ÉCOUTER SON INTUITION
En général, pour prendre une décision, je réfléchis puis j’écoute les copines, mon fiancé, ma mère, mon chef, la vendeuse. Ou alors je fais le premier truc qui me passe par la tête.
En général, pour prendre une décision, je réfléchis puis j’écoute les copines, mon fiancé, ma mère, mon chef, la vendeuse. Ou alors je fais le premier truc qui me passe par la tête. Par Sophie Hénaff.
Lorsque je prends une décision sans réfléchir, c’est en fait mon intuition qui me guide. Cette certitude, fondée apparemment sur rien, qui me dit : « Cet homme est fiable, en plus d’être drôle », « Ce boulot mérite une mutation à Avignon », ou « Cette idée, elle déchire, faut que je m’accroche ». Mais si l’intuition est un guide plutôt fiable, et que la suivre me garantit une existence en phase avec mes aspirations, elle recèle aussi des pièges. Parce que lorsqu’une petite voix au fond de moi me jure que je suis la prochaine Beyoncé, bats-toi ma fille, chante et tente ta chance jusqu’à la retraite, peutêtre que je devrais plutôt écouter le prof qui me jure que je ne sais pas distinguer le do du mi et que, à l’écoute, ça heurte un peu. En fait, « Ça, ce n’est pas de l’intuition, il s’agit d’une projection », diront les spécialistes du phénomène. Oh là, ça se complique… Je m’y retrouve comment alors ? Voilà quelques outils.
L’intuition, ça s’explique
Ce qui m’a aidée à voir que ce type était fiable en plus d’être drôle, c’est un ensemble de signes très concrets. Que mon conscient n’a pas le temps d’enregistrer parce qu’il est occupé à se demander si ce type est vraiment canon, mais que mon « inconscience d’adaptabilité » comme on l’appelle parfois a remarqué et répertorié : le type
me regarde dans les yeux au lieu du décolleté, ses micro-expressions sont celles de la sincérité, etc. Mon intuition, c’est la voix d’un cerveau souterrain, qui enregistre des sensations, qui va éventuellement fouiller dans la mémoire des situations similaires, puis qui en tire des conclusions et me les communique en une seconde avec zéro raisonnement dedans. Analyse éclair, sans explications, débrouille-toi avec ce que je te donne et agis. Cette foule d’informations captées dans une scène en une fraction de seconde, c’est le balayage superficiel. Donc : J’écoute mon corps ! Si je suis mal à l’aise, si j’ai l’estomac qui se noue, c’est mauvais signe. Les plus intuitifs sont ceux qui ont le mieux développé leur capacité sensorielle.
L’intuition, c’est se faire confiance
« Je l’aime pas cet appart, je l’aime pas ! » Il a tout pourtant, il correspond à l’annonce, sa chambre, son salon, sa cuisine, son loyer dans mon budget. Mais je ne me sens pas bien dedans. Alors inutile de lister ses avantages, si je ne suis pas bien dedans aujourd’hui, je n’y serai jamais, et en plus je me serai tapé un déménagement à douze billions. En réalité, ce que mon conscient n’a pas perçu, mais que le balayage superficiel a noté, c’est le manque de lumière, ou le recoin avant la porte d’entrée qui me colle l’alarme du cerveau reptilien à fond la caisse, ou les traces bizarres sur le parquet à cause du triple meurtre de l’an dernier. Cet appartement, il n’est pas dessiné pour ma sensation de confort, et ça, je ne saurais pas l’expliquer mais j’en suis pourtant sûre. Alors, j’attends plutôt le coup de foudre et l’envie irrépressible de jeter mes plaids et mes coussins dans ce coin-là, près de la fenêtre. Car plus on réfléchit, plus on se trompe. Plusieurs études ont été menées avec des confitures ou des sodas : un groupe devait simplement classer les produits par ordre de préférence, le deuxième groupe devait les classer et argumenter. Quand on les interrogeait à nouveau une heure plus tard, le groupe qui s’était fié à son intuition s’en tenait à la première version, alors que les
autres ne retrouvaient plus rien et avaient changé d’avis. Se justifier les avait perturbés. Donc : J’impose mon intuition et je la suis. Quitte à prendre des risques, à sortir du rang, à me boucher les oreilles… Ce ne sera que bonus : le plus de l’intelligence intuitive, c’est quand même de contribuer à mon bonheur. Pas de me pousser droit dans le mur.
L’intuition, c’est un talent…
« Qu’il faut savoir utiliser et développer », certifie Malcolm Gladwell dans son livre « La Force de l’intuition ». Tout le monde en a, mais disons que certains savent mieux s’en servir. Prenons Thomas Hoving, grand historien de l’art, qui s’occupait des acquisitions au Metropolitan de New York. Pour déterminer l’authenticité d’une oeuvre, au lieu de se fier à ses connaissances, il suivait sa première impression. Mais pour que ça marche, il fallait qu’on jette un tissu sur les toiles et qu’on les découvre au moment où il entrait dans la pièce, car son intuition ne fonctionnait que sous l’effet de la surprise. Donc : Je ne mets pas mon intuition sous le joug de la réflexion. Pour que ça fonctionne, je dois m’écouter. Et si je me suis trompée ? J’en tire les mêmes conclusions que si j’avais choisi après mûre réflexion : l’erreur est humaine.
L’intuition, ça se travaille
Ni sixième sens magique, ni don réservé à quelques voyantes, l’intuition est une faculté à la portée de tous. Pour la titiller, je fais cet exercice de visualisation. Je m’imagine juste avant de rentrer chez moi : je m’essuie les pieds sur le paillasson qui crisse, je cherche ma clé dans mon sac… soudain la porte s’ouvre. Et là je visualise la personne que j’ai envie de voir. Mon amoureux ? Ryan Gosling ? Un autre homme, que je ne connais pas encore ? Un chat ? La bonne réponse est celle qui m’aura provoqué une sensation de bien-être. Donc : Pour solliciter mon intuition, je fais cet exercice de visualisation. Intuitivement, j’aurai alors « ressenti » ce qui est bon pour moi.
L’intuition, ça se maîtrise
Le problème de l’intuition, c’est qu’elle va se loger dans une zone réflexe, au même endroit que les préjugés, les peurs et le conditionnement. Autant dire tout près du n’importe quoi. Si j’ai systématiquement l’intuition que je vais mourir étouffée dans d’atroces souffrances quand je prends l’ascenseur, c’est que je suis claustrophobe, pas surdouée de l’instinct. Quand un lendemain de fête, mon corps me réclame des légumes, mais que je pose un steak sur mon plateau à la cantine, c’est que je suis conditionnée : quoi qu’il arrive je construis mon menu autour de la protéine animale, même si ça me fait du tort. Si, entre deux conseillers au Leroy Merlin, j’ai tendance à me diriger vers l’homme plutôt que la femme, vers le Blanc plutôt que le Noir, c’est à cause de préjugés sexistes et racistes inconscients. Pareil au boulot, si j’ai l’intuition qu’avec la nouvelle cheffe, ça ne va pas fonctionner, je prends le temps de me demander si le fait qu’elle porte les mêmes lunettes que la peste qui m’a embrouillée en sixième ne joue pas un peu. Donc : Je me débarrasse en toute conscience de mes préjugés et de mes conditionnements. Oui, c’est un long entraînement. Mais ça en vaut vraiment la peine.