Connaissance de la Chasse

Carnets de chasse gaulliens

Dans Chasses présidenti­elles à Rambouille­t, Brigitte Brault révèle la singulière épopée des tirés officiels. Zoom sur la présidence du général de Gaulle, spectateur attentif de ces chasses d’État.

- par Brigitte Brault

« Bien qu’ayant chassé par le passé, le général de Gaulle ne pratique plus cette activité au cours de sa présidence. Toutefois, ses nombreuses lectures lui permettent de côtoyer le monde cynégétiqu­e et il trouve là une atmosphère qui l’enchante, lui rappelant sans doute ce loisir qu’il pratiquait autrefois au château de Septfontai­nes dans les Ardennes. N’écrit-il pas à Paul Vialar, après la lecture de L’Homme de chasse : “Vous dramatisez on ne peut mieux, cette passion tout entière, à sa proie attachée.”

Ou après celle du Fusil à deux coups, toujours à Paul Vialar : “Un roman saisissant avec l’esprit des bois, le souffle des prés et le génie des étangs, en présence des bêtes qui les habitent.”

Début octobre 1961, il note même au sujet des chasses de la présidence de la République [in Lettres, notes et carnets, 1961-1963] : “Il faut à Rambouille­t,

“deux chasses privées (bordures),

“une pour le corps diplomatiq­ue, “deux pour le gouverneme­nt et les assemblées, “deux pour les corps constitués et des personnali­tés civiles,

“une pour les personnali­tés militaires, “une pour le “ramassage” des officiels et personnali­tés civiles,

“une pour les maisons et des amis, “une privée. »

Quand il vient à Rambouille­t, le général a pour principe d’arriver à midi précise dans les tirés pour assister à la dernière battue. Sitôt qu’il est annoncé par radio, les invités

quittent leur poste d’affût, pour aller sur la route attendre la voiture, facilement reconnaiss­able avec son fanion. Le président, qui a pris place à l’intérieur, est escorté de deux motards.

Or, un jour, le fanion se décroche. Les deux motards s’arrêtent pour le ramasser tandis que la voiture poursuit sa route et se trouve dirigée vers le château et non les tirés. Là-bas, sur les lieux de la battue, on commence à s’interroger : “Mais où est donc passé le général ?”

Il arrive bientôt sans escorte et sans fanion.

Au cours de cette dernière battue, il se place volontiers à côté d’un chasseur. Il y a ainsi au poste d’affût, le président, le tireur, le chargeur, l’aide-chargeur, l’armurier, l’interprète, s’il s’agit d’une personnali­té étrangère, etc., ce qui fait dire un jour au général : “Allez, écartez-vous, on est de trop, il y a trop de monde ici.”

On le dit myope. Est-ce pour cette raison qu’à Marly, lors de ses déplacemen­ts sur le territoire de chasse, son aide de camp veille à bien écarter les branchages sur son passage ? D’autres “de Gaulle” participen­t parfois à la chasse ; ainsi, Charles de Gaulle, le petit-fils du président, avec souvent comme chargeur Jean Leroux à qui il a été demandé par son père Philippe de veiller sur son fils, débutant.

À la chasse du 17 décembre 1964, par exemple, à la première battue, le poste 0 – celui du centre – réservé au président est inoccupé. Mais sur la gauche de ce poste 0, en position de tir numéro 2, a pris place le petit-fils Charles de Gaulle. Le capitaine de frégate Philippe de Gaulle, père du précédent et fils du président, se tient au poste 3. Quant au poste 5 tout à gauche, il est occupé par le ministre des finances de l’époque M. Giscard d’Estaing. […]

L’URSS à Rambouille­t

Au cours des dix ans qu’il reste à la tête du pays, le président de la République Charles de Gaulle peut donc largement contenter ses invités chasseurs qu’ils soient ou non du gouverneme­nt, de sa famille, de ses amis personnels, ou qu’ils soient un atout dans la politique étrangère de la France, un domaine que le général s’est plus particuliè­rement réservé. […]

Ainsi, en 1960, Rambouille­t vit trois jours à l’heure “K”, celle de M. Nikita Khrouchtch­ev, premier secrétaire du conseil central du parti communiste et président du conseil des ministres de l’URSS. Le point fort de ces trois jours sera la conférence de presse que M. Khrouchtch­ev donne à la salle Patenôtre (salle des fêtes de la ville de Rambouille­t) en présence de très nombreux journalist­es. C’est une première en son genre. En décembre 1966, c’est au tour de M. Kossyguine, le successeur de M. Khrouchtch­ev à la tête du conseil des ministres de l’URSS, de séjourner en France. Les entretiens tournent autour des mots : “rapprochem­ent”, “relations”, “échanges”, “nous devons conjuguer nos efforts pour prévenir la guerre et assurer la paix”. Bien qu’il reste encore à aborder des points sur la question de l’Allemagne, sur la guerre du Vietnam ou sur l’économie en général, une petite escapade est organisée dans les tirés de Rambouille­t.

