… les compliments
J’ai horreur qu’on me fasse des compliments. Mais j’ai encore plus
horreur qu’on ne m’en fasse pas. ans la vie, il y a deux types de personnes : celles qui sont gênées lorsqu’on leur fait des compliments. Et… les autres. Même Kanye West, dont l’ego a pourtant la taille d’un petit département français, a récemment déclaré qu’il ne savait pas recevoir les éloges – heureusement pour lui, il doit avoir du personnel pour ça. Voilà ce qu’il me faudrait, tiens : un receveur de compliments, qui les soupèse pour les évaluer, les classe dans le subconscient, puis remercie l’interlocuteur avant de passer à autre chose. Car je suis comme Kanye West : je ne sais jamais comment réagir quand on me kiffe en tête à tête.
Dans la famille compliments, je ne veux pas…
D’abord, les compliments, c’est un peu comme le Nutella : on fronce le nez, le doigt dans le pot, jusqu’à ce que les coutures, du jean ou de la frange, craquent. C’est le risque lorsqu’on s’adonne au binge compliments. Le principe est le même que le binge drinking anglo-saxon, qui consiste à avaler un maximum d’alcool en un minimum de temps pour être ivre à 20 h 30, et confit comme un canard à 23 heures. La seule différence ? En lieu et place de la traditionnelle gueule de bois à sculpter des rames, on chope un melon tendance verger espagnol. Quand j’étais jeune, c’est-à-dire, encore plus jeune, genre foetus, j’aimais assez me pinter aux compliments, quitte à « melonner » sévère le lendemain : « C’est vrai que la courbe de mes yeux fait hyper bien le tour à ton coeur, chéri. » Mais avec l’âg…xpérience, je suis devenue esthète : j’ai appris à distinguer le compliment mérité de la flagornerie, l’éloge aigre-doux de l’élégie – la légion d’honneur du compliment, qu’on ne m’a pour ainsi dire jamais remise (pour l’instant). La flagornerie m’agace, je la chasse d’un revers de main mental. Le compliment aigre-doux, dont ma mère devrait déposer le brevet, me vexe. Dites-moi : « Tu es belle comme ça, avant tu étais trop maigre », et je me nourris de haricots vapeur pendant une semaine. Le compliment intéressé, l’une des spécialités de mon mec, m’amuse jaune : « Amour, toi qui as de si longues jambes, tu voudrais pas aller m’acheter “Le Canard” ? Tu vas au kiosque tellement mieux que moi… » Mais étrangement, c’est toujours le compliment mérité que je reçois le plus mal. Par exemple, sans être un Nobel de cuisine, je taquine plutôt bien la casserole. Mais mes hôtes le reconnaissent-ils à voix haute que je dégoupille aussitôt l’extincteur à ego : « Pffff, la caille en crapaudine et son tian de petits pois japonais, c’est la base, j’ai fait ça en cinq minutes ! » Et le compliment de s’écraser à mes pieds avec un bruit de verre brisé.
Pire que le compliment : l’absence de compliment
Mieux vaut toutefois ramasser les restes d’un compliment mal ficelé que d’en attendre un. Comme cette fois où, pour rompre avec mon dressing boyish-régressif composé à 99 % de pantalons d’homme et de tee-shirts imprimés Mickey, j’ai enfilé une robe, des talons hauts et du rouge à lèvres, avec la vague crainte que, d’émotion et de lubricité, le coeur de mon fiancé cale au milieu du salon. Pour ça, j’ai très vite été rassurée : il a levé les yeux de son « Canard », m’a toisée pendant cinq secondes qui m’ont paru durer une semaine, avant de souffler : « Tu trouves pas que le chauffe-eau fait un bruit bizarre, depuis deux jours ? » À choisir, entre deux maux, je préfère donc ne pas mériter un compliment que mériter un compliment qui reste coincé dans le cerveau de mon interlocuteur.
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