... LE SURVÊTEMENT
Si ce n’est ni pour transpirer ni pour traîner, ne me dites quand même pas que c’est pour faire joli. Si ?
j’ai toujours essayé de suivre la tendance à hauteur de mes moyens. Mais je constate une vilaine récurrence : la mode adore me contredire. Dès que je trouve un truc moche, les créateurs s’arrangent pour le faire défiler sur tous les podiums. Du coup, je suis obligée d’aimer. J’arrive même à me convaincre que si, si, j’adore. Évidemment, quand Jean Paul Gaultier colle deux cônes géants sur les seins de Madonna, là, je réfléchis. Pour se pointer comme ça au bureau, faut bien faire gaffe à n’embrocher personne, et compter un peu sur l’humour de la hiérarchie. Aujourd’hui, rebelote. Véritable emblème de la culture streetwear, la tendance est au survêtement. Moi, j’ai toujours pensé que le jogging, c’était soit pour les sportifs, soit pour les dimanches. Et comme je ne suis pas du tout influençable, c’est décidé, j’en veux un ! Le hic, c’est que ça me met un chouïa mal à l’aise vis-à-vis de Bichon. Après lui avoir crié dessus de s’habiller convenablement parce que, désolée, mais pour un resto en public et pas en livraison, c’est moyen approprié, le pauvre est complètement déboussolé. Sois soulagé, tu peux faire pomme Z et oublier tout ce que je t’ai reproché. Je ne te croyais pas quand tu m’expliquais que ça pouvait être stylé, mais là, si c’est la mode qui le dit…
Il faut savoir le choisir
Attention à ne pas s’emballer pour autant. Détourner une fringue et réussir à faire oublier son côté transpirant, c’est pas fastoche. Premièrement, j’ai tout intérêt à ne pas récupérer mon ancien jog’ du lycée, celui que j’utilisais pour faire trois tours de piste d’athlé en me tenant les côtes. Il faut dire qu’il est au format pantacourt, avec une poche au-dessus des fesses, prétendument pratique pour glisser ses clés (faux et archifaux, ça pique le postérieur à chaque foulée). Porter ce genre de chose, même avec la meilleure volonté stylistique du monde, c’est perdu d’avance. Mieux vaut investir dans un tout beau, tout neuf. Mais hors de question de faire son shopping dans les enseignes spécialisées type Decathlon ou Go Sport. Ah non, non, leur design est beaucoup trop « sportif », justement. Moi, mon but, c’est seulement de créer l’illusion, pas d’investir dans des leggings à régulateur thermique. Je veux me faire passer pour une sportive, d’accord, mais de préférence une sportive propre et agréable à regarder. Pour ce faire, la mode préconise un survêtement étonnamment sobre, tout noir avec des bandes latérales blanches ou alors très colorées. Pas de surprise, ça se termine en double-clic sur Asos.
Il faut savoir le porter
Une fois le jogging en main, reste à tricoter le look autour pour « l’urbaniser », comme disent les gens pointus. Naïvement, je pensais que survêt rimait avec décontracté. Une forme de récompense que la mode m’accorderait après des années de labeur et d’ampoules aux pieds. Peanuts ! À écouter les tendanceurs, pour faire coller le jogging à l’espace citadin, c’est quand même plus sympa de l’agrémenter d’une paire d’escarpins. Et aussi d’un top en dentelle. Alors, parce que je n’ai pas payé pour des clous, je tente l’expérience. Impossible de nier l’évidence : je ressemble à une piètre version de Griezmann sur pilotis. Reste plus qu’à déballer mon excuse de secours : « Toute façon, ça rend toujours mieux sur le mannequin. »