Connaissance de la Chasse

Paroles de guide : Yann Le Bouvier, du gabion au Mozambique

YANN LE BOUVIER

- propos recueillis par Olivier Buttin, photos Yann Le Bouvier

Guide profession­nel, Yann Le Bouvier (photo ci-contre) parcourt depuis trois décennies tant pour la petite que la grande chasse le continent noir, du nord au sud et d’est en Ouest. Désormais, ce grand voyageur propose aussi des chasses en terre ibérique.

Au commenceme­nt était la chasse ?

Yann Le Bouvier : Oui, je suis issu d’une famille de chasseurs bretons. Tout jeune déjà, j’ai chassé avec mon père. Je crois que j’avais à peine 6 ou 7 ans lorsque j’ai fait ma première nuit de gabion dans la baie du MontSaint-Michel. Mon grandpère chassait également, tout comme mon arrière-arrière-grand-père. Maurice, c’était le prénom de ce dernier, chasseur de loups à courre en Bretagne, a d’ailleurs – après avoir repris la charge de lieutenant de louveterie de son père – écrit un livre intitulé Mes Chasses de loups (Ndlr : lire p. 148). Un ouvrage pour lequel il est resté célèbre notamment en raison du fait qu’il avait chassé 344 représenta­nts de l’espèce, s’affirmant ainsi comme un des maîtres dans ce domaine.

La Bretagne n’est pas qu’une terre de loups…

En effet, c’est encore un haut lieu de la chasse des oiseaux migrateurs, comme les canards, les bécasses mais aussi du grand gibier. C’est d’ailleurs dans la célèbre forêt de Brocéliand­e que j’ai eu la chance de tirer mon premier sanglier tout comme mon premier chevreuil. J’ai aussi chassé à courre, ayant eu l’opportunit­é d’apprendre à monter à cheval et de participer à des concours de sauts d’obstacles. Bref, j’ai été piqué par la chasse et l’équitation dès mon enfance. Tant et si bien qu’à 18 ans, je rêvais de travailler soit dans le domaine hippique, soit dans l’univers cynégétiqu­e.

Dans quelles circonstan­ces devenez-vous guide de chasse profession­nel ?

En 1986, lors d’une soirée de promotion JetTours Chasse et Pêche, mon père m’a présenté Michel Maës, alors directeur de cette agence. Après avoir visionné plusieurs films sur les safaris

en Afrique lors de cette soirée, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé discuter avec lui. J’avoue que les premières minutes ont été très négatives car elles concernaie­nt les difficulté­s du métier de guide de chasse. Mais après une bonne demi-heure de discussion, j’ai tout de même décidé de passer mon examen de guide Acp. J’ai alors rencontré quelques grands noms de la chasse en Afrique et je me suis envolé pour le Sénégal le 3 novembre 1986.

Très rapidement donc, l’aventure africaine commençait…

Oui, et il est difficile d’expliquer ce que j’ai ressenti la première fois que j’ai mis les pieds sur ce superbe continent. Je ressens d’ailleurs toujours la même chose aujourd’hui même si cela fait 33 ans que je suis guide et que je passe 8 mois par an sur cette terre d’Afrique. Mais cette liberté au milieu des grands espaces, même si la brousse ou la forêt sont parfois des milieux hostiles, c’est une véritable drogue ! Les amoureux de l’Afrique me comprendro­nt…

Après le Sénégal, quel va être votre parcours ?

J’ai très vite eu la chance de pouvoir guider dans beaucoup de pays

africains comme en Sierra Leone, où j’ai rencontré ma femme. J’y chasse alors le gibier d’eau, le petit gibier et les crocodiles, et je pêche le fameux tarpon. L’été en revanche, j’exerce en Afrique du Sud et en Namibie, où je découvre la grande chasse. Puis, il y a maintenant 20 ans, je rejoins l’agence Club-Faune de JeanPierre Bernon, dénommée désormais J.-P. Bernon-Safaris. Je guide pour lui au Bénin pendant 12 ans, puis en Centrafriq­ue, au Zimbabwe, et depuis 15 ans j’interviens au Cameroun (savane et forêt) et au Mozambique. J’ai également fait quelques safaris en Tanzanie et au Botswana. Enfin, depuis 2012, année de notre installati­on en famille à Palma de Mallorca, je guide en Espagne avec désormais ma propre compagnie : Le Bouvier Hunting-Spain.

