Calvados époustouflant
Battue de sangliers sur les falaises normandes
Fermées au public, les dangereuses falaises des Vaches Noires ne sont parcourues que par des chasseurs de sangliers. Voyage dans d’insoupçonnables badlands
normandes.
Fermées au public, les dangereuses falaises des Vaches Noires ne sont parcourues que par des chasseurs de sangliers menés par le président de la Fdc du Calvados lui-même. Voyage dans d’insoupçonnables badlands normandes.
«Quand je montre des photos du site, j’entends : c’est à Madagascar ? » « Non, dans le Calvados », répond Jean-Christophe Aloé, président de la Fdc locale. Situées en bord de mer, les falaises des Vaches Noires, hautes de plus de 100 mètres, s’étendent sur 4,5 kilomètres entre les communes de Villers-sur-Mer et Houlgate. Ici, le président est en terrain connu. « J’ai créé l’Association des chasseurs des Falaises en obtenant le droit de chasse sur cette portion, qui appartient au Conservatoire du littoral. C’était il y a vingt-cinq ans. L’objectif initial reste inchangé : proposer une chasse populaire grâce à une forte implication du bénévolat. Avec une cotisation fixée à 120 euros annuels, dans un département où le prix moyen est plus de dix fois supérieur, je pense y être parvenu. » Au départ, seuls les habitants des quatre communes voisines au site étaient autorisés à y chasser. Mais les effectifs maigrissant avec les années ont contraint à l’ouvrir à des chasseurs d’autres horizons. Malgré la superficie réduite du territoire (200 ha), seuls 10 à 20% de par Thibaut Macé (texte et photos)
l’emprise sont traqués chaque jour de chasse. La difficulté du terrain l’explique. Le président est assisté de deux jeunes lieutenants de louveterie, fraîchement nommés. D’allure athlétique, ils semblent durs au mal. Leur accoutrement parle pour eux. Sous la trompe cabossée, à peine une simple veste épluchée par les ronces les recouvre pour affronter les 3°C ambiants. Leurs gants singulièrement épais présagent du caractère éprouvant du territoire que nous allons découvrir. Face à l’assemblée de chasseurs, Jean-Christophe Aloé introduit un discours appuyé. En ce jour, le président est entouré du préfet, du sous-préfet et des responsables de la Ddtm venus assister à l’exposé des règles cynégétiques qui prévalent aujourd’hui, dans un contexte où la recrudescence d’accidents a terni l’image de notre passion.
Jungle suspendue
Les chasseurs se dispersent pour se diriger vers leurs postes : « On fait des lignes perpendiculaires selon notre secteur de chasse. Deux lignes de bordure ceinturent la traque. Il y a très court pour tirer. » Souvent les animaux se défilent soit au-dessus, sur le plateau, soit par dessous, vers la plage, et reviennent sur une troisième ligne, placée en retrait. Une poignée d’archers est également postée dans des passages plus ciblés, connus des rabatteurs. Quelques instants plus tard, le groupe de piqueux s’isole pour lancer la meute. Quittant l’herbe grasse du plateau bocager de ce pays d’Auge, nous rentrons dans le bois par une étroite ouverture ombragée. Une corde attachée à un tronc file droit dans la
combe raide. Les hommes et leurs chiens avalent la pente, non sans faire glisser leurs semelles, s’attachant comme ils le peuvent d’une main, l’épieu encombrant l’autre. La pente est sérieuse, mieux vaut se concentrer sur chaque geste. Parvenu au premier repli, c’est une atmosphère équatoriale aux fougères exubérantes qui nous envahit. Le limon glissant et détrempé du sol est recouvert par un tapis de feuilles provenant d’arbres inexploités. Des chênes aux troncs épais et tortueux disparaissent sous une épaisse couche de mousse. Dans cette jungle, le duo d’amis observe calmement le comportement de la meute. Les dix-huit anglo-français, griffonnés pour certains, inspectent truffe au sol la moindre odeur qui mènerait à une voie prometteuse. La situation stagne une poignée de secondes, quelques chiens disparaissent dans un mur de ronces, quand d’autres tournent à proximité de leur maître,
attendant les premiers récris. La chasse est lancée. Sitôt descendus, voilà les piqueux qui remontent la pente à grandes enjambées, avalant les cuvettes profondes. « Cet endroit fut copieusement bombardé durant la Seconde guerre mondiale, raconte le président. Cela explique les larges et profonds trous qui subsistent encore aujourd’hui. » Dans ce relief aux montagnes russes, la progression est régulièrement entravée par les gaulis et perchis qui s’émancipent, les lianes amoureuses et les ronces qui viennent malicieusement s’agripper aux cuisses. « Si je trouve celui qui a eu la fumeuse idée de m’attacher le talkie avec cette interminable sangle », peste, non sans humour, le président. La déclivité semble interminable. Sous le tapis de lierre se cachent d’innombrables branches plus ou moins dures, mais tout aussi gluantes, gare à la chute !
