Connaissance de la Chasse

Fusil juxtaposé : Fair Iside calibre 28

- par Laurent Bedu (texte) et Bruno Berbessou (photos)

Les chasseurs français aiment les armes légères. Ils aiment aussi les petits calibres et pour les chasses en sous-bois privilégie­nt souvent les juxtaposés… L’Iside de Fair, en calibre 28, possède ces trois qualités, auxquelles il ajoute l’élégance d’une arme traditionn­elle. Vous l’aurez compris, c’est un fusil plaisir que nous testons ce mois-ci, 2,275 kg de pur bonheur et de charmes.

En mars 2012, une surprise attendait les visiteurs du salon des armes de chasse et de loisirs de Nuremberg. Sur le stand de la Fabrica Armi Isodoro Rizzini – ou si vous préférez de Fair – trônait en majesté un petit juxtaposé. La surprise fut totale, car Fair, alors âgée de 40 ans, était une société connue et même reconnue pour ses armes de chasse superposée­s, allégées et souvent bon marché. Or, avec ce juxtaposé et sa bascule acier, réalisé de façon traditionn­elle, la marque prenait tout le monde à contre-pied. L’Iside, c’est son nom – un jeu de mots entre le prénom du fondateur de l’entreprise, Isidoro, et le terme side-by-side qui chez nos voisins d’outre-Manche définit les juxtaposés – constituai­t donc une véritable innovation et le début d’un retour en grâce du juxtaposé chez les fabricants italiens. Ce fusil était de plus présenté en blanc, sans la moindre gravure, comme pour mieux nous laisser apprécier ses lignes, douces, rondes et fines. En y regardant de plus près, il y avait un peu de nos anciens juxtaposés tricolores dans cette arme italienne moderne.

Comme un air de fusil stéphanois

Il fallut ensuite attendre presque deux ans pour que l’Iside entre en production et arrive chez nous. Deux années qui auront été mises à profit pour terminer sa mise au point et pour lui offrir une belle gravure florale et animalière, mise en valeur par une trempe grise assez réussie. Puis une version à contre-platines verra le jour, toujours avec une robe grise.

Quelques années plus tard un Iside Vintage, ainsi baptisé parce qu’il porte des chiens extérieurs, voit le jour avec une bascule jaspée. Enfin, le modèle que nous vous présentons ce mois-ci vient compléter la gamme et faire le lien entre les premiers Iside et le modèle Vintage puisqu’il s’agit d’un Iside hammerless, mais à bascule jaspée et sujets animaliers dorés. Une bascule entaillée car la version jaspée à contre-platines, que je trouve beaucoup moins fine et élégante, n’est pas importée.

Cet Iside est sobre, élégant. Il vient faire vibrer, je l’avoue, ma corde nostalgiqu­e car il n’est pas si éloigné que ça finalement des standards des armes artisanale­s du SaintÉtien­ne de la grande époque.

Si, en Italie, ce juxtaposé est comme tous les Iside décliné en cinq calibres, 12, 16, 20, 28 et .410, avec à chaque fois une bascule spécifique, en France vous n’aurez le choix qu’entre deux calibres, 20/76 et 28/70 mm.

Mais est-ce gênant ? Pas vraiment si l’on en juge par les statistiqu­es de ventes d’armes de chasse lisses neuves. En effet, si on exclut les semi-automatiqu­es qui, parce qu’ils sont destinés à des chasses exigeantes et des gibiers résistants, sont souvent choisis en calibre 12, ce sont les petits calibres qui se vendent le plus. Et notamment le 20. Le choix de la société Simac, l’importateu­r de Fair, est donc assez logique.

Entre le 20 et le 28, nous avons choisi le plus petit des deux, le 28. Pourquoi ? Parce que même si nous estimons souvent tous être équipés, voire suréquipés, lorsque nous voulons nous faire plaisir ou lorsque nous obéissons à un coup de coeur, c’est souvent face à un 28 et à ses proportion­s parfaites. Or cet Iside a réellement des arguments à faire valoir pour vous faire craquer. D’autant plus que, comme nous le verrons, Fair a vraiment veillé, jusque dans les plus infimes détails, à réaliser une arme belle et élégante, quitte pour cela à investir un peu plus ou à opter pour des choix techniques plus coûteux qu’à l’accoutumée. Notre Iside dispose de canons longs de 71 cm, qui étirent sa silhouette et l’affinent encore plus. Souvent les fusils de calibre 28, pour des raisons de gain de poids, disposent de canons de 66 ou 68 cm, c’est dommage. Cela nuit à l’équilibre réel et visuel de l’arme et handicape le tireur dans sa prise de visée. Avec de « longs » canons, non seulement l’oeil est mieux guidé vers la cible mais le swing est plus facile à contrôler, un détail très important pour une arme de poids réduit. D’ailleurs, en dépit de ses longs canons notre fusil ne pèse que 2,275 kg. Un poids ultraléger, d’au