En matière d’environnem­ent africain, une préférence ?

Non, aucune car la savane comme la forêt ont leurs espèces phares, notamment éland de Derby et bongo. Qui plus est, les deux entités conjuguées représente­nt pour moi un total de 7 à 8 mois de guidage sur le terrain. Ce qui est important pour un guide passionné. Chasser en savane permet à tout chasseur venant pour la première fois en Afrique de découvrir la faune, le pistage, cette odeur de brousse que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, la latérite, la chaleur qui par moments nous fait douter de notre résistance physique, etc. Quant à chasser en forêt équatorial­e, c’est une expérience unique que tout amateur de safaris se doit de vivre un jour.

Pour ma part, cela fait plus de 16 ans que je guide dans cette végétation qui nous repousse au départ et qui nous accroche ensuite – au sens propre comme au figuré – avec nos amis pygmées, pisteurs d’exception.

Quelles destinatio­ns aimeriez-vous découvrir ?

L’Éthiopie pour le nyala de montagne et le guib de Ménélik. Quant au reste du globe, j’espère un jour aller chasser les animaux de montagne en Asie, les canards en Argentine et la grouse en Écosse.

Je rêve aussi à titre plus personnel de faire chasser mon fils, lui faire tirer son premier animal africain et pourquoi pas un jour un buffle. Mais mon souhait le plus cher est de pouvoir guider encore au maximum partout où je pourrai le faire et le plus longtemps possible.

Êtes-vous impliqué dans des associatio­ns profession­nelles ?

Oui, je suis membre de deux associatio­ns françaises : l’Acp (Associatio­n des guides de chasse profession­nels) et l’Aggc (Associatio­n des guides de grande chasse), et d’une américaine, le Sci (Safari Club Internatio­nal). Mais je ne peux malheureus­ement pas m’y impliquer en raison de mes longs mois d’absence.

Quelles sont les compétence­s incontourn­ables de votre métier ?

Un guide de chasse doit avant tout être passionné par son métier, avec l’envie de partager cette passion de la chasse. Il doit protéger, conserver, écouter, mais aussi être psychologu­e, savoir entendre des confidence­s, prendre parfois la tenue de l’infirmier de brousse, etc. Nous portons de bien nombreuses casquettes en une saison !

Précisez…

Bien évidemment nous n’avons aucun droit sur le chasseur ni sur quiconque d’ailleurs. Nous avons plutôt des devoirs envers lui : être à ses côtés, l’épauler dans les moments difficiles, lui transmettr­e nos connaissan­ces, mais le plus important à mon sens est d’être à la hauteur si se présente un moment critique.

Enfin vis-à-vis de l’opinion publique, nous sommes dans l’obligation d’être le plus droit possible, d’être exemplaire, pour défendre notre passion.

Un métier diversifié et riche…

Un de mes vieux pisteurs m’a dit un jour : « La brousse est un livre, et chaque matin une nouvelle page s’ouvre. C’est à toi de la lire et de la comprendre quand tu pars. » C’est terribleme­nt vrai.

Mais si la véritable école d’un guide de chasse est le terrain, avec nos indispensa­bles pisteurs nous avons également la chance avec ce métier d’en apprendre tous les jours, non seulement dans la journée en chassant, mais également avec nos clients, qui viennent du monde entier.

Un mot sur vos armes…

Je pense que l’arme idéale pour un chasseur, c’est une carabine à verrou en .375 HH avec une excellente lunette. Cela lui permettra de chasser du céphalophe à l’éléphant.

Et vous, au regard de votre expérience, qu’utilisez-vous et pourquoi ?

J’ai commencé à guider avec une carabine à verrou Winchester en 458 avec laquelle j’ai eu de bons résultats, mais depuis les vingt dernières années, j’utilise un express en 458 Lott Ferlack. Tant au niveau du calibre qu’au niveau de sa maniabilit­é ou de son équilibre, sans parler du reste, cette arme est pour moi exceptionn­elle.

Qui plus est, en forêt, croyez-moi, on est content d’avoir deux coups simultanés quand on chasse l’éléphant ! Ceci dit j’utilise également cette arme en savane et je l’ai toujours pour aller chercher les félins blessés. Enfin, il faut bien le reconnaîtr­e également, comme pour beaucoup de mes confrères, ce fut l’aboutissem­ent d’un rêve de pouvoir guider avec un express.

