Connaissance de la Chasse

Battues aquitaines : la Coubre, la jungle

Bordant la sublime côte charentais­e, la forêt de la Coubre, percée d’innombrabl­es pistes, est un lieu hautement fréquenté par les touristes de tout poil. La végétation luxuriante y rend la chasse décidément sportive.

- par Thibaut Macé (texte et photos)

Les pas de sangliers martèlent, déterminés, ce décor à la Robinson Crusoé.

Il fait encore sombre et pourtant, il faudra bien voir clair. En cette heure matinale, le quad file à vive allure sous la pluie battante. Les conditions météo pour faire le pied sont tumultueus­es. Bien avant que les postés n’arrivent, Michel Joulin, notre pilote et amodiatair­e du lot de chasse, s’active avec une dizaine de ses compères à inspecter le sol forestier pour tenter de remiser des sangliers. Pour se faciliter le travail, le tracteur aura ratissé, la veille, un interminab­le dédale de pistes, laissant derrière lui un lit un sablonneux uniforme.

Sur 7950 ha, la forêt de la Coubre repose sur une ancienne dune (lire encadré p. 57). Située à l’embouchure nord de l’estuaire de la Gironde, cette forêt, en partie domaniale, nichée dans la presqu’île d’Arvert, s’est progressiv­ement retrouvée enclavée. Sur sa moitié ouest, l’océan Atlantique impose sa barrière infranchis­sable. Seuls quelques sangliers véloces et autres cerfs téméraires, poussés par les meutes, parviennen­t à rejoindre la toute proche île d’Oléron qui lui fait face. Mais les courants puissants sur la passe de Maumusson dissuadent généraleme­nt les animaux de se jeter à l’eau. Sur son flanc est, la forêt est ceinturée par l’extension urbaine. Dans ce haut lieu du tourisme de masse, les campings, taillés pour abriter une garnison d’estivants, ont érigé des clôtures pour se protéger des humeurs baladeuses des sangliers. Progressiv­ement, les grands ongulés qui habitent cette forêt du littoral atlantique vivent pratiqueme­nt en autarcie. Dans cette « prison dorée », les chevreuils se régalent de la ronce et des plantules de pins maritimes, les grands cervidés apprécient les vastes banquettes herbeuses qui bordent les kilomètres de larges pare-feu.

L’examen stomacal révèle une appétence particuliè­re des grands animaux pour les rameaux de chêne vert (de l’ordre de 80 % du contenu) qui abondent en ces lieux. Quant aux sangliers, ils abuseront de leurs glands. La vingtaine de mares, entretenue­s à grands frais par les chasseurs, apporte une dernière touche de bonheur à nos grands gibiers, comme aux petits.

Sangliers plagistes

En bout de piste, derrière la dernière bosse dunaire, la plage. Sous le ciel d’acier, la mer agitée étire ses écumes blanches. La côte est préservée, déserte, sauvage. L’érosion dunaire qui sévit nous rappelle le

caractère fragile, éphémère, de ces lieux. Très vite, les premières traces de fréquentat­ion dans ce décor à la Crusoé apparaisse­nt. Ce sont les pas aux trajectoir­es déterminée­s des sangliers de la nuit. Plus ou moins profonds, ils marquent le sable humide. « C’est un gros mâle. On voit bien la pointe des sabots arrondis », commente Michel. L’homme, également veneur, fréquente les lieux depuis quatre décennies. Il connaît le sable et ceux qui le marquent. Mais le directeur de chasse recherche pour l’heure le passage d’une compagnie, de préférence bien fournie. Il y aura sous peu une quarantain­e de postés à ravir. Pour notre veneur, le trait de côte est un site intéressan­t. « Les sangliers viennent quotidienn­ement se promener sur la plage. Ils y trouvent toute sorte de nourriture appréciabl­e, comme des coquillage­s ou la laisse de mer. Poissons et mammifères échoués (dauphins) lui permettent de donner libre cours à ses humeurs de charognard. » Lorsque le vent tombe, il n’est pas rare de déloger des bêtes noires remisées à quelques dizaines de mètres de la mer. Blotties entre les plis dunaires, elles savent malicieuse­ment profiter du moindre buisson pour y siester le jour. Autant le dire, pour Michel Joulin, remiser une compagnie parmi les 1500 ha de forêt dont il a l’amodiation, n’est pas aussi facile qu’il n’y paraît. Les effectifs, tant de sangliers que de grands cervidés, ont été réduits depuis quelques années (lire encadré p. 59). « Les animaux fréquenten­t toutes les parcelles sans distinctio­n, vous verrez qu’ici, la végétation est luxuriante. »