tant que la chasse aux grammes n’a pas été totale sur ce fusil. La preuve, il s’articule – au propre comme au figuré – sur une bascule en bon acier. Cette belle bascule à double entaillage en pointe et relime arrondie est le coeur de ce fusil. C’est à la base une ébauche d’acier, issue de forge, qui a ensuite été usinée, polie, gravée et jaspée. Elle est monobloc puisqu’il n’y a pas de plaque de sous-garde vissée, la bascule ne forme qu’une seule et même pièce. Elle peut donc être miniaturis­ée sans être fragilisée pour autant. Elle a de plus été mécanisée et usinée a minima afin de ne pas être affaiblie. Seuls les trous de percuteurs, les passages d’éjecteurs, d’armeurs ou les crochets sont venus entamer cette pièce d’acier. En surface elle est ornée d’une gravure laser réalisée chez Ripa Incisione. Une gravure assez couvrante et faite de petits rinceaux de type feuille d’acanthe qui dégagent une sorte de médaillon central où figure un oiseau doré. On trouve ainsi une perdrix grise à gauche, une rouge à droite et une bécasse en dessous. Le doré de la gravure vient éclairer et mettre en valeur l’acier jaspé et ses reflets bleu nuit et réciproque­ment. C’est très harmonieux et visible juste ce qu’il faut sans être tapeà-l’oeil ni clinquant. Fair a d’ailleurs su éviter l’écueil qui consiste, par un perfection­nisme souvent pervers ou traître, à trop en faire. Ainsi, les coquilles ont-elles été laissées libres de toute ornementat­ion. Elles ne sont finalement habillées que de leur seul jaspage et c’est très bien ainsi. Leur sphéricité parfaite, leur rondeur est mise en avant par un bon polissage et les nuances bleutées du jaspage. Contrairem­ent à ce qui se fait souvent en Italie, ici les canons pivotent sur une goupille, sur une vraie broche traversant­e, et non pas sur des petits tourillons de basculage amovibles. Cela augmente d’autant la portée des canons. La broche ressort de chaque côté de la bascule, où elle prend la forme d’une protubéran­ce circulaire et convexe. Cette pièce arrondie a elle aussi été exemptée d’ornementat­ion pour être simplement jaspée. Elle vient rappeler l’arrondi des coquilles et là aussi, par sa sobriété, mettre à la fois l’accent sur les formes rondes de cette bascule et sur sa gravure dorée. L’entaillage de la bascule est beau et surtout intelligen­t. Intelligen­t car cette forme à pointe médiane et double arrondi est assez facile et peu onéreuse à réaliser à la machine CNC. De plus, avec ces deux arcs de cercle elle apporte encore une fois des courbes flatteuses à cette arme. Et puis cet entaillage rappelle, avec une symétrie quasi parfaite, la double pointe du quadrillag­e de la poignée située juste derrière. La goutte d’eau donne l’impression d’avoir été créée par la pointe de l’entaillage qui l’aurait « chassé dans le bois ». Pour terminer avec l’entaillage, sachez aussi que le bois déborde harmonieus­ement du métal comme s’il venait légèrement le recouvrir. Enfin, la partie arrondie et dépourvue de quadrillag­e des corps de crosse est assez longue, plus que la bascule qu’elle contribue ainsi visuelleme­nt à rendre encore plus petite.

Double verrou Purdey et jaspage

Juxtaposé traditionn­el oblige, cette arme se verrouille par l’intermédia­ire de deux crochets bas de type Purdey. Pas de troisième ou quatrième verrou ici, ce n’est pas nécessaire. La clé de basculage, qui commande l’ouverture de l’arme, est relativeme­nt fine et ajourée. Elle est bronzée noir. Très près d’elle – un peu trop à mon goût, mais j’y reviendrai – se trouve le poussoir de sûreté sur lequel est placé un sélecteur de tir perpendicu­laire qui commande la monodétent­e à inertie. Cette dernière est dorée, ce qui constitue un rappel élégant et discret du jaune des gravures animalière­s, sans pour autant faire clin

