Autorisé ici, interdit là
Quelle est la réalité du tir dans la traque en France ? Qu’ils soient pour, qu’ils soient contre, les responsables et experts cynégétiques interrogés ont tous de solides arguments pour expliquer leur choix. Tour de France des pratiques et des territoires.
Nord :
« Oui mais à plomb »
Dans les départements du Nord de la France (Pas-deCalais, Nord, Somme, etc.), le tir dans l’enceinte par les postés se raréfie selon Grégory Binoît, technicien à la Fdc du Nord. Beaucoup de directeurs de chasse ayant constaté que les courtes distances de tir imposées n’étaient pas respectées. Désormais, le tir au rembûcher avec angle sécuritaire s’impose ici dans ces forêts au sol plutôt plan.
Dans ces régions, la ligne de traque est généralement étoffée en hommes (parfois de plus de 25) qui compensent, voire remplacent les chiens, le plus souvent non courants. Une culture qui s’explique par la petite taille des territoires (parfois une centaine d’hectares boisés) et surtout l’envie de conserver le gibier chez soi. Le tir dans l’enceinte de chasse lors d’une battue au grand gibier est uniquement l’affaire des traqueurs.
Il sera cependant conditionné à l’emploi de grenaille de plomb et réservé au petit gibier, comme nous l’explique Grégory Binoît : « Dans les massifs domaniaux, le cahier des charges rédigé par l’Onf interdit généralement tout tir de petits gibiers dans la traque. En revanche, dans les forêts privées, la pratique est couramment autorisée. Lièvres, faisans et surtout bécasses sont prisés des traqueurs qui profitent de ces rares occasions pour les chasser. Pour ne pas déranger les grands gibiers dans les massifs, la chasse au chien d’arrêt étant souvent restreinte, voire interdite. Ces tirs occasionnels constituent dès lors une “carotte” pour certains traqueurs expérimentés au profil de plus en plus recherché par les responsables de territoires. »
Étrange constat : il y a trente-cinq ans on pleurait pour avoir des postés, aujourd’hui on pleure pour avoir de bons traqueurs. La raison est simple : le vieillissement global des chasseurs.
Meuse :
« Éclater les compagnies avant qu’elles ne sortent »
En Meuse, comme dans les autres départements voisins (Ardennes, Marne, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, etc.), certaines sociétés de chasse demandent aux traqueurs de s’acquitter du prix de l’action. Souvent une demi-part. En contrepartie, on leur octroie le droit de tirer le grand gibier dans la traque.
Les directeurs de chasse qui subissent une pression financière accrue due au prix de location des territoires plaident en faveur de cette tendance. « Les traqueurs sont bien souvent très chasseurs. Il est vrai qu’il peut être tentant pour certains de réaliser une part non négligeable du tableau », explique François Magnien, qui a dirigé les chasses Onf dans le massif de Verdun, avec un règlement différent. Selon lui, le tir dans la traque, qu’il soit réalisé par un traqueur comme par un posté, s’est toujours imposé comme une évidence malgré le fait que ses traqueurs étaient invités. De son temps, pour prétendre être armé dans la traque, il fallait avoir passé une saison complète à la découvrir sans arme pour bien maîtriser le relief, les peuplements forestiers et les lignes de tir. La traque ne doit pas être une armée, mais être équipée de quelques carabines. En revanche, la limitation à une ou deux armes n’est pas forcément appropriée, notamment lorsque la ligne est longue et qu’un homme doit intervenir rapidement sur un ferme. Une situation qui demeure anecdotique, de l’ordre de 3 à 4 cas annuels. « Personnellement, à l’époque, je favorisais les propriétaires de chiens », poursuit M. Magnien. Les consignes étaient très strictes et claires : la ligne de traque était toujours droite. Les hommes situés au plus près des lignes ne tiraient pas.
En revanche, pour l’ancien technicien de l’Onf, le tir dans la traque trouvait une justification autre que la sécurité des hommes comme des chiens : « Les hommes avaient pour consigne de ne tirer que quelques petits sangliers dans le but de faire “débander” les compagnies. Généralement cela profitait aux postés qui tiraient sur les quatre lignes. Si vous montez une balle sur un chevreuil bondissant ou une biche, vous êtes très vite sur un angle horizontal, à proscrire donc. »
La sécurité pourrait aussi être renforcée en obligeant les traqueurs à revêtir également un pantalon fluo, de manière à être visibles de la tête au pied. Une précaution utile dans certains types de fourrés de mi-hauteur, telles des sapinières. Selon François Magnien, le tir dans la traque est extrêmement intéressant pour la réussite des tirs des postés. Le chasseur a face à lui un animal qui se dérobe plus qu’il ne fuit. Il est plus hésitant,
moins rapide. « Selon le poste, le tir dans la traque est parfois moins dangereux qu’au rembûcher. Au saut de l’animal franchissant la ligne, bien des chasseurs opèrent un swing en se retournant au dernier moment pour épauler. Si quelqu’un vient à passer derrière eux quelques minutes ou secondes auparavant, le risque d’accident est réel. » Ainsi pour chaque poste, le placé reçoit des consignes spécifiques de la part du chef de ligne :
- les limites de distances de tir sont indiquées à partir de repères physiques (élément du paysage) et non théoriques. Les mesures de distance étant très souvent mal appréciées par les chasseurs ;
- le tir dans l’enceinte est limité aux sangliers de faible corpulence.
