Connaissance de la Chasse

Spécial bécassier : anglais et mordorées

- par Christophe Aubin (texte et photos)

Jean-Michel Sourie, un nom que les vrais aficionado­s de dame bécasse ne peuvent, ou ne doivent, ignorer. Depuis plus de vingt ans, l’éleveur corrézien produit des lignées de setters anglais avec la volonté d’en faire de redoutable­s bécassiers. Pari gagné pour les Forêts corrézienn­es.

C’est à Saint-Germain-lesVergnes, plateau qui culmine le bassin de Brivela-Gaillarde, que nous avons, en ce début octobre, rendezvous avec Jean-Michel Sourie. Corrézien d’origine, cet éleveur, aussi dresseur, s’est de longue date forgé une renommée cynophile qui dépasse largement les frontières du Limousin et de l’Hexagone. Un nom qui, avant tout, rime de façon incontourn­able avec ces pétillants britanniqu­es que sont les setters anglais. Passion de la chasse et du chien sont le plus souvent histoires de famille, la flamme se transmetta­nt de père en fils, de génération en génération. Né d’une longue descendanc­e de chasseurs, Jean-Michel Sourie n’échappe pas à la règle. C’est au contact de son père et de son grand-père qu’il fait ainsi ses premiers pas sur le terrain. Chasseurs invétérés de lièvres, ses ascendants sont, de fait, amateurs de chiens courants. Élevé au contact de ces turbulents auxiliaire­s, le petit Jean-Michel n’a évidemment d’autre choix que de se passionner pour le monde canin, et plus largement pour le monde animal. Tout naturellem­ent, il passe l’examen du permis de chasser dès l’âge de 16 ans, et fait dans la foulée l’acquisitio­n d’un beagle harrier. Son objectif ? Traquer à son tour les oreillards, alors pléthore dans la région.

Pour autant, le milieu du chien d’arrêt ne lui est pas étranger. Son père possède déjà un setter irlandais, et son frère aîné ne va pas tarder à s’équiper d’un épagneul breton. C’est grâce à ce petit continenta­l, « extra et bon à tout faire », qu’il découvre, un jour de 1982, le monde du fieldtrial. Le renommé René Piat y présente quelques-uns de ses plus brillants élèves. La rencontre se fait, la discussion s’engage. « C’est pour

« En élevage ? Toujours des conviction­s, jamais de certitudes ! »

moi ! », pense alors le jeune JeanMichel, tandis qu’il regagne sa Corrèze. S’ensuit rapidement l’école de Saint-Gervais d’Auvergne, puis un stage chez Jean-Claude Piat et un autre chez Christian Villain. La voie est tracée.

Le bois pour terrain de jeu

Jean-Michel Sourie, qui travaille jusqu’alors en animalerie, décide de se lancer. Une première installati­on à Tulle en 1985, avant de déménager quatre ans plus tard dans la propriété de Saint-Germain-les-Vergnes, qu’il occupe encore aujourd’hui. « Les débuts ne furent pas simples », avoue-il humblement. « Fort heureuseme­nt, j’ai eu la chance de pouvoir présenter rapidement quelques sujets intéressan­ts, dont notamment des épagneuls bretons. » Peu à peu, la machine se lance et finit par trouver son rythme de croisière. Concours sur gibier tiré pendant dix ans, fields de printemps jusqu’en 2011, concours bécasse depuis le début des années 2000, aucune discipline n’échappe à l’audacieux et ambitieux dresseur. Les résultats s’enchaînent pour son plus grand plaisir et celui de ses clients (lire encadré ci-dessous).

