Approche : le géant du Ventoux
CERF MÉDITERRANÉEN
Montagne mythique à bien des égards, le mont Ventoux est également un paradis du chasseur. Approche au brame dans ce site classé réserve de biosphère par l’Unesco. En quête d’un géant, avec l’Onf.
Il fallait que ça tombe sur nous ! Alors que la sécheresse ininterrompue marque la région depuis des mois, la première vague dépressionnaire s’abat sur notre secteur depuis quelques heures. Pour notre première sortie de chasse au cerf bramant, c’est un déluge de pluie qui nous attend. Le petit jour peine à s’éclaircir dans ce ciel noirci par les nuages. Dans la combe forestière, notre chasseur s’est rendu, sous les conseils de l’agent Onf en charge du massif, au lieu dit du meilleur point de rencontre de brame. Nous avons été prévenus : en ce moment, les cerfs se font discrets.
Quand certains pirscheurs élaborent minutieusement leur équipement de chasse, Valentin, lui, s’encombre peu. Seul le port d’une carabine occupera l’une de ses mains. Étuis de cartouche et couteau à la ceinture constitueront son unique équipement complémentaire. À peine une fine couche vestimentaire le protégera, de manière éphémère, des agressions climatiques qui tombent sur nos têtes. Dès les premiers mètres, la déclivité du terrain se fait sentir. Nous disparaissons dans une forêt de chênes blancs, au sol jonché d’éclats de calcaire. Les arbres de tailles réduites portent une houppe basse masquant la visibilité dès 30 m. Dans un tel univers, voir et approcher un cerf semble illusoire. Mais dès le premier raire parvenant à nos oreilles depuis le sommet, nous comprenons vite que cette pluie, si détestable pour les photographes que nous sommes, sera une précieuse alliée pour le chasseur que nous accompagnons. Plaquant nos odeurs et masquant l’inévitable bruit de nos pas sur ce sol minéral, ces précipitations ne contraignent cependant pas les cerfs au silence. Bien contraire. Au fur et à mesure de notre progression altitudinale, les cris amoureux se multiplient, de plus en plus audibles. Régulièrement, le jeune pirscheur, qui prend soin de réfléchir chaque pas lors de sa progression, pose genou à terre. Dans une posture méditative, il perd son regard dans les arbres et écoute. Avec délicatesse, il tord doucement les branches entravant son évolution et enjambe acrobatiquement certains troncs. Tel un félin, il se meut dans cette forêt piégeuse. On comprend mieux la légèreté de son accoutrement.
À chaque poignée de minutes, un mâle manifeste son rut. Combien sont-ils ? Deux ? Quatre ? Où sontils ? Plus en amont, oui, mais vers lequel se diriger ? À gauche, à droite ? La part de chance en ces lieux est forte, comme pour bien des chasses. Le cirque amoureux apparaît complexe. À l’oreille, les animaux sont mobiles. Comment anticiper leur progression dans ces pentes sombres ?
Notre chasseur fait le choix de déborder les animaux par la droite, se plaçant ainsi sous leur vent, et de se rapprocher d’eux sur la même courbe dénivelée. Désormais, la pluie a cessé, mais pas les précipitations. Les gouttes chutent encore. Elles martèlent, innombrables, le sol forestier. Ce brouhaha nous est utile. Un caillou qui dérape, une branche trop amoureuse qui crisse sur le pantalon, sont autant de bruits passant inaperçus. Si les raires se font plus espacés, les rares qui nous parviennent désormais sont proches. Peut-être trop même. Figé tel le Penseur de Rodin, notre pirscheur écoute à nouveau. Il attend le prochain hurlement. En vain. Il quitte son immobilité pour se caler doucement contre un tronc. Quelque chose a bougé. Ce qui, de loin, s’apparente à un tronc de gaulis, est en réalité l’antérieur d’un grand cervidé. Il remonte sur nous, par saccades, dans la plus grande discrétion. Épaulant sa carabine, le pircheur pointe le canon en contrebas. L’animal, une biche aux aguets, semble seul. 30 mètres nous séparent de la belle dont il ne reste encore que quelques secondes d’insouciance. Derrière elle, une autre masse se démarque d’entre les troncs, à quelques mètres. L’animal porte les bois. Il est corpulent. C’est un cerf qui semble généreusement coiffé. Peu importe pour notre chasseur qui s’était promis de tenter sa chance sur la première rencontre.
Un des plus grands cerfs tués ici
Bien calé contre son arbre, le prédateur attend maintenant le moment opportun. Interminable ! La biche marque l’arrêt. Cou dressé, oreille pivotante et naseau béant, elle cherche sans doute à confirmer un mauvais pressentiment. Celui de notre présence. Elle manifeste les premières hésitations, témoignant de l’imminence de sa fuite. Elle se dandine, tourne, retourne. Derrière elle, le mâle, comme ivre, colle placidement à son train. Elle décide de remonter pour passer devant nous. C’est le moment. La balle file entre les troncs de toutes tailles qui la séparent de sa cible légèrement mouvante. Le cerf claque des postérieurs et nous tourne le dos dans sa course folle. Le silence extrême qui suit la détonation laisse échapper les bruits d’une lourde cavalcade. Tout s’arrête. Comme inerte, le chasseur reprend ses émotions. Les quelques minutes qui s’écoulent sont intenses et chargées de questionnements. Est-il touché ? Vais-je le retrouver ?
Le mont Ventoux abrite cinq grands gibiers pour autant d’atmosphères.
Doucement, comme apeuré, il se dirige vers le lieu supposé d’impact. Très vite, il tombe à genoux devant un indice de blessure. Son visage s’illumine un peu. Notre progression est des plus précautionneuse. Notre regard se cale sur chaque plaque de sang plus ou moins abondante. L’animal semble sérieusement touché. Nous décelons aussi ses chutes laissées dans le tapis de feuilles qui commencent à recouvrir la forêt. Pour le chasseur, qui peine à garder son sangfroid, la marche s’accélère. Il gagne sur notre distance et éructe d’émotion quand, levant son regard, il devine la ramure de son gibier, couché sur le flanc, inerte. 100 mètres nous séparent des lieux du tir. Le cerf est mort, vite, tué d’une perforation aux poumons. Sur place, l’animal présente une morphologie rare. De corps carpatique, le dominant arbore 16 pointes. Contacté par le chasseur, l’agent Onf qui vient apposer le bracelet confie : « C’est l’un des plus grands jamais tirés sur cette montagne. » Alain Chareyre sait de quoi il parle. Encyclopédie vivante de la cynégétique en pays Ventoux, l’homme, en poste dans la région depuis 1979, a assisté aux premières chasses de l’espèce après son introduction (lire encadré p. 68). La carcasse, qui dépasse allègrement les 200 kg, sera tractée dans la pente jusqu’à un sentier forestier, fort heureusement proche. Le pick-up, accolé à la pente, viendra recueillir l’imposante masse. L’heure est à la cotation, selon les propres critères de l’Onf qui gère la chasse sur ce territoire de 900 ha (lire encadré p. 67).
Une extrême biodiversité
De retour, le ciel fumant s’assèche progressivement, dévoilant le site remarquable.
C’est d’abord le crâne chauve de cette montagne pelée qui se distingue. Point culminant de la Pro
vence, le mont Ventoux érige sa crête pelée d’un gris blanc à 1912 m d’altitude. Selon Alain Chareyre, rien ne pousse là-haut en raison de l’aridité de la terre et de la régularité des vents, qui contrarient toute végétalisation. La partie sommitale du mont connut, comme son en