Découvrez la palombière avec
Goûter aux charmes d’une « religion cynégétique » est possible. Le site journeedechasse.com vous invite à découvrir la chasse de la palombe aux filets à bord d’une palombière. Nous avons testé pour vous.
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La nuit est encore noire, le ciel tumultueux. Depuis hier, une vague orageuse s’abat sur la région bordelaise. Les vents auront cassé bien des branches. Rassemblés sous un hangar, les paloumayres avec qui nous avons rendez-vous s’interrogent, anxieux : « Le renard devrait s’être amusé cette nuit avec nos appelants. »
Passé une porte grillagée, nous pénétrons dans le royaume chéri de Frédéric Dal’cin. L’homme, comme tant d’autres dans la région, vit au rythme des migrations de Columba palombus. Surtout, n’employez pas, en ces terres, le mot de pigeon, uniquement destiné aux appelants, les corpulents et dociles bleus de Gascogne nombreux à coloniser les palombières.
Ces installations sont le fruit d’une obsession : la pose d’un vol conséquent de palombes entre les filets. Car, pour le paloumayre, toutes les palombes ne se valent pas. Il existe une échelle de graduation de valeur de prises. D’abord, il y a le très regrettable tir au vol, pratiqué de
plus en plus en France (lire encadré p. 58). Ensuite, il y a le tir au posé, acceptable. Enfin, reste la prise au filet. C’est l’unique vraie chasse qui magnifie l’oiseau bleu. La seule qui fasse comprendre à quel point le pigeon ramier, tiré par saccades dans un champ de pois du nord de la France, devient, plus au sud, la palombe lorsqu’elle est prise après tant de peines, de ruses, de patience et bien d’autres choses encore, entre le rabat des pantes, les filets tendus à même le sol.
Au posé, la tradition
La palombière de notre hôte est remarquable au sein de cette région. La tradition est principalement tournée vers le tir au posé. Les oiseaux, attirés par les appelants perchés au-dessus des cimes, sont incités à se poser à proximité. Dès lors, depuis leurs postes, souvent positionnés à des altitudes vertigineuses (plus de 20 mètres parfois), la poignée de copains rassemblés pour l’occasion tente de les décrocher au fusil : « C’est un tir simultané. Chacun vise un oiseau branché, on s’accorde sur leur position et on fait feu. » Selon le nombre de paloumayres, ce sont un, deux, voire quatre oiseaux qui sont récupérés. Pendant les quelques jours de passage qui rythment cette période attendue, qui court du 10 octobre au 20 novembre, les prises se comptent par dizaines. Toutefois, les prélèvements de ces paloumayres sont loin d’atteindre les « performances » affichées plus au nord par certains qui affûtent au pied d’un chêne de début septembre jusqu’à mi-février.
Confort et chaleur
En Gironde, Frédéric est donc l’un des rares à chasser au filet, une tradition plus landaise que girondine. Son palais cynégétique offre des originalités qui le démarquent des autres : « Ma palombière est située sur un territoire clos. Il s’agit d’une forêt d’une centaine d’hectares ceinturée par un grillage. » Cet emplacement lui permet de jouir d’un confort qui fait la différence. Dans la pénombre, nous cheminons maladroitement sur un sentier forestier au sol boueux et caillouteux. L’atmosphère se fait encore plus noire lorsque, suivant notre hôte, nous nous engouffrons dans un tunnel. Inquiétant. Interminable. Au bout, la lueur réconfortante d’une pièce sortie de nulle part illumine le confort d’une maison. Quelques affiches et autres objets souvenirs habillent les lambris. Gazinière, four micro-ondes, réfrigérateur et
une large cheminée aux ceps de vignes crépitant constituent le décor. Le râlement de la cafetière en fin de course se fait entendre. Deux échelles, aussi courtes que raides, remontent vers d’autres étages en balconnet. D’autres convives paloumayres descendent nous saluer chaleureusement.
