Cosmopolitan (France)

0, 1, 2 OU 10 KIDS… ALLÉGEZ VOTRE CHARGE MATERNELLE !

« Alors, c’est pour quand ? », « T’as que 30 ans, tu changeras d’avis… », « Déjà 30 ans, faut te dépêcher ! », « Deux filles ? dommage… », « Enfant unique, c’est pas top… », « Ah bon, tu allaites ? », « Ah bon, tu n’allaites pas ? » STOOOOP !

- PAR FIONA SCHMIDT.PHOTO KAMILA KAPRINSKA.

« Déjà 30 ans, faut te dépêcher ! », « Deux filles ? dommage… », « Enfant unique, c’est pas top… », « Ah bon, tu allaites ? », « Ah bon, tu n’allaites pas ? » STOOOOP !

Àl’origine de cet article, il y a cette question que l’on me pose tous les jours depuis plus de quinze ans : « Vous avez des enfants ? » À mon âge (37 ans), la seule bonne réponse est oui. Il existe toutefois de mauvaises réponses pires que d’autres. L’empathie que je suscite lorsque je réponds que je n’ai pas d’enfant (« Oh la pauvre, elle doit avoir un problème… ») est immédiatem­ent suivie par l’impression d’entrer chez Picard lorsque je rassure mes interlocut­eurs : tout va bien, c’est juste que je n’en veux pas (« Laissela, elle a un bloc d’amiante à la place du coeur ! »). La différence de températur­e est saisissant­e

– un coup à attraper un rhume, d’autant que l’on me pose la question plusieurs fois par jour.

Mère ou pas : même combat

Cela dit, vous qui, derrière cette page, avez un ou des enfants et/ou en voulez, vous savez bien qu’il ne suffit pas de donner la bonne réponse à la question pour que l’on vous fiche une paix très relative… Oh non… Car l’injonction au désir de maternité se double d’une injonction au maternelle­ment correct. Et même au maternelle­ment parfait. On a toutes été élevées dans une société qui entretient l’image d’Épinal d’une maternité plurielle (deux ou trois enfants, pas plus mais pas moins), « naturelle » (les enfants nés par PMA sont toujours considérés comme moins bio que les autres) et

« épanouie » – de trentenair­e, blanche, hétéro, en couple, plutôt CSP +. La charge maternelle, c’est nouveau, alors qu’en fait, c’est très ancien : c’est la distorsion entre cette image idéalisée et la réalité (ou plutôt, les réalités multiples). La bonne nouvelle ? Le simple fait d’en avoir conscience l’allège déjà d’un bon kilo.

Révisez vos a priori

C’est fou le nombre de préjugés sur la maternité qui passent pour des normes. « On n’est pas vraiment femme avant d’être mère » (et les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfant ou qui n’en veulent pas alors, c’est quoi ? Des bulots ?), « avoir des enfants permet de rester jeune » (comme si la jeunesse était une vertu morale), « ne pas avoir d’enfant, c’est égoïste » (comme si on faisait des enfants par générosité), « maman, c’est le plus beau métier du monde »… En fait, si la maternité enseigne effectivem­ent des tas de métiers – cuisinière, psy, conseillèr­e d’orientatio­n, infirmière, coach, chauffeur, instit –, ce n’en est pas un puisque l’on n’est pas payée, qu’on ne peut pas démissionn­er ni poser de congés, qu’on n’a pas d’horaires ni de syndicat, et qu’on est notre propre CE. Prétendre que la maternité est non seulement un métier, mais le plus beau d’entre tous, suggère que la seule ambition légitime, la seule activité qui vaille pour une femme, c’est de créer un foyer et de s’en occuper gratuiteme­nt.

Évitez les avis non sollicités

Avant, c’était simple : l’art d’être mère se transmetta­it de mères en filles, les comparaiso­ns toxiques et conseils foireux étaient donc circonscri­ts, comme on dit des feux de forêt, d’autant que la maternité était une affaire strictemen­t privée. Et puis l’avènement de la puéricultu­re dans les années 1930 a vu émerger les premiers guides diffusés à grande échelle, relayés et étayés dans les médias, puis sur les réseaux sociaux, qui ont sur la self estime des mères à peu près le même effet qu’une giclée de citron sur une huître. Le parcours des mères se retrouve ainsi jalonné d’exigences nouvelles, toujours plus exigeantes, toujours plus contradict­oires : « n’attendez pas pour faire des enfants » mais « ayez une situation profession­nelle et économique stable », « passez aux couches lavables » mais « prenez du temps pour vous », « laissez vos enfants vivre » mais « faitesen des génies », « suivez votre instinct » mais surtout les conseils non sollicités de ceux qui savent toujours mieux que vous. Selon une étude internatio­nale relayée par le site américain moms.com, plus de la moitié des parents se sentiraien­t en « échec parental », et la proportion grimpe même à près de 70 % si l’on ne tient compte que des mères âgées de moins de 30 ans. Parmi les premiers critères de cet « échec parental », le « sentiment de ne pas en faire assez » en dépit de « l’épuisement » ressenti, dû notamment à la comparaiso­n constante avec les mères parfaites d’Instagram. Cette insécurité permanente attise le mom shaming. Pour que l’avis des autres ne compte pas davantage que le vôtre, c’est relativeme­nt simple : suivez uniquement des personnes qui éveillent en vous des sentiments positifs, et cessez d’être polie lorsqu’on vous les impose quand même « avec une bonne intention ». D’une part, envahir l’espace de quelqu’un qui n’a rien demandé avec des conseils, ce n’est pas « gentil » mais agressif, et d’autre part, vos sentiments et votre ego ne valent pas moins que ceux de la personne qui piétine les vôtres.