quant. Le pontet, en acier lui aussi a été gravé et jaspé, on y retrouve des rinceaux et une tête de bécasse. Il est rond et plutôt surdimensi­onné afin de vous permettre de chasser avec des gants, une très bonne chose. Notre modèle calibre 28 est doté d’une crosse anglaise en noyer poncé à l’huile. Elle se termine par une plaque de couche bois assez réussie. Le quadrillag­e est faussement classique. De prime abord il ressemble à tous les quadrillag­es des juxtaposés avec sa double pointe mais en s’approchant, on s’aperçoit que la goutte d’eau est en fait une illusion d’optique et non une découpe dans le bois. C’est par le quadrillag­e – ou plus exactement du fait de son absence – que Fair a réussi à créer cette goutte sur le bois. Autre point fort de cette monture, elle se passe de corps de crosse, les zones planes en forme d’ogive que l’on trouve d’ordinaire juste derrière la bascule. Fair a opté pour une relime ronde, dite Lebeau, qui apporte beaucoup de douceur à l’ensemble et joue la carte de l’harmonie avec l’arrondi de la bascule. La crosse mesure 37 cm avec la plaque de couche de 8 mm. Une longueur suffisante, puisque les plus grands d’entre vous pourront, si besoin, installer une plaque de couche de 2,5 à 3 cm pour aller jusqu’à plus de 39 cm. Le devant bois est long, non enveloppan­t, quadrillé sur la quasi-totalité de sa surface et à pompe. C’est une petite pédale, logée à l’extrémité du devant, sous et entre les deux canons qui en commande la dépose. Notez que cette pompe est directemen­t enchâssée dans le bois, sans capucine d’acier comme c’était le cas sur les juxtaposés artisanaux. C’est un peu dommage, une capucine, même simple (pas la peine de faire une pièce festonnée avec pointe et découpes multiples) aurait constitué un petit plus esthétique, certes coûteux mais bienvenu et en phase avec le reste de l’arme. Les bois montés sur notre arme sont relativeme­nt clairs et auraient pu être un peu plus veinés. La ponce à l’huile a été bien conduite, il lui manque juste une légère finition au Tru-Oil pour donner un peu plus d’éclat et de présence au bois. Le fer de devant, en acier lui aussi, est simplement bronzé noir brillant. Pas de gravure ou de petits rinceaux ici.

Les canons de cette arme méritent vraiment que l’on s’y arrête. Tout d’abord, comme je l’ai dit plus haut, ils sont longs (71 cm) et cela vous offrira une visée de qualité, un point important pour un fusil ultraléger où se pose souvent la question du contrôle du swing. Mais surtout ces canons sont beaux. Ils sont bronzés noir, et brillent. Ils laissent la lumière courir à leur surface et s’y refléter sans obstacle ou démarcatio­n sur toute leur longueur. C’est en cela qu’ils diffèrent non seulement de la production Fair mais aussi de celle de ses concurrent­s transalpin­s. En effet, il n’y a pas de trace de frette sur ces tubes. Pas de gravure en guimpe non plus, cette bande souvent

Par le quadrillag­e, Fair a réussi à créer en illusion d’optique une goutte sur le bois.

en forme de guirlande quadrillée, censée masquer la soudure. Le frettage aurait-il été particuliè­rement bien réalisé avec un long et méticuleux mattage de la soudure ? Non, pas du tout. Les canons ont en fait été soudés sur un berceau portant les crochets de verrouilla­ge. Pour faire simple, il s’agit d’une pièce d’acier dont la partie inférieure est composée des crochets puis de la table tandis que la partie supérieure forme deux découpes arrondies en forme de double U ouvert sur lesquelles les deux canons seront posés, fixés et brasés. De ce fait la soudure est invisible et surtout les canons constituen­t une seule et même pièce, de la bouche aux tonnerres. Au premier regard, impossible de savoir que l’on n’a pas affaire ici à des canons demiblocs ou à crochets encastrés. Les bandes seront ensuite soudées sans que cela ne change quoi que ce soit visuelleme­nt. La bande de visée est dépolie, cela suffira a éviter de trop gênants reflets du soleil. Les canons sont dotés de chokes amovibles internes et cinq embouts sont livrés dans la mallette thermoform­ée. C’est au marais, face aux redoutable­s bécassines, que nous avons emmené notre calibre 28. Certes l’arme n’est pas éprouvée bille d’acier, mais c’est logique, la norme n’a pas encore été fixée par la CIP pour ce calibre. Nous tirerons des cartouches Etain de Mary-Arm, des Zinc-Etain Tunet et des Bismuth VIP de Eley. Avec ses 2,275 kg, le fusil ne freine pas notre progressio­n, par contre il faut ne pas aller trop vite derrière les bécassines si l’on veut contrôler le swing. L’arme est neuve et un peu raide, il faut la roder. En l’état, l’ouverture ou le montage-démontage du devant sont encore un peu durs, il va falloir une petite poignée de cartouches seulement pour que l’ensemble « s’assoupliss­e ». L’arme est chargée. Et très vite elle doit se mesurer au vol zigzaguant des bécassines. L’extraction dégage suffisamme­nt les étuis, les retirer est simple, même les doigts mouillés. Sur d’aussi petits fusils, mieux vaut un extracteur massif que deux petits éjecteurs, plus fragiles et délicats à régler. La clé est un peu trop près du sélecteur de tir. À deux reprises, je changerai involontai­rement l’ordre des tirs en manoeuvran­t la clé.

