Cosmopolitan (France)

... MES LIKES

Si la taille ne compte pas, quid du nombre de likes ?

- Par Fiona Schmidt

aAu lycée, je ne faisais partie ni des élèves populaires ni de l’essaim de leurs courtisans. Dans un teen movie, j’aurais joué la gothique à rouge à lèvres prune que les autres craignent un peu sans oser la bousculer : je séchais la gym, je me coupais les cheveux moi-même, je me maquillais comme un CV d’assistant parlementa­ire et mon esprit était déjà plus rempli que mon soutien-gorge. Ma photo de profil aurait scoré quoi, 12 likes maximum, en comptant celui de ma mère. J’aurais pu poursuivre ma carrière de punk de centre gauche si le doigt du destin, ou plutôt le pouce de Mark Zuckerberg, ne m’avait tapé sur l’épaule : « Eh, tu sais qu’un LOL cat et une duck face bien filtrée pourraient changer la face (book) de ta vie sociale ? »

Like addict

Il y a des gens, c’est le tabac, le casino ou Zara, moi, c’est les likes (et un peu Zara aussi). À l’instar de la dinde qui, le soir du 23 décembre, se répète : « Ça va aller, mais si, ça va aller ! », j’aimerais pouvoir me convaincre à chaque fois que je poste une photo ou un statut particuliè­rement spirituel que je me fiche du nombre de likes qu’ils vont récolter, mais je me mentirais – or je me mens très mal, je me gaule à chaque fois. La vérité, c’est que je reste en faction derrière mon écran, la truffe humide et la patte relevée pour rafraîchir la page toutes les 3 secondes. Vous savez, l’angoisse du gladiateur dans l’arène en attendant que César lève son pouce ? La même, deux fois par jour multipliée par deux (Facebook + Instagram : j’ai arrêté Twitter pour pouvoir continuer de travailler et d’avoir une vie sociale avec les gens que je connais IRL*). Pour me faciliter la vie et retrouver un peu de sérénité, j’ai établi quelques règles arithmétiq­ues très simples. Comme au Scrabble, certains likes comptent double, voire triple : un(e) inconnu(e) compte double car son like est désintéres­sé, contrairem­ent au like d’une cousine que l’on peut légitimeme­nt soupçonner d’avoir un service à nous demander, ou quelque chose à se faire pardonner. Le like de la famille proche compte ainsi pour 0, comme le like d’un(e) collègue-collègue (le like d’une collègue-copine compte 1, comme le like d’un ami dont le rôle est de liker tous nos posts, même les moins bien filtrés). Le like d’un ex compte -1, voire -2 s’il a gardé le canapé qui nous appartenai­t, le like d’un semi-people (barman beau gosse, ex-camarade de classe ayant monté une start-up de cookies vegan, etc.) compte 2, le like d’un people authentiqu­e peut carrément doubler la mise. Ainsi l’autre jour, un selfie que j’avais mis à peine 40 minutes à retoucher a été liké-coeur par mon écrivain français favori : 100 likes d’un coup, j’avais l’impression d’avoir reçu le Goncourt de la popularité.

Régime like

Et puis il y a les likes qu’on donne. Avant, on était ce que l’on mangeait. Aujourd’hui, on est ce qu’on like, d’où l’importance de liker équilibré, en veillant aux proportion­s : éviter les trop opportunis­tes (à son boss, à la grand-mère la veille de notre anniversai­re…), les diplomates à notre BFF qui met le doigt devant l’objectif et ne sait toujours pas utiliser les hashtags, ceux d’adhésion, et on limite aussi le nombre de likes nocturnes, car c’est pendant la nuit que l’on stocke (et que l’on regrette le lendemain d’avoir mis un emoji-colère à la photo de mariage de notre ex). En bref, le levage de pouce virtuel est à la deuxième moitié des années 2010 ce que la révérence était à la fin du xviie siècle… dans un mouvement inversé, et moins douloureux pour les lombaires. Dans les deux cas, la cour des grands ressemble à s’y méprendre à une cour d’école.

* In Real Life (Dans la vraie vie).

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