Cosmopolitan (France)

... MON NOUVEL APPART

Queen in the castle.

- Par Mathilde Effosse

Depuis un mois, je ne pense qu’à son appel, je me retiens de lui envoyer des textos… 18 h 30, son nom s’affiche enfin sur mon portable. Allô ? « C’est oui. » Le plus beau « oui » que j’aie jamais entendu. Il est signé Clémence, mon agent immobilier. Envoyez les paraphes. Après avoir trinqué en l’honneur de la signature du bail, des nouvelles clés, et de la date d’emménageme­nt, c’est l’heure des cartons. Un moment périlleux pour toute personne qui, comme moi, imprègne chaque objet d’une valeur sentimenta­le indestruct­ible : je me retrouve le bras tendu entre la poubelle et le carton « Divers », comme une écolo extrémiste qui hésite entre arracher une mauvaise herbe ou la laisser envahir le jardin. Deux heures de choix déchirants plus tard, je checke les sites de déco. Mon nouvel appart, je l’ai déjà en tête. Enfin, à peu près : je le veux minimalist­e-design-végétal option coussins doux partout. Avec cette bougie. Et ce cadre. Et ce vase en forme de montgolfiè­re. Bienvenue chez moi. Après avoir libéré mon deux-pièces des murs de boîtes qui l’encombraie­nt (Indiana Jones et sa machette ne peuvent pas rivaliser avec ma traversée de la jungle cartonnée à coups de ciseaux), je passe enfin à la déco. Et c’est le drame : ma frénésie m’a légué des vases, plantes et tableaux certes hype individuel­lement, mais là, on dirait que je squatte un souk. J’ai l’impression de décorer un sapin de Noël en piochant de vieilles boules dépareillé­es, calculant mon coup pour qu’elles ne soient ni trop proches ni trop linéaires. 19 heures, je meurs de faim : hop, chez le jap d’en bas. Et c’est au moment précis où je mange ma soupe miso seule sur un canap à moitié monté, le regard glissant en pilote automatiqu­e le long du salon, que je réalise que ça y est, j’ai emménagé. Que je n’ai ni télé ni wifi. Et que je m’emmerde. Il y a bien mon chat, mais le changement de décor l’a désorienté et il est planqué sous mon lit. Pendant les vingt-quatre heures qu’il y a passé, j’ai détesté mon appart, fait dix allers-retours au café internet du coin pour googliser « SOS chat déménageme­nt »… Je me suis même vue frapper à la porte de mon ancien appart, Izi sous le bras, et supplier les nouveaux locataires de l’adopter. Le moment où le félin a enfin sorti sa truffe est dans le top 4 des plus beaux de ma vie (avec le concert de Céline Dion, la découverte de la pizza kebab et le divorce de mon ex).

Le grand départ L’arrivée

Les jours suivants, je réalise que j’ai zappé des trucs hyper importants. Comme le disait Saint-Exupéry, qui faisait certaineme­nt allusion à ce genre de problème : « L’essentiel est invisible pour les yeux. » Au fur et à mesure que je m’en rends compte, je liste : poubelle… clous… tabourets… frigo. Il y a quand même quelque chose qui me turlupine : je n’ai jamais croisé un seul voisin. D’un côté, c’est une loi à laquelle on ne peut pas échapper : on n’en rencontre jamais avant de faire son ménage en string les rideaux ouverts, ou de rentrer de soirée les escarpins sur la tête. D’ailleurs, qui dit nouvel appart dit pendaison de crémaillèr­e. Mais j’ai à peine fini de m’installer, le canap est neuf et j’ai peur qu’un petit four trop guilleret ne perturbe mon nirvana. Alors je donne rendez-vous au café d’en bas, et je fais monter les copains deux par deux. À la troisième montée des cinq étages sans ascenseur, je respire comme un boeuf asthmatiqu­e et les cocktails n’arrangent pas mon ascension. Réflexe d’escaladeus­e alcoolisée : je tombe le haut et grimpe à quatre pattes. Ça va vachement plus vite, dis. « Bonjour ? » Un homme me regarde bizarremen­t, la main sur la poignée voisine de la mienne. Ah ! Qu’est-ce que je vous disais.

Le début

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