LES NOUVELLES FAÇONS DE DRAGUER APRÈS #METOO
VOILÀ QU’ON A REBATTU LES CARTES DE LA SÉDUCTION, ET ON S’EN RÉJOUIT. MAIS MAINTENANT, COMMENT SE PÉCHO EN L’AN 1 APRÈS HARVEY WEINSTEIN ? QUELQUES SUGGESTIONS.
Voilà qu’on a rebattu les cartes de la séduction, et on s’en réjouit. Maintenant, comment se pécho en l’an 1 après Harvey Weinstein ? Quelques suggestions. Par Fiona Schmidt.
LE PREMIER PAS Avant #MeToo. Évidemment qu’il y a toujours eu, à toutes les époques, des amazones intrépides pour faire le premier pas, et le deuxième et les suivants. Mais, ça me fait mal au girl power de l’admettre, la plupart des filles attendaient que la plupart des gars se cognent le premier pas, parce que les filles, c’était réservé et sage, ça croisait les jambes en battant tendrement des cils pour que les garçons viennent les décoiffer, parce que les filles qui
faisaient autrement, ça s’appelait pas des filles, ça s’appelait des garçons. Et souvent, ça s’appelait pire.
En 2018. Notre empowerment tout neuf nous permet désormais de dégainer le regard de braise la première mais surtout, de fixer le tempo. Car notre nouvelle audace consiste non pas à reproduire les abordages sauvages qu’on a subis par le passé mais à courtiser un homme de la façon dont nous, on aimerait être courtisée. Et pourquoi pas avec délicatesse ? La délicatesse est très #MeToo, very 2018 : n’hésitons donc pas à en abuser.
LA COMMUNICATION VERBALE
Avant #MeToo. Que dire, que raconter à quelqu’un qu’on ne connaît pas pour qu’il/ elle ait envie de nous connaître ? Quels sujets de conversation aborder pour paraître à la fois spirituel, sensible et original, et attirer l’autre vers les aspects les plus séduisants de notre personnalité, voire un lit ? Ces questions
53% des Françaises disent avoir été victimes d’agression et/ou d’agression sexuelle. . .
...(attouchements, propos déplacés, insultes. . . ) contre 3% des Français. 91% des Français.e.s estiment que le problème du harcèlement sexuel est important.
vertigineuses nourrissaient les angoisses des apprentis amoureux et des chapitres entiers de guides consacrés à la séduction dans lesquels on conseillait généralement aux hommes d’être drôles et pleins d’assurance. Et aux femmes audacieuses d’être pas trop drôles et de la boucler (je résume à la tractopelle, mais c’était l’idée de base). En 2018. Le coup d’être mystérieuse, donc mutique, pour séduire un homme a vécu, désormais on n’hésite plus à lui filer quelques infos sur nos goûts et nos passions, voire à le faire rire : l’humour féminin est officiellement compatible avec le sex-appeal, et les hommes qui pensent le contraire n’ont qu’à rester célibataires. On peut regarder un homme dans les yeux, et lui dire qu’il nous plaît, sans risquer le scandale. Peut-il toujours nous regarder droit dans les yeux et nous dire qu’on lui plaît ? Oui. Nous sommes des êtres adultes et consentants, prêt.e.s à faire le premier pas tout en sachant où on met les pieds.
LA COMMUNICATION NON VERBALE Avant #MeToo. Un jour, un homme a dit à un autre que les filles adoraient qu’on les touche pour créer le contact et allumer le moteur, un peu comme si on était des Twingo mais avec des seins. Alors de génération en génération, les garçons se refilaient ce tuyau percé : et vas-y que je t’effleure le bras quand je te parle, que je te passe la main dans le dos et sa proche banlieue, vas-y que je te tripote les cheveux, vas-y que je te propose un massage et que je me comporte avec ton corps comme un enfant de 5 ans avec une boîte de Kinder à la caisse du supermarché. Nous nous raidissions alors en général comme des gressins, certaines tapaient plus ou moins métaphoriquement sur la main du malotru, mais la majorité souriaient nerveusement, voire prenaient ces gestes déplacés pour des compliments qu’ils n’étaient pas. Et le malentendu perdurait. En 2018. Rares sont désormais les hommes qui brament : « Ben alors, t’as pas d’humour ? ! » après nous avoir demandé : « Dis camion ! », preuve qu’après 1,8 million d’années et l’affaire Weinstein, certains mecs se sont enfin aperçus qu’il n’y avait pas écrit « self-service » sur notre front. Profitons que la plupart d’entre eux (pas tous hélas) gardent sagement leurs mains dans les poches pour rétablir l’eye contact, cette bonne vieille méthode de drague qui consiste à toucher l’autre avec les yeux, de préférence dans une zone comprise entre la racine des cheveux et les clavicules. Plus bas, le regard a les mains qui poussent et ça chatouille désagréablement.
LA COMMUNICATION 2.0 Avant #MeToo. C’était à l’homme de demander à la femme son 06, selon une règle tacite et absurde édictée par une source anonyme et réac. C’était en général à lui aussi de solliciter notre amitié sur Facebook et de nous suivre le premier sur Twitter, Instagram et Snapchat, ce qui ne nous empêchait évidemment pas de le stalker à peine il avait le dos tourné. C’était enfin à lui d’envoyer le premier message, et s’il ne le faisait pas, on finissait par lui envoyer un texto aviné et paranoïaque à 1 h 47 du matin auquel il répondait encore moins. Résultat, on sautait sur notre smartphone à la moindre notification comme un lapin sur une carotte et on tombait régulièrement nez à nez (enfin, nez…) avec la photo d’un pénis non identifié et surtout non désiré mais visiblement content de nous voir. En 2018. Les règles de savoir-vivre sur les réseaux sociaux évoluant à la vitesse de la lumière, on se garde de les suivre sous peine d’attraper un point de côté au cerveau. On résiste à la tentation de passer deux heures à décortiquer les raisons pour lesquelles il a liké la photo de notre chat mais pas notre dernier selfie, et on simplifie les choses. Il nous plaît, on lui demande son 06 : simple. Il nous plaît, il nous demande notre 06, on ne passe pas deux ans à se demander si c’est bien féministe de répondre à cette requête patriarcale et on le lui donne : basique. Évidemment, pas plus qu’en 2017 on ne lui envoie des photos intimes, même si on assume à mort notre corps et notre féminité.