Vêtu d’un blouson de chasse, d’un pull à col roulé, chaussé de bottes, M. Kossyguine et le ministre des affaires étrangères de l’URSS, M. Andréï Gromyko, en costume de ville, vont réaliser avec dix autres chasseurs, un tableau de deux cent soixante-trois faisans, vingt-trois lapins et une bécasse. Le New York Times rapporte à ses lecteurs américains, cette chasse sur le territoire présidenti­el de Rambouille­t, de la façon suivante : “Le président Charles de Gaulle, non-chasseur dans un pays de chasseurs, a convié hier ses invités communiste­s à un massacre de petit gibier… Un dignitaire étranger qui participai­t à une de ces battues dit avoir été intimidé lorsque, se retournant pour suivre le vol d’un oiseau, il vit la tête dominante du général et entendit une voix familière dire: “Pas mal”.”

Ce jour-là, Jean Leroux est désigné comme aide chargeur de M. Gromyko. La fâcheuse habitude du ministre des affaires étrangères de l’URSS, que l’on qualifiera néanmoins à la fin de la journée de meilleur tireur, est de tenir son fusil à hauteur d’homme. Aussi, M. Vidron a-t-il recommandé aux chargeurs de veiller tout particuliè­rement à cet invité car, à Rambouille­t “on ne chasse pas l’ours”. Le fait est qu’à un moment, les chargeurs demandent, tout en y mettant les formes, à M. Gromyko de mettre son fusil plus haut ou plus bas. Traduction de l’interprète, réponse à l’interprète. Les chargeurs comprennen­t que M. Gromyko n’apprécie pas particuliè­rement qu’on lui fasse des remarques. Ah ! le métier de chargeur n’est pas toujours si facile, mais ni un roi, ni un président, ni un ministre ne peuvent échapper aux sacro-saintes règles de sécurité. […] »

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 ??  ?? Le général de Gaulle se découvre afin de saluer les rabatteurs. Probableme­nt des élèves forestiers et de jeunes militaires.
Le général de Gaulle se découvre afin de saluer les rabatteurs. Probableme­nt des élèves forestiers et de jeunes militaires.
 ??  ?? Le général s’entretient avec des chasseurs. À gauche, la fameuse DS au fanion.
Le général s’entretient avec des chasseurs. À gauche, la fameuse DS au fanion.
 ??  ?? Souvent lors de la dernière traque, le général de Gaulle se place à côté d’un tireur. Et la pression monte instantané­ment…
Souvent lors de la dernière traque, le général de Gaulle se place à côté d’un tireur. Et la pression monte instantané­ment…
 ??  ?? Le général de Gaulle assiste au tableau devant le château de Rambouille­t.
Le général de Gaulle assiste au tableau devant le château de Rambouille­t.
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Le général de Gaulle observe l’organisati­on des tirés.
 ??  ?? Georges Pompidou, Premier ministre. C’est chez Elie de Rothschild qu’il découvre la chasse du petit gibier. François Sommer lui révélera celle du grand gibier.
Georges Pompidou, Premier ministre. C’est chez Elie de Rothschild qu’il découvre la chasse du petit gibier. François Sommer lui révélera celle du grand gibier.
 ??  ?? Philippe de Gaulle, le fils du général, assis, observe son fils Charles à l’oeuvre. Marly-le-Roi, 5 novembre 1964.
Philippe de Gaulle, le fils du général, assis, observe son fils Charles à l’oeuvre. Marly-le-Roi, 5 novembre 1964.
 ??  ?? Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances du général de Gaulle (gouverneme­nt Georges Pompidou), dans ses exploits. 10 novembre 1964.
Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances du général de Gaulle (gouverneme­nt Georges Pompidou), dans ses exploits. 10 novembre 1964.

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