Bas-Rhin :
« Aux postés de réaliser le tableau »
La culture alsacienne interdit aux traqueurs de tirer dans l’enceinte de chasse, à l’excep
tion du ou des chefs de traque. Sur ces terres où le prix des actions de chasse se révèle onéreux, il est mal vu de voir un tableau réalisé par des non-actionnaires qui versent un trink gelt (pourboire de 30 à 40 euros) aux traqueurs pour leur participation.
Pour pouvoir porter un fusil dans la traque, être chef de ligne ne suffit plus dans le Bas-Rhin. Il faut désormais avoir suivi une formation dédiée. Elle permet d’évoluer avec une arme non chargée ayant juste pour rôle d’achever un animal blessé ou dangereux pour les chiens comme pour les hommes. « Le tir des postés dans l’enceinte de chasse est en revanche bien vu en Alsace. Il est jugé plus sécurisant que le tir au rembûcher dans les secteurs à relief », nous explique le président de la Fdc du Bas-Rhin, Gérard Lang. Ce dernier augmenterait la probabilité de surréaction de l’animal qui selon les vents aura tendance à sauter et gagner en vitesse au passage de la ligne. Une situation qui incite les chasseurs à épauler trop tôt et ne pas respecter l’angle de sécurité. Pour le gibier, ce type de situation augmente le ratio de tirs lointains (balle non fichante), réalisés fuyants et où la réaction du gibier au tir est mal perçue.
Dans le massif vosgien (Moselle, Meurthe-et-Moselle, Vosges, Haut-Rhin, Bas-Rhin, HauteSaône, Territoire de Belfort), le relief prononcé permet au posté de tirer fichant devant lui sur animal. Mais selon Gérard Lang, cette autorisation induit deux angles de tir et donc quatre piquets à mettre en place.
Enfin, dans les forêts communales de plaine du département (Haguenau par exemple), si le tir dans la traque est toujours autorisé aux postés, les modalités varient. « Généralement, les postés sont installés sur des miradors de battue et sont limités à un tir de 25 mètres devant eux. Mais pour ce qui me concerne, tous les tirs de battue sont limités à une distance de 60 mètres, quel que soit l’environnement et l’angle. »
Calvados et Gironde : « Pour un piqueux, la dague suffit »
Lieutenant de louveterie dans le Calvados, Alexis Maheux, à l’instar d’une majorité de ses confrères, estime que le tir dans la traque demeure dangereux et devrait donc être proscrit, que ce soit pour les postés comme pour les traqueurs. Une culture qui s’installe progressivement dans l’Ouest.
À ceux qui lui rétorqueraient la nécessité d’achever, par arme à feu, un sanglier, il répond : « Il est évident qu’une personne évoluant avec deux labradors dans une battue grand gibier aura plus de mal
à servir à la dague un sanglier que quelqu’un découplant une meute de grands courants qui tiennent facilement l’animal. Selon le louvetier, il faut être au contact de sa meute, être capable de pouvoir se couler dans des ronces, sauter, et se mettre à courir, tout ceci n’aide pas lorsqu’on a une arme en bandoulière. »
Le même constat peut être fait dans le quart Sud-Ouest comme l’explique Ernest Ferron, directeur de chasse en Gironde : « Nous ne parlons pas de traqueurs ici, mais de piqueux. Il y a peu d’hommes dans l’enceinte, mais beaucoup de chiens. La plupart du temps, seul le chevreuil, qui est tiré à plomb, peut l’être dans l’enceinte de chasse. » Malgré tout, selon Ernest, les secteurs dunaires des forêts du littoral atlantique pourraient tout à fait permettre le tir dans l’enceinte de chasse en assurant la sécurité : « Certaines chasses marquent même parfois à la bombe la limite haute à ne pas tirer sur les hautes dunes de sable. »
Cantal : « Tous les postes nous sont connus »
« Dans nos chasses de villages souvent reculés, la totalité des participants sont des locaux, natifs du pays. Chacun connaît tous les postes et la topographie du territoire pour l’arpenter depuis son enfance », explique Thierry Simon, président du Gic des Monts du Cantal.
