Rowland Ward, as de la grande chasse
Connu pour ses ouvrages sur les trophées, James Rowland Ward fut également un taxidermiste de renommée internationale. Retour sur ce personnage d’exception, à l’occasion de la sortie de la 30e édition du fameux catalogue international des trophées.
Petit-fils d’un naturaliste et commerçant en peaux de bêtes, fils du taxidermiste londonien Edwin H. Ward (1812-1878), lequel accompagna entre autres l’artiste et naturaliste John James Audubon dans ses expéditions afin de rassembler et de préparer ses peaux d’oiseaux, James Rowland Ward naquit en 1848. À l’instar de son frère Edwin Jr, il fut très vite formé aux affaires de son père. Il indique ainsi dans son propre livre A Naturalist’s Life Study avoir quitté l’école à l’âge de 14 ans. Il faut dire que dans la boutique de son père, inaugurée en 1857 et qui avait reçu un mandat royal de la reine Victoria, le travail ne manquait pas, entre la préparation des têtes et le montage des peaux pour la famille royale britannique ou l’impératrice d’Autriche, tout comme pour la constitution entre autres de la collection de colibris de John Gould dont le jeune James s’occupa tout particulièrement.
Est-ce à partir de ce moment-là qu’il se concentra plus particulièrement sur la sculpture et la modélisation anatomiquement correcte ? C’est difficile à dire. Une chose est certaine néanmoins, James avait déjà un excellent coup de crayon et il deviendra d’ailleurs plus tard un sculpteur de bronze remarquable.
Mais outre ces qualités, le talent et la renommée de son père, deux faits majeurs vont consacrer James Rowland Ward comme le spécialiste de la taxidermie mondiale de l’époque: l’importance de l’empire britannique et la révolution industrielle. Composé de colonies, de protectorats et de nombreux territoires administrés par le Royaume-Uni, l’empire britannique va connaître en effet son apogée pendant la vie de James Rowland Ward. Pour en avoir une idée, il convient de savoir qu’à la fin de la première guerre mondiale, l’empire comptait 458 millions de personnes, soit un cinquième de la
population mondiale de l’époque, et couvrait plus de 33700000 km2, soit près du quart de la superficie terrestre de notre planète.
À cela se combine la révolution industrielle qui crée de nouvelles richesses. Des fortunes qui créent elles-mêmes une nouvelle catégorie de sportifs britanniques qui vont s’aventurer à travers le monde et en rapporter des trophées de chasse ainsi que des spécimens destinés à l’histoire naturelle au sein de musées publics ou privés.
Mais les riches Britanniques ne sont pas les seuls à confier leurs travaux à Rowland Ward Limited. Bientôt les têtes couronnées de toute l’Europe, les célébrités, les sportifs font appel à ses compétences. Et la boutique de Rowland Ward, désormais basée au 167 Piccadilly à Londres, devient connue alors mondialement sous le nom de The Jungle.
Le Who’s who de la grande chasse
En cette ère victorienne, Rowland Ward ne cesse d’innover, notamment en créant des vitrines d’oiseaux naturalisés, mais aussi ce que l’on nomme le mobilier et les meubles Wardian réalisés à partir de cornes, de bois, de peaux, de défenses d’animaux voire d’animaux entiers. En 1880, deux ans après la mort de son père et le départ de son frère pour les États-Unis, James Rowland Ward se lance dans l’édition de livres avec notamment The Sportsman’s Handbook to practical collecting and preserving trophies qui concerne la manière de conduire la chasse, la façon de s’occuper des peaux, d’exploiter des camps, d’engager des guides et de choisir ses armes à feu.
