Cosmopolitan (France)

… les compliment­s

- Par Fiona Schmidt

J’ai horreur qu’on me fasse des compliment­s. Mais j’ai encore plus

horreur qu’on ne m’en fasse pas. ans la vie, il y a deux types de personnes : celles qui sont gênées lorsqu’on leur fait des compliment­s. Et… les autres. Même Kanye West, dont l’ego a pourtant la taille d’un petit départemen­t français, a récemment déclaré qu’il ne savait pas recevoir les éloges – heureuseme­nt pour lui, il doit avoir du personnel pour ça. Voilà ce qu’il me faudrait, tiens : un receveur de compliment­s, qui les soupèse pour les évaluer, les classe dans le subconscie­nt, puis remercie l’interlocut­eur avant de passer à autre chose. Car je suis comme Kanye West : je ne sais jamais comment réagir quand on me kiffe en tête à tête.

Dans la famille compliment­s, je ne veux pas…

D’abord, les compliment­s, c’est un peu comme le Nutella : on fronce le nez, le doigt dans le pot, jusqu’à ce que les coutures, du jean ou de la frange, craquent. C’est le risque lorsqu’on s’adonne au binge compliment­s. Le principe est le même que le binge drinking anglo-saxon, qui consiste à avaler un maximum d’alcool en un minimum de temps pour être ivre à 20 h 30, et confit comme un canard à 23 heures. La seule différence ? En lieu et place de la traditionn­elle gueule de bois à sculpter des rames, on chope un melon tendance verger espagnol. Quand j’étais jeune, c’est-à-dire, encore plus jeune, genre foetus, j’aimais assez me pinter aux compliment­s, quitte à « melonner » sévère le lendemain : « C’est vrai que la courbe de mes yeux fait hyper bien le tour à ton coeur, chéri. » Mais avec l’âg…xpérience, je suis devenue esthète : j’ai appris à distinguer le compliment mérité de la flagorneri­e, l’éloge aigre-doux de l’élégie – la légion d’honneur du compliment, qu’on ne m’a pour ainsi dire jamais remise (pour l’instant). La flagorneri­e m’agace, je la chasse d’un revers de main mental. Le compliment aigre-doux, dont ma mère devrait déposer le brevet, me vexe. Dites-moi : « Tu es belle comme ça, avant tu étais trop maigre », et je me nourris de haricots vapeur pendant une semaine. Le compliment intéressé, l’une des spécialité­s de mon mec, m’amuse jaune : « Amour, toi qui as de si longues jambes, tu voudrais pas aller m’acheter “Le Canard” ? Tu vas au kiosque tellement mieux que moi… » Mais étrangemen­t, c’est toujours le compliment mérité que je reçois le plus mal. Par exemple, sans être un Nobel de cuisine, je taquine plutôt bien la casserole. Mais mes hôtes le reconnaiss­ent-ils à voix haute que je dégoupille aussitôt l’extincteur à ego : « Pffff, la caille en crapaudine et son tian de petits pois japonais, c’est la base, j’ai fait ça en cinq minutes ! » Et le compliment de s’écraser à mes pieds avec un bruit de verre brisé.

Pire que le compliment : l’absence de compliment

Mieux vaut toutefois ramasser les restes d’un compliment mal ficelé que d’en attendre un. Comme cette fois où, pour rompre avec mon dressing boyish-régressif composé à 99 % de pantalons d’homme et de tee-shirts imprimés Mickey, j’ai enfilé une robe, des talons hauts et du rouge à lèvres, avec la vague crainte que, d’émotion et de lubricité, le coeur de mon fiancé cale au milieu du salon. Pour ça, j’ai très vite été rassurée : il a levé les yeux de son « Canard », m’a toisée pendant cinq secondes qui m’ont paru durer une semaine, avant de souffler : « Tu trouves pas que le chauffe-eau fait un bruit bizarre, depuis deux jours ? » À choisir, entre deux maux, je préfère donc ne pas mériter un compliment que mériter un compliment qui reste coincé dans le cerveau de mon interlocut­eur.

l

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France