L’OOTD (OUTFIT OF THE DRAGUE) Avant #MeToo. Bizarrement, son OOTD à lui n’avait jamais aucune connotation sexuelle. Notre cerveau reptilien ne criait pas : « À TAAAAAAABLE ! » parce qu’il avait enfilé son tee-shirt le plus repassé et mis du parfum cher.
En revanche, notre tenue à nous envoyait systématiquement une notification au cerveau reptilien d’un homme : en gros, si on avait plus de couches sur le visage que sur le corps, ça signifiait qu’on était prête à passer la seconde partie de soirée avec lui. A contrario, si on était plus habillée du bas que du visage, il avait de grandes chances de rester dans la friendzone. Bref, l’habit faisait grave le moine – et en l’occurrence, la nonne.
En 2018. On voudrait pouvoir dire aux lectrices de Cosmo de s’habiller exactement comme elles en ont envie, quelles que soient la météo, la région où elles habitent, l’heure à laquelle elles sortent, leurs caractéristiques physiques et leur humeur. Hélas, le corps des femmes et la façon dont elles le couvrent ou le découvrent restent un enjeu politique et social majeur qu’il nous appartient à toutes à notre niveau de faire évoluer dans le bon sens : celui de la tolérance. D’ici là, on compte très fort sur les parents des générations futures pour enfin enseigner à leurs fils qu’une jupe, même courte, même très courte, n’est en aucun cas une invitation à glisser une main dessous, sauf si sa propriétaire en exprime explicitement le souhait.
LA CONFIANCE EN SOI
Avant #MeToo. C’était surtout un truc de bonhomme, et c’était mieux que les filles n’en aient pas trop – un peu comme les poils, les idées tranchées ou les ex. La confiance en soi était donc un synonyme de virilité, d’épaules et d’opinions carrées, de situations professionnelle et économique stables, de menton qui pique et de voix de cor de chasse. Quant à nous, on (se) racontait qu’on adorait les gars maladroits et c’était vrai, sauf que ce n’était pas avec eux qu’on avait envie de coucher. Résultat, les garçons se sentaient obligés de cacher leurs doutes, leurs émotions, leurs peurs et leurs faiblesses derrière des attitudes de machos qu’on trouvait hyper sexy hashtag bad boy slash Johnny-Depp-avant-qu’il-neressemble-à-ma-concierge-en-pré-retraite.
En 2018. Dans « le Mythe de la virilité » (éd. Robert Laffont), Olivia Gazalé se réjouit de la déconstruction progressive du modèle de toute-puissance guerrière, religieuse, politique et sexuelle, et de la réinvention des masculinités, synonymes de progrès pour les hommes, les femmes et leurs relations sociales. En clair, bientôt, les hommes ne confondront plus confiance et crise d’ego ; bientôt, les femmes ne se sentiront plus attirées uniquement par des hommes qui les « protègent » parce qu’elles se protégeront toutes seules et les hommes trouveront ça super. Mieux : ils trouveront ça normal. Espérons juste que ce jour arrive avant qu’on enlève nos dents avant de dormir.
LE SEXE
Avant #MeToo. Depuis quelques années, le sexe avait pris un sérieux coup de tech : pour être excité.e cliquez ici, pour trouver un mec/ une meuf swipez là, téléchargez gratuitement huit nouvelles positions délire… On voyait tout, on montrait tout, on testait plein de choses qu’on ignorait désirer. On commandait un mec ou on se livrait à domicile en trois clics, comme une pizza. Les hommes devaient être hyper-performants, les filles chaudes comme une nuit d’été à Ibiza : tout plutôt que le sexe banal et consensuel, le missionnaire de centregauche, le cul Bisounours. Fallait pas qu’on s’ennuie, quitte à avoir un peu mal au corps et/ou à la conscience. Résultat, la zone grise, cette fameuse frontière entre le consentement explicite et l’agression sexuelle ne cessait de s’élargir sans qu’on s’en rende vraiment compte, la faute à un imaginaire érotique collectif nourri de pratiques extrêmes et violentes pour les femmes, entre YouPorn, « Cinquante Nuances de Grey » et le sexe intello version Saint-Germain-des-Prés (poke le Marquis de Sade, Catherine Millet et les autres). Se faire secouer dans tous les sens était culturel et donc normal, et l’on n’osait plus rêver d’un peu de tendresse de peur de passer pour une nunuche.
En 2018. Pour rétablir le sexe pleinement et bilatéralement consenti, on commence par réhabiliter le sexe vanille, confortable et sentimental, agréable et simple. À force de bosser son master de Domina, on en a oublié les bases du sexe et du plaisir : le contact d’une peau contre la nôtre, les caresses, l’échange, la délicatesse, la montée progressive du désir qui n’est pas une appli à télécharger en pressant là – surtout pas en pressant là, d’ailleurs. Osons découvrir un homme en profondeur plutôt que d’accumuler les coups d’un soir. Osons enfin dire « Non » pour que les hommes n’entendent plus « Oui ». Notre corps n’est pas un parc d’attractions, et ce n’est pas pour autant qu’on ne peut pas s’amuser avec : au contraire.