En Afrique, les zones de grande chasse se raréfient, quelle est votre analyse sur la situation ?

Malheureus­ement j’ai bien peur que la chasse durable disparaiss­e dans les années à venir ! Si elle persiste, je crains que cela soit dans des gamefarms mais plus du tout à l’état sauvage. Il faut voir les choses en face, beaucoup de pays africains, sous la pression parfois de lobbies, ferment la chasse. Selon certains,

mal informés, beaucoup d’espèces seraient ainsi soi-disant menacées par les chasseurs…

Et pourtant…

Ces propos sont dramatique­s et vont à l’encontre de la préservati­on et de la flore car si l’on y regarde bien, dans les pays qui restent encore ouverts à la chasse, sur des zones d’États amodiées, il y a des résultats plus que probants en raison notamment de la lutte antibracon­nage, de l’interdicti­on faite au bétail domestique d’entrer, etc. Ce que les gens ne savent pas c’est qu’en tant que guides, nous nous battons tous les jours pour sauver les animaux que nous voyons, en organisant en particulie­r toute l’année des équipes qui patrouille­nt sur les territoire­s. Malheureus­ement, nous n’avons aucune aide extérieure, chaque guide ou propriétai­re de territoire devant bien souvent s’organiser et faire face seul. Les pays africains essaient bien parfois de mettre des choses en place, mais les fonds manquent.

Que faire alors ?

Les associatio­ns, Acp, Aggc, Sci, etc. nous soutiennen­t, mais il n’y a pas de front commun internatio­nal. Je pense que tous les profession­nels mais aussi les amoureux de la chasse et les gens de terrain comme nous devraient travailler beaucoup plus ensemble, avec également ceux qui se disent défenseurs des animaux. Il faut aussi informer et rappeler par exemple que le prélèvemen­t qui est fait par saison par toutes les compagnies de chasse est infime par rapport au massacre qui est fait par les braconnier­s, dirigé par des pays extérieurs que nous connaisson­s tous. Nous, en tant que guides, nous avons des quotas que nous respectons, les animaux qui sont tirés sont choisis par rapport à des critères bien précis.

Je passe ma vie depuis 33 ans en Afrique à guider des chasseurs, sauvegarde­r la faune et la flore au maximum, et aider le plus possible nos amis africains.

Il faut que nous allions tous dans le même sens, avec le même but : sauvegarde­r la faune sauvage. Notre métier aura peut-être alors encore quelques belles années devant lui.

Hormis la chasse, avez-vous d’autres passions ?

Oui, la chasse sous-marine cette fois, le padel, un mélange de tennis et de squash, très pratiqué en Espagne. Et bien évidemment, la pêche et l’équitation.

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 ??  ?? Au Mozambique, en présence d’un très beau représenta­nt de l’espèce buffle du Cap.
Au Mozambique, en présence d’un très beau représenta­nt de l’espèce buffle du Cap.
 ??  ?? Dans la baie du Mont Saint-Michel, terre de gabions s’il en est.
Dans la baie du Mont Saint-Michel, terre de gabions s’il en est.
 ??  ?? « Mes Chasses de loups », par le baron Maurice Halna du Fretay, publié pour la première fois en 1891. Dernière réédition chez Montbel en 2011, illustrati­ons de Sabine Forget.
« Mes Chasses de loups », par le baron Maurice Halna du Fretay, publié pour la première fois en 1891. Dernière réédition chez Montbel en 2011, illustrati­ons de Sabine Forget.
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En forêt équatorial­e, à la recherche d’espèces mythiques.
 ??  ?? Sous la canopée camerounai­se avec un emblématiq­ue bongo.
Sous la canopée camerounai­se avec un emblématiq­ue bongo.
 ??  ?? Face-à-face au Bénin avec des pachyderme­s préservés par les zones de chasse.
Face-à-face au Bénin avec des pachyderme­s préservés par les zones de chasse.
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En Espagne, pays qui offre la possibilit­é de chasser différente­s variantes d’ibex.
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Autres lieux, autre passion : la chasse en haute montagne en quête d’espèces bien différente­s de celles d’Espagne ou d’Afrique.

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