Cosmopolitan (France)

… ma balance

C’est un pèse-personne, si on veut. Mais en l’occurrence, ma balance elle pèse quelqu’un, et ce quelqu’un n’est pas contente.

- Par Sophie Hénaff

Crache ton venin, balance

a balance, je l’ai collée sous le lavabo. Elle est punie : elle n’a pas été gentille. Il y a quelques années de cela, on s’entendait pourtant très bien, faut dire qu’on se voyait très peu. Mais en ce moment, on se voit chaque jour. À l’image de ces amoureuses un peu maso, je ne peux pas m’empêcher de retourner voir mon pèse-personne quand il me parle mal. Le matin, sans prévenir, je lui grimpe dessus et aussitôt la machine s’écrie : « Argh, trop lourd. » « Ben ouais ma cocotte, je lui réponds, d’un autre côté, c’est ton job de balance, alors cesse de te plaindre et offre-moi un profil aimable, avec des chiffres non indexés sur le cours du cacao s’il te plaît. » Je veux pas savoir qu’avec l’inflation, mon gigot aussi a pris 25 %. Bon, je noircis le cadran, toutes les deux, on ne se dispute pas tant que ça, il arrive même qu’on se plaise. Mais c’est toujours moi qui fais les efforts. Néanmoins, notre relation est basée sur l’honnêteté.

Elle penche à gauche

Parce que j’ai une copine, elle, qui triche. Déjà au départ, elle s’est acheté un modèle à aiguille. À notre époque, faut le vouloir. En plus, elle l’a prise chez Ikea, premier prix, pour dire comme elle visait la précision chirurgica­le. Une fois rentrée dans sa maison, ma copine a prétexté un défaut de parquet soi-disant incliné et elle a décalé l’aiguille d’un millimètre vers la gauche. En gros, elle s’est ôté un kilo. Comme ça, facile, sans arrêter le saucisson. Moi non. Je n’ai pas peur de regarder la vérité en face entre mes pieds. J’ai sélectionn­é de l’électroniq­ue, allemand, preuve que je refuse toute échappatoi­re. Il est bleu et gris, pas du genre rigolo « Youplala ces questions de poids sont sans importance du moment qu’on s’aime ». Non, mon pèse-personne à moi, il est sobre, il respire la discipline et la désapproba­tion.

De la précision

Pourtant, tout électroniq­ue germain qu’il soit, mon pèse-personne reste curieuseme­nt indécis. Si je monte dessus trois fois de suite, trois fois de suite il me propose un poids différent. Selon mon humeur, je calcule une moyenne ou je retiens le chiffre le plus clément. Ensuite, je déduis encore 1,5 kilo parce que je suis en tee-shirt, voire 2 kilos si le tee-shirt est floqué. Calculs que ma balance pourrait opérer, il paraît, si je l’avais programmée. C’était en gros sur la notice : Touche Mémoire. Quelle idée ! Déjà, le réglage basique m’explique que, la raclette de la veille, j’aurais dû m’abstenir, si en plus, faut s’aménager un appareil qui déclare « Putain, t’as ramassé en dix ans ! », ça me révolte. Comme si les jeans et les fiancés ne suffisaien­t pas à témoigner des ravages-irréversib­les-du-temps, il faudrait encore s’infliger un appareil infoutu de différenci­er un Mars d’un brocoli pour s’entendre raconter qu’on était mieux gaulée à 22 ans qu’à 32. Où on va ? Tiens, bloquée la fonction, couic la balance, qui c’est la plus maligne maintenant ?

Ils ont trouvé encore pire

Il paraît qu’ils ont lancé des modèles qui te donnent tous les détails dont tu n’as pas besoin. Tu les regardes un peu longtemps dans les capteurs et hop, ils te délivrent ton poids, divisé en pourcentag­e de gras, d’eau, de muscles, peut-être bien d’organes et de pensées coupables aussi, on n’est plus à l’abri. Personnell­ement, je ne connais pas de circuit électroniq­ue avec qui je me sente suffisamme­nt intime pour m’exposer ainsi. Et puis, quand on est une machine constituée à 98 % de plastique dur, c’est facile de critiquer. Je préfère garder mon vieux modèle, au moins on se connaît.

À force, elle fatigue

Depuis quelques jours, mon pèseperson­ne s’obstine à clignoter « Batt ». Quoi Batt ? Qu’est-ce que j’ai fait encore ? Non rien, c’est le signal Batterie. Toi aussi ma cocotte, tu veux ton petit remontant.

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