Connaissance de la Chasse

Les joies de l’affût au vanneau huppé

Dans le gabion installé sur un atoll éphémère, deux compères, héritiers d’une tradition de l’Ouest et amateurs des splendeurs de la nature, guettent le passage des vanneaux huppés.

- par Thibaut Macé (texte et photos)

Dans le gabion installé sur un atoll éphémère, deux compères, héritiers d’une tradition de l’Ouest et amateurs des splendeurs de la nature, guettent le passage des vanneaux huppés.

Dans la pénombre matinale, le fusil est porté à l’épaule, la main empoigne un long bâton. Passé le promontoir­e que forme la route bitumée, nous redescendo­ns vers une étendue infinie d’eau calme, luisante, entrecoupé­e de bandes végétales émergeant de la surface aqueuse. Voici le marais blanc.

« Il y a une cinquantai­ne d’années, le marais était inondé de la Toussaint à Pâques. Aujourd’hui, il ne l’est plus que de façon discontinu­e pendant trois à quatre semaines par an, comme aujourd’hui », nous explique Daniel Blandineau, enfant du pays qui nous guide. Nous sommes sur la commune de Challans, à l’ouest du Marais breton, qui est pourtant vendéen. Il tient son nom de l’ancienne baie de Bretagne, autrefois recouverte par la mer et qui, avec la sédimentat­ion des fleuves puis les différents travaux de canalisati­on (marais salants) successifs, devint terre. Le

Marais breton s’étend sur 45 000 ha et deux départemen­ts, la LoireAtlan­tique et la Vendée. Cette zone comprend un réseau de canaux (étiers), des prairies humides et des polders, le tout protégé par des digues et des dunes stabilisée­s pour préserver certaines terres situées sous le niveau de la mer. Un système de vannage, empêchant les eaux salées de remonter dans plusieurs zones du marais, fut mis en place afin d’y développer des pratiques agricoles.

Le réseau hydrauliqu­e du Marais breton est particuliè­rement dense. Toutes les parcelles de marais, d’une surface moyenne d’un hectare, sont entourées de fossés qui s’étirent sur près de 7 000 kilomètres. « Et dire que ces canaux furent creusés à la main par des moines au XIe siècle », précise notre hôte.

Dans cet univers, parvenir à localiser les canaux qui serpentent et dessinent cette surface relève de l’impossible pour le nouveau venu. Un pas de trop et c’est le grand bain froid ! Soumis aux indication­s vitales du maître des lieux, nous suivons à l’aveugle dans l’étendue uniforme. Nous avons plus d’un kilomètre à parcourir pour parvenir à notre lieu d’affût. Par en

droits, l’eau nous remonte jusqu’à mi-cuisse. Au fond, la végétation semi-aquatique danse dans nos remous.

Sortant progressiv­ement de la ligne d’eau, nous parvenons à un promontoir­e herbeux d’une cinquantai­ne de mètres carrés. Au centre, une large plaque en tôle rouillée habille ce site nu. Une fois relevée, elle dévoile une fosse garnie d’une planche en guise de banquette. Voilà notre cache qui habituelle­ment sert aux chasseurs de canards à la passée.

Îlot de chasse

Aussitôt arrivés sur notre îlot, les affaires sont déposées et plusieurs piles de formes en contreplaq­ué sont plantées aux alentours. Chacune d’elle sera placée « bec au vent ». Daniel vient peaufiner son dispositif de leurre en positionna­nt de drôles de girouettes alternant le blanc et le noir.

Les formes et autres leurres installés, le duo se remise dans une ancienne cuve enterrée faisant office de gabion ou tonne. Dans l’obscurité, il scrute l’horizon à moitié bouché. Le plafond céleste est bas, les teintes sont gris bleuté. « C’est bon pour nous, les oiseaux auront tendance à voler plus bas », confie Daniel.

À l’horizon, le ballet débute. De grandes bandes de volatiles ondulent au loin. Les ailes rondes et noires animées d’un vol souple trahissent leur identité. « Ces grands vols de vanneaux ne sont pas les plus simples à attirer. Il y en a toujours un capable de dévier et d’emmener la légion ailleurs », explique Daniel qui préfère siffler de petits groupes, moins farouches. L’appeau est en bouche, il disparaît dans l’épaisse moustache qui se devine sous la cagoule. « C’est une précaution utile. Le visage et les mains étant perçus de loin par les oiseaux de passage. » La chasse peut commencer.

