Breton et anglais : Thibaud de Salve
THIBAUD DE SALVE
Dresseur-éleveur provençal, Thibaut de Salve produit des épagneuls bretons et des setters anglais sous l’affixe du Domaine de Brès. Philosophie du dressage et de l’élevage, différences de styles…
Bref retour sur le chasseur et l’homme de chiens que vous êtes devenu… J’appartiens à une vieille famille de chasseurs provençaux, issus du monde agricole. Aussi, dès mon plus jeune âge, j’ai été bercé par la découverte de la nature et des arts cynégétiques. Tout petit, je suivais mon grand-père qui pratiquait ce qu’il convient d’appeler les chasses traditionnelles provençales : le lièvre et le lapin aux chiens courants, la grive au poste et la perdrix en battue. Mon aïeul utilisait toutefois deux épagneuls bretons. Bien évidemment, je comptais les années me séparant de mon 16e anniversaire… Permis en poche, je me suis d’abord intéressé aux chasses dites de poste, grive et pigeon. Je disposais déjà d’un auxiliaire plus ou moins bâtard pour m’accompagner. Pour autant, la passion pour le chien d’arrêt n’était pas encore née. Je considérais le chien plutôt comme un simple copain utilitaire. Tout a commencé, quelques années plus tard, lorsque mon épouse m’a offert mon tout premier épagneul breton en guise de cadeau de mariage. En résumé, je suis venu au chien par passion de la chasse.
Et ensuite ?
Mon épouse avait acheté cet épagneul, nommé Fakir des Hauts de Cry, à un ancien maître chien de
l’armée de l’air, devenu éducateur canin. Grand généraliste du dressage, il préparait des chiens pour la chasse, l’attaque, le cinéma et disposait d’une excellente souche de bretons. À son contact, j’ai pu apprendre les premiers rudiments et préparer moi-même ce chien tant pour la chasse que pour la compétition. Côté cynégétique, Fakir m’a fait découvrir ce qui allait devenir mon obsession première, la chasse de la bécasse. Il m’a aussi permis d’obtenir mes tout premiers résultats en field. C’est ainsi que ma passion pour la cynophilie est née.
Puis, vous franchissez le pas… La chance a voulu que ce professionnel interrompe son activité au moment même où j’allais reprendre le domaine familial. J’ai acquis les deux tiers de ses reproductrices ainsi qu’un mâle, avant de m’installer comme agriculteur et éleveur d’épagneuls bretons en 1993. Pendant un temps, j’ai présenté mes propres chiens en field, en total autodidacte que j’étais, m’inspirant des méthodes de dresseurs de renom tel Jean Castaing, le colonel Demanger ou encore Gérard Desjeux. Non pas par simple excitation de la compétition, mais plutôt parce que les concours m’apparaissaient à l’époque comme un moyen assez objectif de juger des qualités d’un chien. Un minimum de rigueur et une pratique assidue du terrain m’ont permis d’obtenir mes premiers résultats. D’où l’idée de développer le dressage dès 1996. L’activité d’élevage étant très chronophage, notamment au printemps, en pleine saison de fields, et l’essentiel de la demande se tournant désormais vers la chasse pratique, j’ai fini par complètement abandonner la compétition. Quelle est votre philosophie du dressage ?
Force est d’admettre que mon idée du dressage, et par conséquent la façon de le pratiquer, ont toutes deux évolué au fil des ans. À mes débuts, j’étais un fervent partisan de ce qu’il convient d’appeler la
méthode traditionnelle. Comprenez le travail d’assouplissement mental du chien, à commencer par les règles de sociabilisation et d’obéissance de base qui nécessitent une très grande rigueur. Venaient ensuite le travail en longe sur les premières prises d’émanation, puis le renforcement de l’arrêt. Méticuleux et inflexible, j’attachais de la même façon une importance toute particulière à la sagesse à l’envol et au feu. Une méthode certes éprouvée, mais que j’ai pour partie abandonnée – à l’exception de la sagesse à l’envol qui raffermit l’arrêt – car présentant selon moi quelques inconvénients, notamment pour la chasse pratique.
Pouvez-vous nous expliquer ? Tout dressage nécessite évidemment un minimum de rigueur. Toutefois, l’expérience aidant, j’ai noté qu’un excès de contraintes pouvait nuire au développement de la spontanéité de certains chiens en action de chasse. Or, la prise d’initiative doit rester un élément clé chez le chien d’arrêt. Au fil de ma carrière de dresseur, j’ai compris que les clients chasseurs voulaient avant tout des auxiliaires meurtriers, si je puis m’exprimer ainsi ; et non des chiens juste capables de réciter un exercice de style. Pour résumer, un bon chien de chasse pratique se doit d’être passionné, de rester au contact de son maître, et de faire preuve d’une grande fermeté à l’arrêt. Ce sont là désormais mes trois axes de travail en tant que dresseur.
La passion n’est-elle pas pourtant une qualité naturelle du chien d’arrêt ?
Dès lors que l’on a en mains un sujet issu d’une bonne souche, la passion est évidemment une qualité innée appartenant au patrimoine génétique du chien. Mais, comme une plante, il faut entretenir cette flamme, utiliser le bon terreau, le bon engrais. Pour cela pas de miracle, il est nécessaire de montrer bon nombre d’oiseaux au jeune élève, et surtout de lui lâcher la bride – raisonnablement bien sûr – pour qu’il remonte naturellement les émanations. En un mot, laisser la jeune fleur s’épanouir. Le plus important étant que le chien gagne en envie, spontanéité et initiative.
Cela n’est-il pas contradictoire avec la sagesse ?
C’est là qu’intervient le dressage au sens exact du terme. Une fois cette passion renforcée, il convient au dresseur de reprendre les rênes en main. Normalement, lorsque l’élève est issu d’une bonne lignée, on canalise assez rapidement cette énergie. L’objectif étant que le chien chasse au contact de son conducteur. Ne pas faire d’analogie toutefois entre contact et distance. Par contact, comprenez que l’auxiliaire doit rester dans la main du chasseur, qu’il soit à 20, 100 ou même 200 mètres.
Vous évoquez également la fermeté de l’arrêt…
Là encore, il est important de faire le distinguo entre arrêt ferme et arrêt figé. L’arrêt doit avant tout être utile pour le chasseur. Le chien, non seulement peut, mais doit remonter à la viande dès lors qu’il se trouve face à un oiseau piétard. Gare toutefois à ce qu’il ne mette pas le gibier à l’envol.
Tout est question d’équilibre. Il est nécessaire que le chien assimile où et quand il peut approcher. Une alchimie complexe entre respect du gibier, et autorité à bloquer celui-ci. C’est un travail d’autant plus compliqué, qu’il existe ici nombre de spécificités locales qui ne facilitent pas les choses. À commencer par la relative rareté du gibier sauvage, que ce soit perdrix ou encore bécasse, mais aussi toutes les contraintes liées au terrain, à savoir le relief et la densité du milieu, composé pour l’essentiel de chênes verts et de genévriers cades. Sans oublier le facteur chaleur.