Gibier d’eau : billebaude bretonne
Paysage sans cesse renouvelé, le bord de mer, et plus encore l’estran, offre de belles opportunités de chasse. Le gibier, à défaut d’être abondant, est sauvage, varié. De la belle chasse. Particulièrement agrémentée de liberté et de poésie. PARTIE DE GOL
La porte du véhicule est refermée avec précaution. Toute proche, garée sur une parcelle arborée, une caravane semble abriter quelques dormeurs. Avant que les premières lueurs ne pointent, l’homme, accompagné de sa chienne springer, longe le sentier côtier sous les feux des néons qui éclairent le bord de mer. Nous sommes à proximité de la pointe de Penvins, haut lieu de tourisme morbihanais. La saison est encore chaude, économiquement comme thermiquement. Nous sommes en août et la chasse, celle du gibier d’eau tout du moins, vit ses premières heures.
Au bout de quelques dizaines de mètres, nous quittons la piste pour évoluer sur le sable. Les réverbérations lunaires sur l’océan nous éclairent suffisamment pour deviner la plage bouillonnante. La mer qui se retire laisse échapper de multiples bruits auxquels se rajoutent les sifflements incessants des volatiles. Les gravelots trottent en bande, collants aux reflux. Ils se mêlent aux autres oiseaux marins flottant eux sur les vaguelettes léchant le sable. L’animation est à son comble. Pour notre sauvaginier, l’heure crépusculaire du limicole n’a pas encore sonné. Le volet limicole sera abordé un peu plus tard, une fois la passée aux canards consommée. C’est bien le dos tourné à la mer que notre chasseur nocturne compte faire sa passée. Juste de l’autre côté de l’épaisse haie qui borde l’estran, se cache un marais. En ce début d’ouverture, les canards sont souvent remisés sur ces zones, qu’ils vont quitter au lever du jour pour se diriger selon les vents soit vers les rivières, soit vers la mer. Pour Michel Berthe, les années se suivent mais ne se ressemblent pas : « L’année dernière, nous avions observé une forte présence de sarcelles d’hiver. Cette année, il semble que ce soit le colvert qui domine. » Les effectifs locaux relevant ici uniquement d’une population naturelle. L’homme, planté entre les premiers roseaux, scrute le ciel bleu nuit. Sa springer assise à ses côtés préfère surveiller l’alléchant ballet des oiseaux de vase courant sur le sable. Soudain, les premiers envols du plan d’eau, doux comme invisible, se manifestent bruyamment. Le chasseur dresse son canon à l’oblique et scrute le ciel rosé. « Ces postes, qui sont faciles d’accès, offrent des opportunités de chasse assez brèves. C’est ce que j’appelle du “one shoot”. Vous avez le droit à une ou deux séries de tirs, tout au plus. » Au-delà, les oiseaux échaudés auront déserté l’endroit pour la journée. L’année dernière, à la même période, Michel avait eu trois occasions. Opportuniste, il rentrait avec un colvert, un siffleur et une sarcelle d’été dans sa gibecière.
De l’eau douce à l’eau de mer
L’édition du jour sera bien plus maigre. Passé ce premier volet d’une demi-heure, le sauvaginier retourne à son véhicule pour s’emparer d’un sac. L’heure est désormais à celle d’un affût en bord de mer, sur les dernières roches exondées par la marée. La quête prioritaire sera le limicole. « C’est un bon endroit pour le courlis et la pie de mer [l’huîtrier pie]. » À quelques centaines de mètres de notre position, nous nous dirigeons vers la mer fuyante. Pour parvenir à son bord, nous traversons avec méfiance le banc de roches recouvert d’algues dorées et glissantes.
Michel extrait de son sac un canard à ailes tournantes. D’après lui et d’autres sauvaginiers, cela vaudrait pratiquement un petit lot d’appelants, mais « cela ne demande pas les mêmes contraintes d’entretien et de transport ».
C’est sous le ballet incessant des premiers volatiles qu’il installe son canard mécanique. Spatules et pies de mer défilent au-dessus de nos têtes. Tels des avions de chasse, les premiers becs rouges rasant la surface longent la ligne rocheuse, narguant notre position encore découverte.