Selon lui, c’est la topographie du terrain qui dicte les règles. « Nos consignes dépendent des secteurs. Le tir dans la traque peut être interdit, dans ce cas, à tous les par
ticipants, sur de petits périmètres forestiers (cerf ou sanglier). Mais habituellement, les battues qui se déroulent sur de grands territoires de montagne autorisent un tir à angle ouvert. Une règle également valable pour le traqueur épaulé de sa demi-douzaine de chiens de pays, qui peut tirer l’animal vu même non blessé. Socialement parlant, nous avons conservé l’état d’esprit d’antan où la réussite de l’un fait le bonheur de l’ensemble du groupe. Le fait que le tableau soit réalisé par le traqueur ne soulève donc aucun problème, au contraire. »
Malgré tout, les règles sécuritaires ont évolué. Que ce soit pour le traqueur comme le posté, il n’est désormais plus question de se promener dans la montagne, arme chargée, comme avant. L’arme n’est chargée qu’au poste et le traqueur ne charge qu’à la vue de l’animal. Le tir des cerfs est généralement interdit dans la traque. « Nos seules restrictions concernant les angles sont le village en contrebas, les balles de crêtes et plus généralement les tirs non fichants. Le tir du petit gibier est interdit en battue, une règle figée dans notre schéma qui nous interdit d’être porteur de grenaille lorsqu’on est en battue de grand gibier. »
Bouches-du-Rhône :
« Le piège de la garrigue »
En Provence, chaque posté est placé au coeur du massif chassé, dans la garrigue. La pratique de l’angle des 30° est toute relative. « Tout le monde tire dans la traque puisque les chiens peuvent venir de n’importe où », explique Jérémy Brachet, guide de chasse et armurier basé dans les Bouchesdu-Rhône. « Bien évidemment, si certains sont postés sur du plat et des zones ouvertes, les angles de tir se restreignent. »
En ces terres méridionales, si les traqueurs sont à l’identique de la frange ouest, c’est-à-dire peu nombreux, mais largement appuyés de chiens, la dague n’est pas employée. « Ici, tous les piqueux sont armés de carabine, généralement en calibre 300. Sur 20 postés, on compte en moyenne 4 ou 5 traqueurs entourés de 4 à 10 grands chiens courants. Généralement, ils tirent soit en retour, soit sur un ferme, nombreux en début de saison. Les fortes chaleurs n’incitent pas l’animal à courir. La seule règle est d’opérer un tir fichant. » Mis en parallèle des accidents de chasse qui surviennent dans la région, on pourrait en conclure que cette pratique est dangereuse. Or, l’analyse des cas mortels révèle que, sur les deux faits recensés l’an
née dernière, les tireurs n’avaient pas identifié leur cible, visant « un buisson qui bouge ». C’est donc davantage la non-identification d’un tir que le respect d’un angle qui est ici en cause.
Haute-Savoie :
« Lorsque la concurrence devient périlleuse »
Tout comme sur la ceinture méditerranéenne, les derniers accidents mortels qui ont eu lieu dans les Alpes sont souvent le fait de tirs directs liés à une non-identification du gibier. Dans ces hautes montagnes, il semble que ce soit la notion de concurrence exacerbée qui explique ces drames. Comme nous l’explique Frédéric Brachet, président d’Acca en Haute-Savoie : « Notre département connaît une explosion des pratiques comme le trail ou le Vtt électrique. L’intrusion d’un nombre croissant d’usagers à toute heure du jour et de la nuit jusqu’aux sentiers les plus reculés et autrefois seuls connus des chasseurs est réelle. »
Mais si la concurrence des espaces ne concerne pas que cette partie de l’Hexagone, un autre phénomène est spécifique à cette région. « Culturellement, nous chassons par petits groupes de 7-10 personnes au sein des Acca et la concurrence est vive sur les prélèvements, puisque seuls les premiers seront servis. » Cette frénésie qui s’empare donc de certains chasseurs peut ainsi les pousser à tirer sans réfléchir au moindre mouvement perçu. « Un comportement d’autant plus exacerbé depuis quelques années par le développement de l’affichage des performances des chasseurs sur les réseaux sociaux en temps réel », précise Clément Gamain, technicien à la Fdc de HauteSavoie.
Ce tour d’horizon non exhaustif des pratiques françaises concernant les angles de tir en chasse collective démontre bien que l’argument sécuritaire n’est pas la seule motivation qui conditionne ou interdit sa pratique.
Ces récits d’expériences exposent aussi clairement que la sécurité à la chasse n’est pas qu’une affaire d’angle.