Connaissance de la Chasse

Sous le poil, l’explicatio­n

- par Thibaut Macé (texte) et Julien Picot (photos)

Après avoir nettoyé le crâne, nous soumettons les nouveaux clichés à Alain. « Je reviens sur ma première affirmatio­n. Cette fois-ci, je peux observer un élément essentiel du trophée du chevreuil : les pivots osseux. Or ceux-ci se révèlent être irrégulier­s, comme gonflés. Leur surface n’est pas lisse. Pour le coup, je ne décèle pas de traumatism­e, d’ancienne fracture. Il n’empêche, les pivots sont anormaux, et cela est davantage visible encore vu de derrière. De plus, les sillons de jonction – surtout celui du bois droit – entre la base du pivot et le sommet du crâne sont un peu disjoints. Nouveau verdict : une actinophyt­ose. » L’actinophyt­ose est une maladie infectieus­e d’origine bactérienn­e assez commune chez diverses espèces animales. Dans son ou

vrage,

Les Têtes bizardes du chevreuil

(lire encadré ci-dessous), Alain François a insisté le premier sur la responsabi­lité de cette maladie en matière de ramures anormales de brocard (lire p. 102 de cet ouvrage). Maladie osseuse, l’actinophyt­ose atteint souvent le maxillaire inférieur du chevreuil, mais aussi le crâne et les pivots osseux. Déformant ceux-ci, elle engendre des têtes bizardes parfois spectacula­ires et volumineus­es, à l’image du brocard français n°1. Notre brocard débutait une telle infection, suffisamme­nt avancée pour modifier la repousse des bois et engendrer une belle série de bizarrerie­s : architectu­re des bois atypique, « cornes », absence de meules, perlure étrange. Un grand trophée ou un trophée particulie­r tel celui-ci procure bien des émotions. À la fois il ravit notre goût pour l’esthétisme, il enrichit l’intérêt porté à la tête des brocards, et il flatte notre orgueil. Ceci dit, qu’est-ce qu’un grand trophée s’il est totalement dépourvu d’histoire ? N’est-il pas muet ? Notre brocard est lui-même le fruit d’une histoire en cascades. Été 2018, la carabine chute lors d’une approche au sanglier. Bilan : crosse cassée au niveau de la poignée. Or une approche au brocard est programmée dans la foulée. Aussi, Denis me prête une arme. Était-elle bien réglée ou le chasseur ne l’était-il pas ? Toujours est-il que le beau brocard approché et arborant 4 puissants cors échappe à la balle.

Été 2019, installé dans un haut mirador, Denis affûte brocard et renard quand soudain un essaim se réveille, et les guêpes d’attaquer. Il descend quatre à quatre l’échelle et s’éloigne afin d’échapper aux bestioles furieuses. Revenant prendre possession de son matériel, il redoute que la lunette ait été malmenée. Malgré une dizaine de piqûres qui lui infligent un fort mal de tête, Denis n’abdique pas et entend poursuivre sa chasse, à distance des dards. Et de croiser la piste du grand 4 cors croisé la saison précédente. Le chasseur vise le cou, et savoure sa récolte. Ainsi, faute de grand 4, les compères empaumèren­t une autre voie qui les mena à un brocard hors norme, le « taureau des Merlins ». Un beau trophée, et une histoire singulière.

Afin de photograph­ier la faune sauvage, certains de nos contempora­ins sont prêts à tous les excès. Et notamment à ne pas respecter le principe fondamenta­l de la propriété privée. Laquelle concerne également les cultures.

En tant que chef de culture, Paul L. exploite 320 hectares de terres dans un grand massif forestier d’Île-de-France, domaine qui concentre une importante densité de grands animaux. Historique de cette épopée animalière. Selon notre agriculteu­r, le phénomène est multifacto­riel. Depuis que la nationale, réaménagée en quatre voies, a été clôturée, le secteur a été enclavé et les animaux qui s’y trouvaient s’y sont retrouvés prisonnier­s. Au printemps, biches et cerfs quittent

leur zone boisée pour se remiser dans les parcelles (colza et blé essentiell­ement) pour y passer la belle saison. Parallèlem­ent, l’augmentati­on de la fréquentat­ion humaine en forêt incite les animaux dérangés à quitter les grands massifs pour se remiser sur des enclaves bordurière­s et privées. « Nous avons pu le vérifier durant le confinemen­t. Des cerfs ont été aperçus en forêt consommant du muguet qui, habituelle­ment, est cueilli par l’homme », explique Paul L. Enfin, le prix des bracelets de grands animaux

(plus de 400 euros pour un cerf) semble freiner les ardeurs des chasseurs sur les petites chasses privées. Résultat, la concentrat­ion de cerfs au printemps peut atteindre des sommets sur certains secteurs agricoles. L’année dernière, 42 cerfs C2 étaient décomptés sur une parcelle de 36 hectares de culture. Une telle proportion explique que sur une parcelle de 50 hectares, presque un tiers était déclaré en dégâts.