Le temps pour notre duo de s’asseoir à même la roche et de se recouvrir d’un filet camouflage. La chasse peut commencer. La lumière est désormais aveuglante. Le soleil a pris de la hauteur et, pour notre sauvaginier, ce deuxième volet d’un triptyque se solde à nouveau par la bredouille, malgré les escadrilles régulières d’huîtriers pies peu de temps auparavant. « Ici, c’est vraiment rare de rentrer les mains vides. Il nous reste encore une chance d’en être convaincu. Celle que nous offrira peut-être notre troisième et dernier affût », espère notre homme. Reprenant nos véhicules respectifs, nous quittons la presqu’île de Penvins pour nous diriger dans le golfe, à quelques minutes de notre position. Là, l’ambiance est bien différente. À proximité de la ville animée de Sarzeau, qui se révèle avec son marché hebdomadaire sous le coup de l’afflux de touristes, nous quittons un petit hameau soigneusement entretenu pour descendre vers la petite mer peuplée de ses nombreuses îles. Michel connaît bien le secteur, pour y venir depuis longtemps : « La marée est bonne et nous allons gagner un petit îlot. C’est bon pour le canard comme pour le limicole. »
En ce début de matinée, l’agitation humaine commence à s’emparer du
golfe. Les barges ostréicoles et autres bateaux de plaisance filent à vive allure sur la mer calme, toujours descendante. « Ici, vous avez un décalage de deux heures par rapport à la côte. Cela permet de profiter de plusieurs niveaux identiques de marée, mais à des heures différentes de la journée. » Longeant le sentier de douanier, notre chasseur à la silhouette déformée par un large sac à dos coule le long de l’étroit sentier en direction d’un homme assis à côté de son kayak. La discussion s’engage poliment. « Ici, les gens sont globalement aimables. Le moins que l’on puisse faire est de dire bonjour de manière courtoise et ça se passe bien. » Le chasseur quitte la voie en
direction de la mer qui se retire. Ses jambes disparaissent rapidement dans l’eau. Il semble se diriger vers un îlot de cartes postales, situé à une centaine de mètres de la côte. La scène prend un air de Robinson.
Sur place, nous découvrons les lieux : 300 m2 de végétation arasée parsemée de roches et de quelques bouquets d’algues déposées par les grandes marées. Les nuées de crabes desséchés collent à la salicorne en pousse. De plus près, on devine la présence régulière de canards, en témoignent les nombreuses plumes qui jonchent le sol. « J’ai repéré cet endroit en me promenant le long du sentier. Je n’y ai jamais croisé personne. Les bons coins de chasse de
mandent que l’on se déplace. Du moins la plupart du temps. On peut également procéder en regardant des sites de photographie satellite qui vous en apprendront beaucoup, notamment sur les voies de circulation et les différents sentiers », conseille celui qui s’implique dans l’Association de chasseurs du Morbihan-Dpm (Acmm).
Dérangement extracynégétique
Sous le regard de quelques montgolfières, Michel installe ses formes de canard dans une cinquantaine de centimètres d’eau : « Cette agitation est bonne pour la chasse de jour. Cela fait bouger les oiseaux qui ont horreur des montgolfières et parfois des bateaux rasant leur position. » Le commentaire fait tout de suite écho. Quelques secondes après à peine, plusieurs impressionnantes bandes de colverts décollent des marais d’eau douce situés en fond de golfe. C’est par centaines que les colverts garnissent l’horizon. Revers de la médaille, si la montgolfière fait voler les oiseaux, elle a
Les premiers becs rouges longent la ligne rocheuse, narguant notre position encore découverte.
également un effet nettoyeur indiscutable. En quelques minutes, tous les volatiles ont déserté le secteur. Quelque temps plus tard, notre passée s’anime à nouveau par le passage de courlis cendrés, une espèce qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, n’est plus autorisée au prélèvement (lire encadré p. 75).
Pour parfaire cette matinée, Michel nous emmènera dans un autre univers pour témoigner de l’incroyable diversité de milieux que renferme le littoral en général et celui, breton, en particulier. En fond de golfe, les zones de marais sont propices à la chasse de bien des gibiers (lire encadré 2 page XX). Mais ces marais parsemés d’herbus peuvent se révéler piégeux. Certaines zones limoneuses sont infranchissables, à moins d’être chaussé de sabots ostréicoles. Mais ne vous attendez pas à rentrer propre chez vous.
Des roches aux palus
Malgré les idées reçues, le territoire chassable sur le littoral est riche de diversité de milieux et d’atmosphères. Des roches à l’affleurement éphémère jusqu’aux palus les moins mouillés, on éprouve un étonnant sentiment de liberté, même dans les portions touristiques et en période de vacances.
Et dire que les 60 000 ha de territoire chassable de l’Acmm sont ouverts à tous