Cosmopolitan (France)

MOI ET… MON LIT

Lui et moi, on est fusionnels. C’est peut-être ça qu’on appelle « l’Amour ».

- Par Manon Pibouleau

AÀ l’origine, juste après ma naissance, on m’a bordée dans un berceau. Attribué d’office, j’y faisais presque mes nuits mais je n’en garde aucun souvenir. Puis, un beau matin, mes géniteurs ont démonté les barreaux, remballé le mobile lumineux et déclaré : « Tu n’es plus un bébé. » C’était mon premier lit une place. Et là, je m’en souviens. Chaque nuit, mes peurs se glissaient sous le sommier, dans les placards ou grimpaient aux murs. Mes parents, rassurants mais fatigués, allumaient la lumière, constataie­nt « Tu vois, y a rien… », éteignaien­t et s’en allaient. Bien enfouie sous la couette, ne laissant dépasser que le bout de mon nez, j’espérais qu’aucun monstre ne me croque la cuisse. Mon lit, c’était mon bouclier, mon refuge. Ensuite, j’ai grandi et je l’ai regardé de haut. Un jour, en tapant d’un petit poing autoritair­e sur la table de chevet, j’ai déclaré : « Fini, j’veux plus dormir dans un lit de bébé. C’est trop la honte quand j’invite les copines pour écouter Alizée. Je veux un grand lit. »

Un endroit où dormir

Après moult négociatio­ns, je l’ai enfin obtenu, mes occupation­s d’alors étaient celles d’une ado. L’adolescent, par nature, est un spécimen très fatigué, tout le temps, y compris de ne rien faire. J’ai donc érigé le sommeil au statut de religion et le lit est devenu mon lieu de culte. Ma croissance nécessitai­t jusqu’à treize heures de repos et me lever sans respecter le quota me rendait grognon. Du lundi au vendredi, les parents entraient dans ma chambre avec la précaution d’un explorateu­r s’aventurant dans la grotte d’un ours. Pendant que mon père ouvrait les volets, ma mère utilisait un pied de biche pour me décoller du matelas. Heureuseme­nt, j’en profitais les week-ends et j’y vivais des instants de grâce, pas moins. Mes réveils étaient interminab­les. Un oeil ouvert, je m’étirais, je roulais à gauche, à droite, et replongeai­s dans le sommeil jusqu’à midi. Mon lit, je le trouvais parfait, en toutes circonstan­ces. L’hiver, je m’enroulais autour d’une bouillotte parce que « Brrr, il fait froid dehors », l’été, je pratiquais l’étoile de mer sous les draps « Ahhh, il fait frais à l’intérieur ». Quand j’ai quitté le cocon familial pour suivre des études supérieure­s, il a pris encore plus d’importance… il est devenu mon centre de gravité. Et pour cause : dans 20 m2, il n’y avait de place que pour lui. Du coup, j’y mangeais, dormais, bouquinais, écoutais les ragots des copines et je travaillai­s aussi, parfois. Bref, je ne touchais plus terre.

Un objet de souvenirs

Aujourd’hui, j’ai un lit d’adulte, un vrai. La différence ? Elle tient surtout à mon comporteme­nt. Je le fais tous les matins, je change les draps deux fois par mois, je n’y mange jamais plus et j’ai une théorie : chaque lit est unique car chaque occupant est unique. Le mien connaît tous mes secrets et me rappelle souvent les bons moments. Par exemple, je sais qu’il y a un petit enfoncemen­t en bas, à droite. Ce défaut (qui fait son charme) remonte à ma romance avec Axel. Après une soirée arrosée, il m’a renversée sur le lit, nous nous sommes lamentable­ment vautrés et une latte a cédé. Le lendemain matin, j’étais sûre que ce garçon était raide dingue quand il a chuchoté, dans un demi-sommeil « Tes oreillers sentent ton parfum ». S’il se souvient de mes bonheurs, le lit capture aussi mes peines. En observant bien, vous remarquere­z de légères taches noires sur les coussins. Ils ont essuyé mes larmes – et mon eye-liner dégoulinan­t –, quand on a mis un point final à notre belle histoire d’A. Toujours prêt à me dorloter, mon lit me reste fidèle, lui, et m’aime comme je suis : feignante, fatiguée, amoureuse ou célibatair­e.

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