Ces livres qui vont connaître un véritable succès seront régulièrement réédités mais James, qui a écrit plusieurs livres lui-même, publie aussi les textes et récits d’autres auteurs comme le comte Josef Potocki, le prince Demidoff, Richard Lydekker, Henry Bryden, Percy Powell-Cotton, Fréderick Courtney Selous… Ceci dit, ses publications les plus célèbres sont ses Records of Big Game. Publiée en 1882, la première édition s’intitulait : Horn measurements and weights of the great game of the world. Mais quatre ans plus tard, la seconde édition, qui compte deux fois et demie plus de pages que la première, prend son nom définitif, à savoir : Rowland Ward’s records of big game. En 1914, sept éditions ont déjà été publiées. Au début du XXe siècle, The Book est le livre de référence des chasseurs et naturalistes. D’ailleurs, de nombreux musées d’histoire naturelle conservent précieusement les différentes éditions car elles constituent une rare source d’informations sur les mammifères présents dans les coins les plus reculés de l’Empire, mais aussi de la terre. En effet, non seulement le livre comprend des mesures mais il contient aussi des anecdotes de chasseurs, de naturalistes et de Rowland Ward luimême sur les espèces, sous-espèces, les variations géographiques, l’aire de répartition etc. Le nom de Ward va d’ailleurs être incorporé dans la nomenclature scientifique de trois animaux : le bouquetin asiatique, Capra sibirica wardi, une sousespèce de cobe des roseaux, Redunca redunca wardi, et une sousespèce de l’ours malais, Ursus malayanus wardi.
Véritable Who’s Who de la grande chasse, The Book s’enrichira même après la mort de Ward le 28 décembre 1912 de noms célèbres : ainsi trouve-t-on dans les pages des différentes éditions le roi George V, la reine Elizabeth II, le prince Bernhard des Pays-Bas, le prince Abdorreza d’Iran, divers princes de Galles, Sir Winston Churchill, le président Theodore Roosevelt… Quant à l’influence des chasseurs américains de grand gibier, elle deviendra plus apparente après la seconde guerre mondiale, lorsque les
noms d’Ernest Hemingway, de Robert Ruark, de Jack O’Connor, d’Elgin Gates ou de James Mellon II apparaîtront dans les éditions.
De Londres à Nairobi
L’arrivée de ces chasseurs américains va d’ailleurs totalement modifier la donne. Car, si avant 1914 la plupart des sportifs présents sur les terrains de chasse du monde sont britanniques, ils sont après 1918 progressivement remplacés par des Américains. Après la seconde guerre mondiale, le nombre de ces chasseurs en Afrique et en Asie devient supérieur à celui de toute autre nationalité. Tant et si bien que des ateliers de taxidermie voient le jour aux Usa.
Et si Rowland Ward Limited conserve une position de leader sur le marché et ouvre même en 1950 une succursale à Nairobi pour le traitement et l’exportation des peaux brutes, la fin des ateliers de taxidermie est inéluctable, surtout lorsque des pays comme l’Inde (en 1971) et le Kenya (en 1976) ferment la chasse. Sans parler du fait qu’en 1974, le gouvernement kenyan exproprie les établissements de Rowland Ward à Nairobi sans indemnisation. Ce qui va représenter une perte considérable pour la société. Une situation qui, conjuguée au déplacement de la clientèle aux ÉtatsUnis et à la concurrence croissante d’entreprises américaines et européennes, entraînera la fermeture de la branche taxidermie au milieu des années soixante-dix.
La branche édition perdurera, mais connaîtra bien des péripéties. La 18e édition en Angleterre du Book, datée de 1981, sera la dernière à voir le jour au Royaume-Uni. Car, par la suite, la société est vendue et les nouvelles éditions sont publiées, tour à tour, au Texas dans un premier temps puis en Afrique du Sud.
Aujourd’hui, après son rachat en 2015 par Ludo Wurfbain via sa maison d’édition Safari Press (lire son interview p. 152 et suivantes), The Book, qui est de retour aux Usa, en Californie précisément, va connaître sa 30e édition. Une édition totalement renouvelée et abondamment enrichie qui est disponible en cette fin d’année. Le retour d’un mythe.