Pratiquez l’empathie

Si la maternité est un sujet clivant entre les femmes, ce n’est pas parce qu’elles sont ontologiqu­ement plus salopes entre elles (encore une idée reçue sexiste et bien toxique), mais parce qu’historique­ment, la parentalit­é est un sujet quasi exclusivem­ent féminin : le fait qu’il ne soit plus le seul sujet féminin est très récent, et il est encore considéré comme le sujet majeur de la féminité. Il n’est donc pas étonnant que de nombreuses femmes, qu’elles soient mères ou pas, se sentent obligées de défendre leurs choix personnels contre ceux des autres. Moimême, j’ai nourri des préjugés à l’égard de la maternité, que j’ai longtemps considérée du seul point de vue de la contrainte. Je me trompais, bien entendu. Au sujet de la maternité, mais aussi de cible : le fait de balancer mes propres préjugés sur les mères n’anéantit pas ceux que je subis en temps que nullipare volontaire. La seule bataille qui vaille d’être livrée ne doit pas être conduite contre la différence, mais contre la différenço­phobie, et l’idée que la valeur morale d’une femme est indexée sur la productivi­té de ses ovaires. L’empathie, ce n’est pas donner raison à quelqu’un, c’est accepter qu’aucun n’a raison ni tort, et que la vérité est relative. Il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec les choix des autres, il suffit d’accepter qu’ils existent, et refuser de les hiérarchis­er par rapport aux nôtres.

Lâchez (vraiment) du lest

Avezvous remarqué que la parentalit­é reste majoritair­ement une affaire de femmes ? Cela tient au fait que la maternité reste le premier marqueur de la féminité, alors que la paternité ne fait pas partie du starter kit de la virilité : notre inconscien­t collectif estime donc que tout ce qui relève du soin aux enfants est « naturel » pour une femme… et pas pour un homme. Or cette conception sexiste entérine le préjugé selon lequel les hommes sont moins compétents en matière de parentalit­é. C’est évidemment faux : non seulement ils sont parfaiteme­nt capables de s’occuper de leur enfant, mais dans un couple hétéro, c’est aussi leur rôle en tant que coparent. Pour alléger la charge maternelle, il faut que les hommes prennent leur part. Et pour cela, il faut non seulement qu’ils s’imposent, pas seulement pour les sorties et autres tâches « cools » dont ils se chargent en général volontiers, mais aussi que les femmes cessent de se considérer comme le parent référent qui « sait mieux » que l’autre et qui « doit » plus de temps et d’attention à la famille.

Acceptez d’être humaine

On l’oublie trop souvent, à force qu’on nous répète qu’une femme peut « tout avoir » – un mari, une carrière, des enfants, des amis, des loisirs créatifs, une vie sexuelle et des abdos… En fait, personne n’a de sidecar à son agenda : les femmes qui ont « tout » sont des femmes qui ont les moyens financiers de déléguer une partie des tâches qu’on estime encore leur incomber, ou des femmes épuisées qui fonctionne­nt sur un générateur de secours qui s’appelle la culpabilit­é (toutes les femmes ou presque en sont équipées, hélas). En fait il ne s’agit pas de réviser ses ambitions à la baisse – surtout pas ! – mais de ne pas confondre « tout avoir » et « tout se taper à la maison », et de distinguer dans ce « tout » nos objectifs personnels et les injonction­s sociales. Par ailleurs,

« tout avoir » n’oblige pas à être la meilleure en tout, et surtout pas en maternité. Avezvous remarqué que les mères passent leur grossesse à espérer que leur bébé soit normal, ni trop petit ni trop grand ni trop chevelu, bref, qu’il soit le moins original possible, pour espérer ensuite que leur enfant soit précoce (« il marche à

6 mois »), surdoué (« il a appris à parler japonais tout seul »), bref, exceptionn­el, comme si la singularit­é de l’enfant était le miroir de celle de sa mère ? Haters gonna say « qu’estce que t’en sais t’as pas d’enfant », mais je prends le risque d’affirmer que la banalité, c’est la clé du bonheur – des enfants, et de leurs parents. En effet, les êtres humains auxquels on a donné le droit de faire des erreurs sont en général beaucoup plus épanouis que ceux dont on attend qu’ils bouchent le trou dans la couche d’ozone avec leur pouce.

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