Volcanique et boueux
Tentant de coller à la menée, les hommes percent un dernier rideau de perchis qui fouettent inlassablement nos visages pour découvrir le panoramique tout droit sorti d’un film d’exploration spatiale. Face à nous, les falaises se dévoilent, nues. Des arêtes taillées au rasoir filent droit vers la mer comme la proue d’un navire. Leurs pentes charrient jusqu’à la plage une boue luisante telles des coulées de lave. La mer ronge cet élément quand la pluie ravine ce dépôt de marne qui s’accumule depuis le Jurassique (160 millions d’années). Dans cette succession de ravines et d’éperons, la menée bat son plein, les chiens prennent la dénivelée. De leurs récris en échos, ils interpellent au loin les quelques badauds qui longent la plage.
Perchées sur une motte en guise de promontoire, les bottes du louvetier se tiennent à quelques centimètres
du vide. Hypnotisé, il observe la caravane de chiens qui fonce dans la pente en direction de la plage. « Il va falloir descendre », prévient le président d’un ton grave. Les grands arbres ont disparu de ce nouvel environnement soumis à l’érosion constante. Quittant la forêt, nous glissons entre les falaises. Il faut se méfier des risques d’éboulis, et pis encore des coulées de boue qui vous feraient perdre vos bottes.
Des chiens gris bleu
Aidés par la pente, nous parvenons rapidement en bas pour atterrir sur le sable fin. De là, les piqueux écoutent la menée des chiens, un sanglier, ou peut-être un renard. À peine descendu, l’un des louvetiers s’empresse de coller aux chiens et entame une remontée vers l’ouest tandis que le reste du groupe surveille le manège depuis la plage. Face à nous, le décor grandiose des Vaches Noires étagées se dresse, tel un amphithéâtre romain. Autour de nous, quelques chiens isolés nous rejoignent. Les anglo-français ont changé de robe. Aux reflets gris bleu, ils arborent la couleur boue jusqu’aux épaules. « Nous descendons régulièrement sur la plage lorsque nous chassons.
Les sangliers en font de même, nous confie Jean-Christophe Aloé. Lors d’une chasse précédente, deux sangliers avaient quitté les falaises en rejoignant la plage du côté de Villers. Ils ont traversé les 300 mètres de sable pour se jeter à l’eau. Puis, nageant, ils ont longé l’ensemble du secteur des falaises pour rejoindre les abords d’Houlgate. « Ce parcours invraisemblable ne leur a pas porté chance. En remontant, ils sont passés devant l’un des postés. Le chasseur fit le doublé. L’un accusait 110 kg et l’autre 130 kg ! » Mais aujourd’hui, les falaises semblent délaissées par les sangliers. Ce sont les renards qui ont animé la chasse. Le plus beau des gibiers selon l’un des louvetiers : « Il crée plein de défauts. Un renard est capable de traverser une route et de faire un lacet droit et gauche puis reprendre par le centre. S’il prend un quart d’heure d’avance, il saura perdre les chiens grâce à sa voie légère. Dans le roncier, c’est lui le roi, s’il sort à découvert, il sait que c’est sa mort. »
Frissons et plaisir
Pour le président, les sangliers ont quitté le secteur. « Nous avons depuis quelques jours de forts vents d’ouest qui balaient les falaises, incitant les animaux à se remiser sur un secteur légèrement en retrait du littoral. » « Cela fait trois, voire quatre ans que nous n’avions pas fait de buisson creux », explique celui qui affiche au mieux une vingtaine de sangliers prélevés annuellement dans les falaises. Selon le président, qui trouve son plaisir dans la chasse au chien courant, seul l’animal mené sera tiré. Exempt de sentiers comme d’intrusion humaine, hormis celle mensuelle des piqueux, le site ne présente aucune pollution olfactive pour les chiens, qui bénéficient là d’une voie parfaitement saine. Comme en Espagne ou en Corse, les postés profitent de toute la chasse, du spectacle de la mer et de celui des chiens, même en ce jour. « Ces falaises vous offrent le frisson. Je me souviens d’avoir assisté ailleurs à une battue où quelques postés avaient prélevé 25 sangliers. Pas un seul des tireurs n’était allé voir son gibier et préférait discuter avec les copains. Le lendemain, on a chassé ici. Un sanglier a fait plusieurs fois le tour de la chasse, fut tiré, loupé, puis retiré… Finalement il s’est fait tuer après une heure et demie de menée. On a tous jeté nos casquettes en l’air. » Le frisson d’un côté et juste le plaisir de l’autre. Selon Jean-Christophe Aloé, l’éthique est inversement proportionnelle au nombre de sangliers prélevés. Mais aujourd’hui, il est certain qu’au vu des effectifs, il faut prélever.