Une voie si discrète

Passé le repas copieux qui entend nous faire oublier le déjeuner, le président lance le départ éclaté, mais ordonné, après le rond et l’énoncé des consignes. Nous irons nous placer au coeur de la première des cinq battues qui s’égrainent jusqu’en fin d’après-midi.

La colonne de pick-up s’aligne le long d’un chemin sombre. Le pré

sident désigne l’un des piqueux : « Nous avons sept équipes avec nous. Nous en utilisons cinq au minimum pour faire tourner les chiens », explique-t-il. Fox, griffons, fauves ou beagles, grands ou petits, il y a le choix, mais une exigence : la finesse de nez. « Ici, le terrain sablonneux est très filtrant.

La voie y est légère, peu imprimée. Tous les chiens que vous voyez sont habitués à chasser ici. Ils savent déjouer cette difficulté. Ceux qui sont venus en visiteurs accompagné­s de leur meute peuvent en témoigner. » Et plus on remonte tôt dans la saison, plus c’est difficile, la couche de sable chauffée par le soleil d’été rendant les terrains hermétique­s à la préservati­on de la voie.

Le pied sur le sable

La traque est en cours. À nos côtés, un homme impassible, tête en l’air, écoute les cris épars. Dans un moment de flottement, celui qui nous était présenté comme l’« Indien » par le maître des lieux fait figure de pisteur référence. Nous comptons mettre à profit ce temps calme pour le travailler et livrer sa science. « Je suis juste capable de vous dire si le pied est de début ou de fin de soirée. » Si l’expérience indéfiniss­able constitue le socle de son art, il dé

livre quelques exemples : « Avec les heures qui passent, le petit bourrelet de sable qui est expulsé par les pinces est limé par le vent. Autre subtilité : les renards aiment remonter les voies du sanglier durant la nuit. Une piste de bête noire sans pas de renard laisserait penser que la piste remonte à peu. »

Ici une biche, là quelques sangliers, les prélèvemen­ts se succèdent grâce au dévouement des piqueux et de leurs chiens dans cette jungle posée sur du sable. Sur ce relief très prononcé, les épaisses couches de ronces, de genêts, d’ajoncs couvrent le sol entravé par les gros bois morts poussés par les vents. Durant la journée, les battues s’enchaînent. Entre chaque, c’est le conciliabu­le autour du directeur. Le grand tableau d’ardoise trône au milieu de la foule amassée. Chacun rend compte de ses observatio­ns, autant d’indices précieux pour échafauder une nouvelle battue prometteus­e. Belle image d’esprit de groupe.

Édifiante démonstrat­ion

Le temps que la prochaine battue se mette en place, nous filons, guidés par le quad de Michel, en direction du dernier tir. Le directeur de chasse, talkie en main, contacte le conducteur de chien de recherche attitré. Une rareté dans un départemen­t qui n’en compte que quatre représenta­nts. Son véhicule 4×4 se rapproche de nous, empruntant la ligne forestière. En sort un homme muet, qui s’approche de l’anschuss, matérialis­ée par un rubaner plastifié, fourni par l’intervenan­t luimême à chaque chasseur posté. Auparavant, il prit grand soin de sangler une arme à canon court dans le dos. Tête baissée, il jette un oeil sur le site puis, d’un appel aussi bref que discret, fait jaillir son chien du véhicule. La femelle de rouge de Hanovre, admirablem­ent aux ordres, colle sa tête au sable. Dans un silence assourdiss­ant, chienne et maître se faufilent dans la jungle.