Toile d’araignée de câbles
Aux premières lueurs du jour, le maître des lieux sort de sa cache. Il est temps de hisser les appelants au sommet des plus hautes branches. À ce petit jeu, c’est une armée que Frédéric s’apprête à lancer au ciel. Méthodiquement, une vingtaine de bleus de Gascogne, impassibles sur leurs semeyres, est propulsée par une corde à poulie à une vingtaine de mètres de haut. Le dispositif mis en place est particulièrement ingénieux. Le temps de la période de chasse, les pensionnaires demeurent remisés dans leur cage individuelle. Le paloumayre n’a qu’à ouvrir le toit basculant et actionner les cordes. « Notre territoire clos nous préserve des vols et des dégradations dont sont régulièrement victimes les autres palombières. Dès lors, nous pouvons laisser nos oiseaux sur place, sans être obligés de les déplacer dans des boîtes de transport. Nos petites volières les protègent de la prédation des mustélidés, fouines et martres. » Au fur et à mesure que le jour s’installe, nous découvrons non sans émerveillement l’ampleur du travail accompli. À quelques centimètres au-dessus de nos têtes, une toile d’araignée géante constituée de fils s’étire sur plus d’un hectare
entre les chênes. Pas moins d’une cinquantaine de dispositifs sont en place pour animer, à leur manière, les appelants. Tous ne sont pas uniquement disposés sur une raquette afin d’imiter l’oiseau à la pause. Des bleus de Gascogne, particulièrement précieux, peuvent aller – sur commande – d’un point à un autre séparé d’une vingtaine de mètres, se déplaçant entre deux raquettes. Leur vol se fait le long d’un fil, commandé à distance. L’ensemble de tous ces dispositifs se rejoint dans le poste de guet principal situé juste au-dessus de la cabane, point névralgique de l’installation.
Posé le matin, filet ensuite
Les appelants sont perchés, nous voilà rassemblés dans le poste de guet. Un toit courbe et végétalisé recouvre nos têtes. La chasse peut commencer. Frédéric tient la pose, tête ruisselante sous la pluie. Pour le maître des lieux, la journée ne laisse présager que peu d’espoirs de prises, les oiseaux rechignant à se poser à cause des précipitations. Malgré son pessimisme, les premiers voliers sont rapidement aperçus. Aussitôt, l’homme se meut en chef d’orchestre. Il rabat nerveusement le toit végétalisé qui coiffe nos têtes. L’observation se fait entre les feuilles. Tel un conducteur d’engin confronté à ses multiples manettes, il actionne savamment les semeyres. Devant nous, entre les chênes soigneusement élagués, les appelants décollent en nombre. D’autres filent le long de leurs fils invisibles. Le manège est en action. L’homme tire et retire, à gauche, à droite. Bien haut dans le ciel, le vol freine, casse sa trajectoire. Il va se poser au-dessus de nous, quand, au dernier moment, quelques oiseaux se refusent et changent de parcours. Remettant un coup d’aile, ils suppriment nos espoirs. Pas de pose. « Il y a des jours qui ne s’expliquent pas. Hier, c’était mémorable, aujourd’hui, rien », lâche le chasseur déçu. La stratégie de Frédéric est simple, le matin il se borne à tirer les oiseaux au posé. La densité de palombières présentes dans la région le contraint à faire ainsi. Il nous explique : « Au premier coup de fusil dans les environs, les oiseaux que vous avez fait poser décollent. Cela signifie qu’à tout moment, la pose peut vous échapper. Comme nous estimons que la majorité des passages se fait du lever du jour jusqu’à midi, nous procédons ainsi le matin. En revanche, si une bande apparaît au-delà de cette heure-là, nous tentons de les prendre au filet. »