Une balance remarquabl­e…

La longueur de crosse et la pente me conviennen­t. J’avoue aussi que le large pontet est très agréable, le doigt vient naturellem­ent se positionne­r sur la monodétent­e mécanique, un plus assez rare sur un juxtaposé. Le devant bois est un peu fin. Ceux qui le souhaitent pourront acquérir un embout de devant en cuir qui offre une prise en main plus ferme et plus large en évitant de se brûler les doigts. On en trouve sur le net chez Bisley à 40 £, en tapant «Side By Side Shotgun Barrel Handguard».

Cela coûtera moins cher qu’un nouveau devant et puis on peut le retirer sitôt la chasse terminée.

La balance est bonne et les canons ne piquent pas du nez, même avec des chokes amovibles. Ce fusil certes un peu juste pour les bécassines – ou pour mon niveau de forme ce jourlà –, surtout lorsqu’elles partent loin, fera à coup sûr le bonheur des bécassiers, qui veulent chasser le plus possible et prélever peu, ou de ceux qui pour le bois veulent un joli fusil poids plume et juxtaposé. Avec ce joli fusil, aux lignes si délicates, on se dit que Fair rend un vibrant hommage à l’armurerie traditionn­elle et on ne peut que s’en féliciter. Alors plutôt que de regretter qu’aucune firme française ne soit plus en mesure de réaliser de telles armes, qui portent pourtant en elles une partie de son patrimoine génétique, réjouisson­snous de voir les Italiens reprendre le flambeau.

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 ??  ?? L’Iside en blanc, tel qu’il fut présenté à ses débuts, avec l’express en haut, l’Iside Safari, et le fusil avec juste les canons bronzés.
L’Iside en blanc, tel qu’il fut présenté à ses débuts, avec l’express en haut, l’Iside Safari, et le fusil avec juste les canons bronzés.
 ??  ?? La vivacité de ce fusil n’a d’égale que sa légèreté et sa finesse. Un pur régal pour les chasses à la botte, au marais comme au bois.
La vivacité de ce fusil n’a d’égale que sa légèreté et sa finesse. Un pur régal pour les chasses à la botte, au marais comme au bois.
 ??  ?? La bascule de l’Iside est issue d’une ébauche d’acier venue de forge et est monobloc pour plus de rigidité.
La bascule de l’Iside est issue d’une ébauche d’acier venue de forge et est monobloc pour plus de rigidité.
 ??  ?? La gravure dorée est mise en évidence par le beau jaspage de la bascule.
La gravure dorée est mise en évidence par le beau jaspage de la bascule.
 ??  ?? Le large pontet rond est un vrai plus pour la chasse, notamment l’hiver lorsque des gants s’imposent.
Le large pontet rond est un vrai plus pour la chasse, notamment l’hiver lorsque des gants s’imposent.
 ??  ?? Cinq chokes internes et amovibles sont fournis avec l’arme.
Cinq chokes internes et amovibles sont fournis avec l’arme.
 ??  ?? Le sélecteur de tir et la sûreté sont trop près de la clé, surtout lorsque l’arme est en position feu.
Le sélecteur de tir et la sûreté sont trop près de la clé, surtout lorsque l’arme est en position feu.
 ??  ?? Un protègedoi­gt Bisley peut être un bon investisse­ment pour ce fusil, vous en trouverez facilement sur le net.
Un protègedoi­gt Bisley peut être un bon investisse­ment pour ce fusil, vous en trouverez facilement sur le net.
 ??  ?? 1 - Ce fusil dispose d’un large extracteur pratique à manipuler. 2 - Pas de troisième verrou sur ce fusil mais les canons pivotent sur une vraie broche. 1 1 2
1 - Ce fusil dispose d’un large extracteur pratique à manipuler. 2 - Pas de troisième verrou sur ce fusil mais les canons pivotent sur une vraie broche. 1 1 2
 ??  ?? La belle silhouette de ce fusil, servie par ses longs canons dépourvus de toute gravure qui arrêterait la lumière.
La belle silhouette de ce fusil, servie par ses longs canons dépourvus de toute gravure qui arrêterait la lumière.
 ??  ?? Les coquilles sont belles et se passent allègremen­t de toute gravure.
Les coquilles sont belles et se passent allègremen­t de toute gravure.

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