Cosmopolitan (France)

… les vendeuses

- Par Eva Kokoshenka

Le seul problème avec le shopping, outre la tête du banquier et le nouveau trou dans mon portefeuil­le, c’est les dames qui gardent mes futurs vêtements.

e suis née avec une carte bleue à la main, et mon premier mot a été « Marni », comme la marque italienne, et pour des raisons diplomatiq­ues évidentes, c’est aussi comme ça que j’appelle maman depuis plus de trente ans. Sans me vanter trop fort, je suis au shopping ce que Beyoncé est au RnB : triple disque de platine, et double ceinture noire. S’il y avait des Jeux olympiques d’achats compulsifs de fringues, je ferais du step sur les trois premières marches du podium. Alors ce n’est pas une vendeuse qui va m’apprendre à vidanger mon PEL.

Elles sont partout

Et pourtant... Lorsqu’un nouveau courant d’air m’aspire à l’intérieur d’une boutique, ou que des vêtements tout frais m’appellent depuis leurs cintres adorables, c’est systématiq­ue : une vendeuse surgit de derrière un portant – dzoooing ! – pour s’interposer entre ma proie et moi, telle une Hugo Lloris de la mode. C’est alors tout aussi systématiq­ue : je regrette l’époque bénie où je pouvais entrer dans un magasin sans me faire plaquer au sol par une dame au sourire plus large que les épaules, l’époque où j’avais 16 ans, des sweats XXL et l’air pauvre. Je n’ai pas l’air beaucoup plus riche aujourd’hui, mais c’est la crise, faute de grives, les vendeuses sautent sur des merles. Par ailleurs, je les soupçonne d’avoir pour consigne de me donner leur avis, coûte que coûte, dussent-elles ouvrir mon esprit avec un cric.

Elles sont sournoises

Il y a d’abord la vendeuse fausse bonne copine, celle qui a des coeurs dans les yeux quand elle me voit franchir le seuil. Je lui grince un sourire, et j’essaie de la feinter en la contournan­t par le rayon accessoire­s, hélas, la VFBC est agile, et me harponne avec une paire de sandales que je n’avais pas encore, pas dans ce noir-là en tout cas : « Elles vous iraient tellement bien, et puis vous n’avez rien à mettre avec la jupe que vous avez achetée la semaine dernière ! » C’est vexant, mais elle a raison. Il faut bien que le patron de Zara vive, pauvre homme. Il y a aussi la vendeuse glaciale, que je surnomme affectueus­ement Picard. J’ai beau la voir plus souvent que Marni – ma mère, donc –, elle me regarde toujours comme si j’étais responsabl­e du trou dans la couche d’ozone. Au bout de cinq minutes qui durent cinq jours, le pont-levis de sa bouche finit par s’ouvrir et elle me demande : « Vous désirez quelque chose ? » Si je ne désire pas, j’ai peur qu’elle appelle la sécurité, alors je désire : c’est plus prudent. Puis il y a la maman de substituti­on, la vendeuse qui me ferait presque avaler des épinards et le numéro de son fils – heureuseme­nt, je suis très ferme avec les vendeuses. Je veux un jean ? La maman de substituti­on me conseille de prendre plutôt une robe, « c’est plus féminin, et puis les hommes préfèrent » (comment saitelle que je suis célibatair­e ?). Je veux un tee- shirt imprimé Bob l’éponge ? Elle m’oriente vers une blouse à col lavallière, « au bureau, ça fait plus sérieux » (comment sait-elle que ma nouvelle boss me prend toujours pour la stagiaire ?). Alors je fais comme avec ma mère : je la laisse faire pour avoir la paix, en me jurant que c’est la dernière fois. LOL, fait mon inconscien­t.

Elles sont “ils”

Mais les vendeuses les plus redoutable­s, ce sont les vendeurs. Ceux qui aiment les filles, auxquels j’achète tout ce qu’ils veulent parce qu’on ne sait jamais, et ceux qui aiment les filles mais de loin, auxquels j’achète tout ce qu’ils veulent parce qu’ils lisent dans mes pensées comme si j’avais un code-barres sur le front. En fait, je ferais bien du shopping sur internet. Sauf que le problème des magasins virtuels, c’est que personne ne s’occupe de moi.

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