Cosmopolitan (France)

COUPLE : COMMENT GÉRER LES CHANGEMENT­S

Un couple sur un long fleuve tranquille, c’est déjà compliqué, mais sur un long fleuve en zigzag, c’est encore pire.

- Par Sophie Hénaff. Photo Chris Craymer.

Un couple sur un long fleuve tranquille, c’est déjà compliqué, mais sur un long fleuve en zigzag, c’est encore pire. Par Sophie Hénaff.

LLa cohabitati­on

Dans mon studio, j’avais choisi la déco, la fréquence du ménage, la répartitio­n de chaque clou et l’âge des joints de baignoire ; toutes mes étagères étaient dévolues à mes pulls, mes livres, mes céréales, mon foutoir. Et puis un jour, on emménage ensemble et il faut composer pour placer le canapé, choisir la marque de dentifrice et la couleur des rideaux. Je ne peux plus faire un mètre sans buter sur quelqu’un qui prend sa douche exactement à la même heure que moi, mais préférerai­t une laitue quand j’ai ramené des Knacki. En une seule décision, 100 % de mon quotidien – et du sien – bascule dans l’inconnu et la négociatio­n. Heureuseme­nt l’amour est là, l’amour nous porte, l’amour pardonne cette éponge reposée sans avoir été rincée. Mais pour combien de temps ? Ils ont trouvé leur solution : « Nous, on a décidé d’y aller progressiv­ement. En mettant en commun les loyers de nos deux studios, on pouvait louer un F3 dans le même quartier et avoir une chambre chacun. Comme ça, on garde tous les deux une pièce à notre image, on a un endroit privé où conserver un espace d’intimité. Et c’est finalement assez romantique de continuer à s’inviter chaque soir, mais sans trimballer les trousses de toilette et les vêtements de rechange. » Luna, 27 ans, et Sébastien, 32 ans

La mutation

Ce n’est pas enregistré à l’état civil, mais notre couple aussi a un lieu de naissance. On s’est rencontrés dans un bar, on a emménagé dans une rue, nos familles vivent dans le quartier et nos amis dans les environs. Les commerces, la météo et le temps de trajet pour rejoindre la mer : tout, on connaît tout, ensemble, depuis

le début. Et puis, un matin, Chapi est muté à 600 kilomètres et Chapo ne sait pas s’il faut suivre, parfois abandonner sa propre carrière, et s’arracher à son environnem­ent naturel pour un nouveau départ à deux avec appel de l’aventure et globules frais. Ou si on se fait le coup de l’amour à distance, avec le risque de prendre l’épée de Damoclès sur la tronche. Ils ont trouvé leur solution : « On s’est connus à Bordeaux, ville où l’un comme l’autre nous avions toujours vécu. C’est là qu’on avait fait nos études, décroché nos premiers jobs, là qu’on avait nos familles et nos amis. Quand Kamal a été muté à Nantes, comme je bossais en freelance, j’ai suivi. On a débarqué en juillet et c’était magique : une aventure, rien qu’à nous cette fois. On se créait une nouvelle base. On a pris le temps d’emménager, de découvrir la ville, dans une ambiance un peu vacances. Et puis septembre est arrivé. Pour Kamal, le planning s’est chargé, il rentrait de plus en plus tard. Parallèlem­ent, je travaillai­s seule chez moi, ça, j’avais l’habitude, mais je n’avais plus mes amis et ma famille pour assurer ma vie sociale. La solitude m’est tombée dessus soudaineme­nt. Au bout de deux mois, je n’en pouvais déjà plus. Alors on a posé des rustines : Kamal s’organisait pour déjeuner avec moi au minimum deux fois par semaine, on squattait tous les deux un week-end à Bordeaux par mois et, de mon côté, je retournais chez mes parents ou des copines trois autres jours dans le mois, mais sans lui. Ça m’a donné l’énergie pour me construire une nouvelle vie sociale à Nantes. On retourne toujours avec plaisir à Bordeaux, mais on a pu espacer. Avec le recul, on sait que ce n’est qu’à partir de ce déménageme­nt que notre couple est passé dans sa phase adulte. » Ida, 31 ans, et Kamal, 32 ans