Du haut de ses 21 ans, Gaëtan, au bord des filets tendus, inertes, vides en ce jour, se souvient de chasses de la palombe aux pantes plus fructueuses… Il a 5 ans, et observe docilement son père, quand un vol imposant est en approche. Il est midi passé, le branle-bas est déclaré. La nuée de palombes rase les pointes des arbres entourant la palombière. Malgré la cheminée fumante dans l’air humide, elle ne saurait tiquer sur la colonne de fumée bleutée qui monte doucement. De là-haut, elles ne verront guère le formidable édifice végétal, herbes et rameaux de pins couvrant ingénieusement le tout. Frédéric est aux manettes tel l’organiste. Depuis sa formidable machine, il tire puissamment sur les cordes pour tenter d’orienter la pose sur sa droite, là où se situent les deux pantes placées au sol. Les premières palombes s’agrippent aux branches. Une par une, elles s’agglutinent aux cimes. Elles sont des dizaines. L’arrivage se poursuit, incessant. Minute par minute,
les migratrices s’amoncellent sur quelques têtes d’arbres. Comme collées entre elles, certaines font courber les branches. Surréaliste ! La pose est amorcée. Frédéric descend vers la salle principale qu’il traverse nerveusement. Tenant son fils par la main, il s’engouffre dans l’interminable tunnel noir. La progression se fait plus lente. Au moindre bruit, tout serait à refaire. Les pas sont feutrés, la position est courbée.
Au bout de leur cheminement, une petite cache l’attend ainsi que son garçonnet. Un curieux interrupteur équipe la petite cabane faite de branchages. Le maître l’actionne et face à lui, à une vingtaine de mètres, de l’eau jaillit en cascade dans une mare qui trône au milieu de l’espèce dégagée. Le bruit envoûtant du filet d’eau ne manquera pas d’attendrir les palombes les plus farouches sur cet espace de terre dénudée et agrainée. Pour amplifier l’attrait du site, Frédéric actionne une corde qui fait voleter quelques palombes confinées dans une volière centrale. Les premières insouciantes papillonnent de branche en branche pour descendre sur les branchayres transversales, installées telles des marches d’escalier pour inciter les oiseaux sur l’oeil à gagner progressivement la place. Une à une, les palombes volettent, faisant claquer leurs ailes sous l’oeil des dernières arrivantes, perchées tout en haut. D’autres entament leur descente en cascade vers le filet invisible. Certaines se posent et courent sur la cage des appelants quand celles-ci choisissent de poser pattes, quelques centimètres au-dessus de Gaëtan, bouche bée, yeux exorbités. Confiné, muet dans la cache aux côtés de son père, il est au milieu d’innombrables oiseaux. Des plus hautes cimes jusqu’au sol, les palombes ont envahi les lieux. 2, 4, 12 sont décomptés au sol.
Les poses s’accumulent rapidement. Faut-il refermer le piège maintenant alors qu’il y a des centaines d’oiseaux autour ? Les plus petites branches se courbent à la limite de la rupture. Si l’une venait à céder, ce serait l’envol. La première palombe quittant la place emporterait irrémédiablement avec elle le reste de la nuée. La main crispée se referme. Le bras se rétracte sur la tirasse. En une infime fraction de seconde, les tendeurs rabattent les larges filets. Aidé par son père, Gaëtan vient de faire sa première prise de palombes.
La magie opère
Seize ans plus tard, les filets sont vides mais l’émotion reste intacte. « Celui-là, je l’ai bien piqué. Il a le virus », lance son père. Le temps d’aller ramasser quelques cèpes autour de la cabane, de les faire frire dans la poêle, et nous passerons à table. Bonheur.
La magie d’une palombière à pantes opère sur tous les visiteurs. Chacun y passera une journée mémorable, tant il y a de choses à découvrir et à apprendre de ces bâtisseurs de cabanes. Que le ciel demeure désespérément vide ou peuplé d’oiseaux, qu’il soit bleu comme gris, la palombière, animée par ses architectes de la voltige, vous promet de beaux moments d’émotion.