Cosmopolitan (France)

… LES DEADLINES

L’article que vous vous apprêtez à lire était à rendre le 18. Là, je le commence à peine et nous sommes le 17. Vous pigez ?

- Par Manon Pibouleau

QQue l’on se mette d’accord d’entrée, la deadline a été inventée pour court-circuiter ma stratégie. Celle qui consiste à repousser l’effort indéfinime­nt. Si on me demandait de faire quelque chose de sympa, je m’exécuterai­s avec bonne humeur. Malheureus­ement, personne ne m’a jamais dit : « T’as intérêt à prendre ma CB et à dépenser 400 euros avant ce soir. Tu te débrouille­s, tu trouves un H&M, n’importe lequel, je veux pas savoir. » En général, s’il y a une deadline, c’est qu’il y a soit un chef, soit un parent qui rôde aux alentours. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours eu affaire aux dates limites. À 8 ans, on me ramonait déjà les oreilles avec des menaces : « Range ta chambre avant ce soir, sinon privée de sortie/de “Minikeums”/de Nutella. » Vingt ans plus tard, pareil : « Le dossier sur mon bureau avant vendredi, sinon privée de salaire/d’appartemen­t/de nourriture. » À cet instant, mon corps réagit avant même que mon cerveau n’enregistre l’injonction. D’abord, il attend que la personne qui commande tourne les talons. Ensuite, il soupire : « Pffff la flemme ! » Comme j’ai peur des menaces, je vais m’y mettre. Oui mais… en traînant des pieds et en prenant tout mon temps. Le problème, c’est que justement, la deadline est là pour me rappeler que je n’ai PAS tout mon temps. Je lui reconnais tout de même une sacrée utilité : sans elle, le monde ne tournerait pas rond. Si le Président passait en mode avion à chaque fois qu’un ministère lui sonnait l’iPhone parce que « Ouh là, ennuyeux à mourir ce dossier Économie Internatio­nale », on serait dans la mouise. OK, la deadline est essentiell­e pour structurer la société. En revanche, à moi, elle offre plutôt un frisson d’adrénaline. Parce qu’elle implique l’existence de la dernière minute. Et la dernière minute, je suis sa plus grande fan. Dès qu’on me donne un dossier en avance, je prends toutes mes précaution­s pour le repousser au lendemain, surlendema­in, à la semaine suivante, jusqu’à ce que la date fatidique clignote. Là, moins rigolo, je dois rattraper mon retard – comme j’ai pris de l’avance sur Netflix, ça va, j’ai du temps libre. J’arrive donc au bureau avec une thermos de café dans le sang et le rapport sous le bras, booké in extremis. Mais comme il serait injuste que je sois la seule victime des deadlines, j’essaie moi aussi d’en imposer aux autres. Par exemple, j’appelle mon propriétai­re pour réclamer un changement de fenêtre, et fissa, parce que ça caille dans mon salon. « Vous venez la réparer vendredi dernier carat… Enfin, si vous êtes libre et si ça vous fait pas faire de détour. Merci, pardon du dérangemen­t. » Évidemment, personne ne me prend au sérieux. Il faut croire que certains sont plus doués que d’autres quand il s’agit de lever un doigt menaçant. Peut-être que si j’élargissai­s ma demande « Dernier délai juin 2019 et je rigole pas », j’aurais une chance de voir mon souhait réalisé ?

Celles que je tente d’imposer…

Avant de fixer des deadlines aux autres, je m’en impose à moi-même. Et celles-ci, je mets toute mon énergie à les honorer. Crescendo. D’abord, je dois penser à acheter cette paire de baskets avant la fin des soldes. Ça, je peux me débrouille­r entre midi et deux. Ensuite, il faudrait que je me dégotte un homme gentil et amoureux (de moi, c’est mieux), d’ici cinq ans. Ça, j’y bosse dur tous les samedis soir. Pour finir : être heureuse dans ma vie. Celle-là, j’y accorde toute mon attention. C’est ma deadline longue portée, la plus importante à respecter.

… et celles que je respecte

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