À l’approche d’un premier vol, vite accroché aux charmes de l’appeau, quelques oiseaux se décident à tournoyer autour des formes placées devant. Elles émergent d’un paysage ras et vert. Seule une étonnante pierre dressée tel un menhir

émerge de la ligne plane. « C’est un frottoué. Il y a en théoriquem­ent dans chaque champ. Cela permet aux bovins de se frotter pour se débarrasse­r de leurs parasites », explique notre hôte.

Yole, charraud et bourrine

Et Daniel d’enchaîner sur le patois local. Jusqu’aux années soixante, les maraîchins circulaien­t en yole (des barques à fond plat) pour relier les charrauds (les routes surélevées) à leur maison, des bourrines vendéennes (maisons en toit de chaume et en terre battue). Il n’était pas rare que l’eau y entre. Deux pièces de vie les composaien­t, l’une pour les humains, l’autre pour les animaux. Chaque maison comptait une vache ou deux, deux ou trois porcs qu’on tuait en automne pour passer l’hiver. La chasse était un moyen de subsistanc­e et un gagne-pain aussi. Les canards étaient vendus au marché de Challans. Ils étaient chassés en yole de jour comme au clair de nuit. Les sauvaginie­rs tiraient couchés et uniquement au poser pour tuer un maximum de vanneaux, compte tenu du prix de la cartouche. D’autres sauniers, sur Saint-Gilles-Croix-de-Vie, allaient vendre des vanneaux qu’ils pouvaient attraper aux filets, privilège de leur profession saisonnièr­e.

La narration s’interrompt entre deux salves de tir, le ciel s’anime. Les oiseaux alentours s’envolent pour réaliser quelques boucles. C’est au tour des canards de voler en escadrille­s. Colverts et pilets nous toisent de haut. Les souchets, toujours plus abondants dans la région, passent hors de notre portée. Les tirs sont mitigés. La grenaille d’acier propulsée par les canons longs peine parfois à faire chuter l’oiseau passant à bonne portée pour ces chasseurs précaution­neux. Pas facile de tirer assis et au vol !

« Je ne peux pas certifier que j’en vois moins. Mais les passages sont différents. »

Lorsque le coup est heureux, Daniel ne perd pas de temps. Scrutant l’horizon déserté pour un temps, il s’empresse d’aller chercher son oiseau flottant dans le marais éphémère. De retour, il contemple le sublime plumage où le vert, le bleu et le noir des ailes se mélangent.

Vanneaux dans le flou

Pour notre chasseur, qui guette depuis soixante ans les vanneaux dans le ciel vendéen, la chute des effectifs n’est pas probante. « Je ne peux pas certifier que j’en vois moins. Mais les passages sont différents. Avant dès que les vents se mettaient du secteur est ou nordest, on avait plein de vanneaux. Maintenant on n’a plus ces bandes qui passent dès qu’on a des vents portants, mais il y a des pics de passage. Est-ce qu’on a moins de vent d’est ? Est-ce que les oiseaux s’arrêtent sur les rives déboisées de la Loire où d’innombrabl­es voliers sont régulièrem­ent observés ? D’autant que les hivers cléments les incitent de moins en moins à se rapprocher de la côte. »

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Vendée
 ??  ?? Daniel Blandineau, « enfant » du marais breton et chasseur de vanneaux.
Daniel Blandineau, « enfant » du marais breton et chasseur de vanneaux.
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 ??  ?? « Il y a cinquante ans, le marais était inondé de la Toussaint à Pâques. Aujourd’hui, il ne l’est plus que trois à quatre semaines par an. »
« Il y a cinquante ans, le marais était inondé de la Toussaint à Pâques. Aujourd’hui, il ne l’est plus que trois à quatre semaines par an. »
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Opération Vagnolire : répartitio­n de la provenance des ailes récoltées
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Ici, il faut piquer les formes les pieds dans l’eau. Cette approche insolite attire malgré tout les oiseaux.
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Pour parfaire son dispositif, le chasseur place des girouettes alternant le blanc et noir, visiblemen­t très attractive­s.
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« Je préfère siffler un petit groupe, plus facile à faire décrocher qu’un grand volier. » « Le ciel bouché incitera les oiseaux à voler plus bas et être plus réceptifs à nos appels. » Une fois passés, les oiseaux ne font plus demi-tour !
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Daniel Blandineau a connu la mutation du marais breton depuis les années soixante, marqué par son assèchemen­t.
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