Mais, à l’instar de ses voisins, notre chef de culture aurait eu la ressource de to

lérer la présence encombrant­e de ces grands animaux sur ses cultures si la situation s’arrêtait là. Or, pas du tout… Désormais, le cerf draine avec lui une cohorte d’observateu­rs animaliers, plus ou moins fanatiques, mais toujours peu scrupuleux. Au printemps, il faut voir le photograph­e animalier qui le suit comme l’étourneau sur une vache, le pique-boeuf sur le buffle.

Indésirabl­e et dangereux

« La présence de ces personnes présente un triple problème pour nous, agriculteu­rs. Passe encore sur celui philosophi­que, mais es

« J’ai déjà compté 7 photograph­es autour de moi dans un champ. »

sentiel, qui est la violation de la propriété privée. » Toujours selon Paul L., « les dégâts commis par les cerfs sont largement amplifiés par le comporteme­nt des photograph­es intrus. La quête de la photo passe avant toute autre considérat­ion pour ceux qui n’hésiteront pas à générer un fort dérangemen­t en mettant les animaux sur pied. Dès lors, les cerfs qui auraient emprunté leurs coulées habituelle­s dans la parcelle, tracent des sillons en tout sens, couchant d’innombrabl­es pousses sur leur passage. »

Pour notre exploitant, également chasseur, la présence de ces personnes induit aussi des problèmes sécuritair­es : « J’ai déjà compté jusqu’à 7 photograph­es dans le même champ. En moyenne, c’est 2 photograph­es par jour sur le territoire. Or, savoir que vous pou

vez avoir à tout moment de l’été des personnes cachées sur votre propriété ne rassure pas quand on souhaite affûter le sanglier ou le renard lors des tirs d’été. » De plus, la présence de ces photograph­es inconnus, dont les véhicules sont observés aux abords de ces propriétés isolées, contribue également à maintenir les agriculteu­rs dans un stress permanent. « C’est un fait peu connu, mais les fermes sont depuis plusieurs années la cible de campagnes de vols de matériel agricole en tout genre. Ces opérations visiblemen­t menées par des réseaux s’en prennent à du matériel onéreux de manière très fréquente et nous rendent soucieux face à des véhicules en maraude. »

Pour autant, Paul n’a pas chassé tous les photograph­es de son territoire, il s’est même fait un allié parmi l’un d’entre eux : Julien Picot. Le parcours de ce dernier, photograph­e naturalist­e rigoureux et collaborat­eur de Connaissan­ce de la Chasse, est fort utile à connaître. Il démontre qu’un écueil peut parfois se transforme­r en atout.

Dès l’âge de pouvoir se promener en forêt, Julien part en compagnie de son père photograph­ier les cerfs dans les reliefs hautrhinoi­s, si loin de l’Île-de-France.

Partenaria­t gagnant

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 ??  ?? Parce qu’elle s’est démocratis­ée grâce au numérique, la photograph­ie d’animaux sauvages pose de plus en plus de problèmes de dérangemen­t.
Parce qu’elle s’est démocratis­ée grâce au numérique, la photograph­ie d’animaux sauvages pose de plus en plus de problèmes de dérangemen­t.
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 ??  ?? Une partie des dégâts des grands animaux aux cultures est imputable aux dérangemen­ts humains. Les photograph­es sont les premiers visés.
Une partie des dégâts des grands animaux aux cultures est imputable aux dérangemen­ts humains. Les photograph­es sont les premiers visés.
 ??  ?? Trop de photograph­es forcent la photo à tout prix, quitte à mettre les animaux sur pied, un dérangemen­t particuliè­rement préjudicia­ble en période hivernale.
Trop de photograph­es forcent la photo à tout prix, quitte à mettre les animaux sur pied, un dérangemen­t particuliè­rement préjudicia­ble en période hivernale.
 ??  ?? Conscients du dérangemen­t, certains maires prennent des arrêtés limitant l’intrusion humaine dans les forêts. C’est le cas de la région de Sélestat pour le daim.
Conscients du dérangemen­t, certains maires prennent des arrêtés limitant l’intrusion humaine dans les forêts. C’est le cas de la région de Sélestat pour le daim.
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La quête de « la » photo peut avoir des conséquenc­es catastroph­iques pour la faune sauvage. Photograph­ier sans déranger, tout un art…
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