi associé à trop de contraintes. En contrepartie, il m’arrive d’enseigner le rapport à des sujets préalablement préparés par des collègues.
Quelles sont vos méthodes ?
Il est nécessaire que le chien puisse accepter les contraintes du débourrage ou du dressage en évitant toute séquelle. Je suis un fervent adepte de la méthode douce. De préférence, je travaille le chien en longe, ce qui limite de manière significative les réprimandes. En fait, pour réussir un débourrage ou un dressage, il est primordial d’établir une confiance entre l’éducateur et son élève. Tout marche à l’affectif, au feeling. Je privilégie ainsi la récompense à la punition. Mais par récompense, entendez beaucoup de caresses, rien de plus.
Parlez-nous un peu de vos « terrains de jeux »… Grâce à la complicité d’un ami de longue date, je dispose d’un magnifique territoire privé de
1 200 ha, situé sur le plateau du Larzac. Un biotope de basse montagne qui abrite quelques compagnies de rouges, et qui se révèle très intéressant pour la bécasse dès le mois de novembre. Toujours en France, j’entraîne régulièrement sur les plaines de Champagne. Enfin, chaque saison, j’emmène certains de mes pensionnaires en Andalousie. Ce territoire privé de plus de 2 500 ha n’est pour ainsi dire pas chassé, et s’avère un véritable sanctuaire de la perdrix rouge sauvage. L’endroit idéal pour présenter à mes disciples des oiseaux naturels et difficiles à travailler. Il m’arrive également de faire le voyage vers la Pologne et la Serbie où, là encore, je dispose de terrains tout aussi giboyeux. De façon pratique, j’effectue le travail technique et de débourrage en France, la plupart du temps sur des oiseaux lâchés. Dès lors qu’il s’agit de compétition, ou d’un propriétaire exigeant souhaitant un chien au top, je travaille à l’étranger sur gibier naturel.
Qu’est-ce qui caractérise un bon compétiteur ?
Un chien de concours est avant tout un chien de chasse surdoué. Il doit en outre posséder une passion, une intelligence et une dressabilité
« Tout marche à l’affectif, au feeling. Je privilégie ainsi la récompense à la punition. »
– comprenez un mental apte à supporter un dressage poussé – bien au-dessus de la moyenne.
Ses qualités naturelles doivent être inhérentes à la race, en particulier la prise de point. À titre d’exemple, le setter doit louvoyer et venir mourir sur le gibier. A contrario, le pointer doit être autoritaire sur la prise d’émanation pour verrouiller l’oiseau. Cerise sur le gâteau, le style de galop. Un grand champion n’est certes pas toujours un chien facilement utilisable pour la chasse pratique, mais une chose est sûre, il amène les qualités d’un point de vue génétique. Je compare souvent la compétition canine à la F1. Côté sélection, les fields apportent beaucoup à la chasse, tout comme la Formule 1 apporte ses innovations à la voiture de monsieur tout le monde. Ceci nous amène à évoquer sélection et élevage… L’élevage n’est pas ma priorité, comme je l’ai déjà évoqué. Certes, j’ai produit par le passé des portées de setters anglais et de setters Gordon. Il m’arrive encore parfois de faire couvrir une lice, mais cela reste désormais occasionnel. Ma passion va, avant tout, vers le travail plutôt que la sélection. Le dressage et la présentation sont deux activités très chronophages qui me laissent du coup peu de temps pour l’élevage. Pour élever correctement, et de manière pérenne, il est primordial de conserver un ou plusieurs sujets à chaque portée, et bien évidemment de s’en occuper.
Or, le setter anglais, qui reste ma race de prédilection, se veut un chien très proche de l’homme et nécessite par conséquent une présence de tous les instants.
Un mot pour conclure… Mon approche du chien se tourne essentiellement vers la chasse, comprenez pratique. Je garde toutefois en permanence un oeil sur la compétition. Côté dressage, il me semble important de ne jamais gommer la prise de points. Par là, j’entends qu’il est primordial de conserver l’approche du gibier spécifique à chaque race.
« J’enseigne la sagesse à l’envol dès le débourrage, contrairement à d’autres. »