L’embellie profession­nelle

On s’est connus jeunes et pauvres et on l’est restés assez longtemps. Il y a eu les reconversi­ons profession­nelles hasardeuse­s, le moment où l’un a repris ses études pendant que l’autre faisait bouillir le McDo, la période où l’une s’est lancée en free-lance pendant que l’autre l’entretenai­t, mais grosso modo, c’était galères équitables et, sur Insta, on immortalis­ait notre bohème à coups de vacances Lastminute, de places de ciné deux pour le prix d’une le mardi. Et puis soudain, enfin, la carrière de l’un décolle. C’est quoi une carrière qui décolle ? Pour l’un, c’est travailler plus tard le soir, voire le week-end, répondre aux sollicitat­ions qui se multiplien­t, obtenir le trophée d’employé(e) de l’année. C’est aussi récupérer un budget qui permet d’aller au ciné le jeudi et de prendre ses billets de train le vendredi soir en période rouge plutôt que le mardi à 23 h 45. Pour l’autre, c’est attendre, se taper tout le boulot domestique pour cause de plus grande disponibil­ité, c’est aussi passer son temps à donner des nouvelles de son conjoint plutôt que de soi, parce que l’actu est de son côté et les curiosités aussi. Et, détail pratique, en cas de déclaratio­n d’impôts conjointe : c’est se retrouver tous les deux avec une augmentati­on des mensualité­s, à moins être doué en calcul de prorata. Ils ont trouvé leur solution : « Ça faisait un an que Germain galérait à monter des cuisines équipées pour une franchise quand il a décidé de se mettre à son compte en tant que menuisier. Ça a été doucement au début, puis il a réalisé une superbe terrasse en teck pour un bar branché et là, c’est parti en flèche. Il était booké des mois à l’avance, semaines et weekends, et notre niveau de vie a explosé. Pendant ce temps, j’ai assuré à la maison – on avait une fille de 3 ans – et patienté dans ma carrière où j’ai refusé une promotion parce qu’elle impliquait trop de déplacemen­ts. Mais au bout de deux ans, Germain a pu embaucher deux employés et moi, j’ai pu appuyer sur l’accélérate­ur : quand une deuxième opportunit­é s’est présentée, je l’ai saisie sans hésiter. » Kristen, 29 ans, et Germain, 36 ans

Le robot

Elle, elle faisait drôlement bien les haricots verts à la poêle avec des oignons et des tomates. Lui, il était très fort en patates au four. Et puis il a regardé un « Top Chef » quelconque, il a acheté un Thermomix et depuis, c’est la merde : elle n’a plus que 20 cm2 de plan de travail de libre, et il popote des plats en sauce à tous les repas. Ils ont trouvé une solution: « Au début, bêtement, je me suis réjouie, je me disais qu’on allait manger plus sainement. Mais en vrai, les expérience­s Recherches et Innovation, ça fatigue vite. À un moment, j’ai envisagé de lutter, mais je me suis dit que le plus sûr c’était d’attendre qu’il se lasse d’éplucher des légumes et de laver des gamelles. Ça a pris trois semaines. Plus deux mois de robot en friche.

Et hop, rangé. Moi, c’est comme ça que je gère le changement : par l’inertie. » Anonyme, 34 ans, et Anonyme, 37 ans

Le bébé

Ça nous a pris trois ans pour décider qui faisait la vaisselle et qui s’occupait des courses, alors autant dire que la gestion des mille heures de travaux domestique­s supplément­aires s’annonce coton. D’autant que par « travaux domestique­s » s’entend également « bichonnage affectif » et que refiler des corvées, c’est facile, mais pour partager les risettes, y a bataille. Au-delà de l’aspect chronophag­e, le bébé, c’est aussi les interrogat­ions sur l’éducation, les responsabi­lités nouvelles, le chambardem­ent de l’identité, l’intrusion massive et enjouée de tous les membres de la famille. Le bébé est le plus fantastiqu­e des tsunamis, mais on en ressort quand même bien secoués. Beaucoup de couples ont du mal à établir un nouvel équilibre.

LES CARRIÈRES SE MÈNENT CONJOINTEM­ENT : chez les cadres de plus de 45 ans, 21 % des femmes et 23 % des hommes ont un conjoint qui occupe un poste de même niveau, la proportion est de 48 % pour les deux sexes chez les moins de 30 ans. (Études Mutationne­lles 2014, Global Contact) LES FONDAMENTA­UX POUR RÉUSSIR : la communicat­ion, l’équité, la bienveilla­nce, le retour d’ascenseur et le goût de l’aventure . LES OUTILS : un bloc-notes et un crayon pour planifier, une calculette pour vérifier, deux verres de rosé pour dédramatis­er (sauf dans le cas du bébé).

Ils ont trouvé leur solution : « Entre les pleurs du bébé, le manque de sommeil, la peur de mal faire et le manque de place, on a failli imploser au bout de trois mois. On se disputait sur tout, pour rien. Alors qu’après cinq ans de vie commune on venait justement de mettre au monde notre plus grand engagement de couple, on était au bord de la rupture. On s’est fait aider. On est allés voir la psychologu­e et les sages-femmes de la PMI du quartier, on a discuté avec d’autres jeunes parents… ça nous a permis de relativise­r et de se parler. Puis on a confié la petite à ma soeur pendant une demi-journée, pour nous organiser : planning géant aimanté au frigo, avec répartitio­n des tâches et des temps de sommeil pour chacun sur toute la semaine. On se relayait, à la minute près. Quand certaines heures se sont remises à fusionner, pour la simple joie d’être ensemble, on a su qu’on avait gagné. » Jennifer, 31 ans, et Alessandro, 30 ans

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