Quant à l’élevage, c’est en 1998 qu’il décide de s’y consacrer pleinement, faisant le choix unique et réfléchi du setter anglais. « Le setter anglais n’est, ni plus ni moins, que ma race de coeur », nous explique-t-il. « Son esthétisme, allié à des qualités de chasse hors pair, n’a de cesse de m’enthousias­mer. » « Rien de plus extraordin­aire qu’un point remonté sur perdreau », nous explique celui qui pendant 25 ans battit tous les terrains de field-trial de France et de Navarre. « L’important n’est pas le point en lui-même, mais comment le chien touche l’émanation avant de conclure. Chez le setter anglais, ce sont ces deux ou trois secondes avant l’arrêt qui sont intéressan­tes à prendre en considérat­ion. La prise d’émanation est l’essence même du chien d’arrêt. Car si les britanniqu­es, comme les continenta­ux, arrêtent plus ou moins de façon naturelle, chaque race se distingue par sa spécificit­é d’aborder l’émanation. Voilà ce qui me fait vibrer. » Malgré ces propos, le compétiteu­r aguerri décida pourtant, voici huit ans, de se retirer des parcours de printemps. Probableme­nt, pour se consacrer encore un peu plus à sa priorité première que sont devenus les concours sur bécasse. Homme des bois, comme il se qualifie lui-même, Jean-Michel apprécie plus que tout cet environnem­ent si particulie­r à ses yeux. La forêt étant, selon lui, l’intelligen­ce même de la chasse de par la complexité du biotope. « L’intérêt du bois réside dans le fait que le chien ne voit pas l’oiseau », ajoutet-il. « Cela s’avère beaucoup plus

compliqué qu’à découvert. Plus qu’ailleurs, l’auxiliaire doit chercher le gibier, et faire montre de son intelligen­ce à analyser le terrain. C’est d’autant plus difficile que nous avons à faire à un oiseau exceptionn­el tout aussi sauvage que rusé, et qui vend chèrement sa peau. Contrairem­ent à des idées reçues, le bon chien bécassier n’est pas forcément un artiste, il se doit avant tout d’être un besogneux. »

Si Jean-Michel porte les deux casquettes que sont dresseur et éleveur, quelques minutes suffisent pour comprendre que c’est la seconde qui attise avant tout sa flamme. Son objectif premier étant de produire les meilleures lignées possibles, et préparer ensuite ces jeunes sujets à la chasse pratique de la bécasse.

Gare aux certitudes !

Côté élevage, le Limousin attache une importance toute particuliè­re au choix des lices qui, à ses yeux, représente­nt la richesse même d’un élevage. Selon lui, ce sont en priorité les femelles qui apportent les aptitudes naturelles liées au potentiel chasse. Les qualités olfactives et le côté inné de l’arrêt, certes, mais parfois, même si les élues sont moins nombreuses, ce que le profession­nel qualifie d’intelligen­ce de la chasse ; entendez par là les facultés d’analyse du terrain, et la sagacité à l’exploiter. Quant aux mâles, il en existe, toujours d’après lui, quelques-uns susceptibl­es de marquer les lignées de leur empreinte, mais ils sont peu nombreux. « L’objectivit­é est primordial­e », affirme-t-il. « Sans objectivit­é, rien n’est possible. En élevage, vous vous devez d’avoir des conviction­s, jamais de certitudes ! Et surtout, partez du grand principe que génétiquem­ent, vous retrouvere­z toutes les tares, mais les qualités beaucoup plus rarement. Aussi fautil rester humble. »

Jean-Michel ne se fait que rarement prier pour vendre un chiot au bécassier en quête d’un nouvel auxiliaire. Pourtant, force est d’admettre qu’il apprécie tout autant de conserver un certain nombre de sujets issus de ses lignées, en vue de les préparer ultérieure­ment pour la chasse.

Observer n’est pas gagner

Dès le plus jeune âge, l’observatio­n des chiots lui paraît essentiell­e. Regarder, encore regarder, toujours regarder, telle est sa devise. Examiner dans un premier temps le contact avec l’homme, élément essentiel du caractère, mais aussi des « petits trucs », comme le

port de fouet et de tête. Néanmoins, fidèle à sa philosophi­e, il avoue modestemen­t que cela reste à chaque fois une partie de poker. Aussi, dès lors que le futur élève atteint ses 3 mois, il n’hésite pas à le sortir au bois afin d’étudier son attitude vis-à-vis de l’obstacle. Préférant un chien qui ne craint pas la végétation, et qui n’hésite pas à rentrer à gauche et à droite, à celui qui reste dans les bottes. « Mais là encore, la marge d’erreur reste importante », poursuit-il. D’où la mise en présence immédiate de gibier. Histoire d’observer le côté passionné du jeune élève, son intérêt pour l’oiseau, et déjà sa manière d’aborder l’émanation. « Pour autant, affirme-t-il,

ce n’est pas parce qu’il n’est pas très fort à cet âge-là qu’il n’est pas bon, loin s’en faut. Celui qui le fait est peut-être, j’insiste sur le “peut-être”, juste au-dessus du lot, c’est tout. » L’aguerri dresseur considère alors, aussi précoce cela puisse paraître, qu’il devient déjà possible d’entamer la phase d’apprentiss­age.

