Le Jardin secret de la République
Pompidou. Si depuis la Libération, des battues officielles de grand gibier sont organisées, il faut attendre le successeur du général de Gaulle – et François Sommer, le père de la chasse du grand gibier en France – pour que soient créées des chasses présidentielles dans ce coin de Sologne comme cela se pratique alors au petit gibier à Marly-le-Roi et à Rambouillet. Très rapidement, ces battues vont devenir un lieu de pouvoir où il faut être, être vu et être présenté. D’autant plus que Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing sont des chasseurs enthousiastes, chacun dans un style différent il est vrai. François Mitterrand, s’il a goûté aux charmes du safari en Afrique – mais ne fut convaincu –, ne sera pas chasseur, toutefois l’esprit de cour cynégétique républicaine sera maintenu sous son règne par François de Grossouvre. Jacques Chirac, qui détestait la chasse, mettra fin à ces battues, lesquelles survivent sous la forme de « battues de régulation » puis de « battues de la République » sous Emmanuel Macron. Chasser à Chambord constitue un mythe réel, lequel en cas de menace peut compter sur ses fidèles qui sont autant de défenseurs actifs.
Grâce à des allers-retours dans l’histoire, grâce à ses rencontres – avec les puissants comme avec les « petits » – et à ses lectures, l’auteur nous guide à travers les halliers les plus denses et les plus méconnus de l’histoire politique, peignant touche par touche un formidable tableau des moeurs politiques françaises. Peintre ou enquêteur, Marcelo Wesfreid note des détails, rassemble des indices qui se révèlent essentiels pour comprendre le jeu du pouvoir.
Les participants aux battues, aux approches et affûts songent-il à François Ier, aux autres monarques et aux princes qui possédèrent le domaine ? Consciemment ou inconsciemment oui, tant le lieu est unique, majestueux, surréaliste. Le site met la pression, qu’on le veuille ou non. La République apporte sa touche à cette grandeur peu rationnelle. Le pouvoir n’existe que s’il impressionne, aussi la Garde républicaine est appelée à la rescousse. Inlassablement, Marcelo se fait limier pour comprendre l’étendue de la piste, le nombre et la qualité des grands fauves qui ont parcouru ces territoire et ceux que l’on y croise. Le travail est d’autant plus dense que les uns et les autres s’expriment par bribes, lâchant observations et chiffres avec parcimonie. On ne parle pas chez ces gens-là, on murmure. Chambord est redevenu ces dernières années un lieu de pouvoir d’autant que le président de la République, Emmanuel Macron, s’intéresse à la chasse, que le président du Sénat, Gérard Larcher, est très chasseur, comme le président de l’Association des maires de France, François Baroin, etc., et que le commissaire du domaine, Jean d’Haussonville, redonne prestige et activité à un site qui s’endormait jusqu’à son arrivée, et l’ouvre plus encore sur le monde. Un monde de Vip certes. S’est-il décidé des choses essentielles à Chambord ? Peu sûr, mais les petites rivières font les grands fleuves, et une accumulation de contacts et d’échanges permette aux décideurs de se maintenir au pouvoir, d’élargir l’étendue de leur pouvoir. Pour cela, le secret des murs et des arbres de Chambord se révèle idéal. Chasser à Chambord oui, mais pas un mot… F.-X. A.
204 pages, 17 euros, Plon, en librairie