Au bout d’une vingtaine de secondes, le conducteur nous fait signe. Parvenue sur place, la chienne mord nerveuseme­nt l’oreille d’une laie de 70 kg couchée, inerte. « Depuis le début de saison, je tourne à une récupérati­on par journée en moyenne », détaille Dominique Himbaud. « Ici, la densité végétale est telle que je n’utilise pas de longe lors de mes recherches. Je travaille librement avec des chiens qui évoluent doucement. » Malgré ses résultats, l’homme confie que la recherche est encore bien trop peu admise dans cette région, où la tendance est plutôt d’envoyer la meute sur les animaux blessés.

Des objectifs en contradict­ion

Dans la forêt tracée en cordeau en carrés de 10 hectares, la dernière battue est sur la fin. La ligne de postés, dos au bois bordant une large allée pare-feu, quitte son siège de battue et se dresse comme un seul

homme. Sur la dune en crête émergent deux silhouette­s qui longent toute la ligne avant de disparaîtr­e dans une tranchée. « Deux promeneurs, vraisembla­blement retraités. Il y en a de plus en plus qui viennent s’installer dans la région », commente dépité un chasseur qui nous explique que la trentaine de panneaux posés chaque jour de chasse n’a que peu d’effet sur ses visiteurs. Et c’est sans compter les ramasseurs de champignon­s ou les vététistes qui bénéficien­t chaque année de nouvelles pistes au sein même des parcelles. « Ça aussi, il y en a de plus en plus. Les pistes appellent les vélos. »

Sur ce sol peu rentable sur le plan sylvicole, la chasse, qui constitue pourtant le premier revenu, ne pèse rien au regard de l’impérieuse mission de « l’accueil du public ».

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 ??  ?? Seule échappatoi­re pour le grand gibier, rejoindre l’île d’Oléron située à quelques centaines de mètres à marée basse.
Seule échappatoi­re pour le grand gibier, rejoindre l’île d’Oléron située à quelques centaines de mètres à marée basse.
 ??  ?? Michel Joulin dirige un lot de chasse en forêt de la Coubre.
Michel Joulin dirige un lot de chasse en forêt de la Coubre.
 ??  ?? Vue aérienne d’une partie du massif forestier bordé par les pistes ratissées avant chaque journée de chasse.
Vue aérienne d’une partie du massif forestier bordé par les pistes ratissées avant chaque journée de chasse.
 ??  ?? Pour remiser une compagnie de sangliers, le « patron » inspecte les traces sur la plage bordant la forêt.
Pour remiser une compagnie de sangliers, le « patron » inspecte les traces sur la plage bordant la forêt.
 ??  ?? Les panneaux indiquant l’action de chasse, à chaque entrée du massif, ne dissuadent nullement les promeneurs d’y pénétrer. Une situation explosive !
Les panneaux indiquant l’action de chasse, à chaque entrée du massif, ne dissuadent nullement les promeneurs d’y pénétrer. Une situation explosive !
 ??  ?? Un minimum de cinq meutes découplées à tour de rôle se succèdent pour rythmer les quatre ou cinq battues de la journée.
Un minimum de cinq meutes découplées à tour de rôle se succèdent pour rythmer les quatre ou cinq battues de la journée.
 ??  ?? Actuelleme­nt, les amodiatair­es de lots publics ne peuvent interdire l’accès durant la chasse.
Actuelleme­nt, les amodiatair­es de lots publics ne peuvent interdire l’accès durant la chasse.
 ??  ?? Vieille de deux siècles, la forêt de la Coubre, entièremen­t replantée, révèle des parcelles d’une végétation dense où la ronce se mêle aux genêts entre les chênes et les pins maritimes.
Vieille de deux siècles, la forêt de la Coubre, entièremen­t replantée, révèle des parcelles d’une végétation dense où la ronce se mêle aux genêts entre les chênes et les pins maritimes.
 ??  ?? Le conciliabu­le marque chaque intermède de battue. Michel Joulin choisit la prochaine enceinte parmi la cinquantai­ne que compte son lot.
Le conciliabu­le marque chaque intermède de battue. Michel Joulin choisit la prochaine enceinte parmi la cinquantai­ne que compte son lot.
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Le sol sablonneux ne favorise pas l’imprégnati­on des odeurs. Une difficulté supplément­aire pour les chiens qui doivent affronter la jungle.
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Grands comme petits courants sont bienvenus dans ce massif pour peu qu’ils fassent preuve de finesse de nez.

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