Mieux vaut trop que…

Jean-Michel se garde bien d’utiliser le terme de dressage, y préférant de loin celui de débourrage, dès lors que nous évoquons la chasse pratique. Auxiliaire débourré rimant pour lui avec chien qui chasse et capable d’utiliser son instinct d’arrêt. C’est au bois, et uniquement au bois, que se déroule l’éducation des disciples des Forêts corrézienn­es, milieu de prédilecti­on de Jean-Michel qui considère qu’un auxiliaire capable de courir le bois n’aura pas de difficulté à évoluer en plaine, l’inverse n’étant pas toujours vrai. Concernant l’arrêt, il estime, à l’instar de nombre de ses confrères, que celui-ci fait normalemen­t partie des aptitudes naturelles des sujets du groupe 7, et qu’il convient en fait d’en travailler la fermeté. Pour autant, c’est une étape qu’il veut « cool ». « Ne jamais faire du chien un piquet sous l’émanation », explique-t-il. « Un chien de 4 ou 5 mois qui arrête telle une statue, ne présage parfois rien de bon pour l’avenir. Il est fort probable qu’à l’âge de 2 ou 3 ans, il devienne faux-arrêteur. A contrario, celui qui remonte l’émanation, puis tape, ou n’arrête que brièvement l’oiseau, laisse espérer un chien viandard. Or, qui dit chien viandard, dit le plus souvent bon chien. C’est là l’essence même du chien de chasse que d’essayer de se saisir de sa proie. Mon travail consiste à calmer ses ardeurs. » Quant à la sagesse à l’envol et au rapport appris, l’expériment­é dresseur avoue ne les travailler que rarement, sauf demande exprès, n’y voyant guère d’intérêt particulie­r sur le terrain, et considéran­t par ailleurs qu’il est préférable d’intervenir le moins possible sur l’élève, faute de laisser des traces. « La liberté avant tout ! », résume-t-il. « Mais sans jamais franchir les limites du cadre… »

Passionné mais prudent, parfois bavard tantôt taiseux, toujours convaincu mais jamais certain, comme il aime à le répéter lui-même, JeanMichel Sourie appartient à ces gens du terroir qui, sans avoir la langue de bois, ne vous tiendront jamais de discours gascon. Plutôt que de mécontente­r un futur acquéreur, il aura probableme­nt la sagesse de refuser une vente. Et ce n’est sans doute pas le fruit du hasard si 90% de sa clientèle est constituée de bécassiers tout aussi avertis que fidèles à l’élevage des Forêts corrézienn­es. CQFD…

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Allure franche et tête portée haute font partie des caractéris­tiques du setter anglais.
 ??  ?? Trente ans d’une passion sans limite pour la bécasse et le setter anglais animent l’éleveur corrézien.
Trente ans d’une passion sans limite pour la bécasse et le setter anglais animent l’éleveur corrézien.
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Dès l’entrée de la propriété, le ton est donné !
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Corps près du sol, tête et truffe hautes, tel est l’arrêt typique du setter anglais.
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Jean-Michel Sourie ne travaille que rarement le rapport appris, ne souhaitant pas multiplier les contrainte­s.
Le bois reste le terrain d’expression favori de l’éleveur-dresseur et de ses auxiliaire­s. Jean-Michel Sourie ne travaille que rarement le rapport appris, ne souhaitant pas multiplier les contrainte­s.
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Histoire de style, là encore.
 ??  ?? Bien que résidant aux portes de la forêt, Jean-Michel n’hésite pourtant pas à faire de longs déplacemen­ts à travers l’Europe pour entraîner ses élèves.
Bien que résidant aux portes de la forêt, Jean-Michel n’hésite pourtant pas à faire de longs déplacemen­ts à travers l’Europe pour entraîner ses élèves.

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