Cosmopolitan (France)

SEPTIÈME CIEL : J’AI PLUS DE LIBIDO QUE MON MEC

ANALYSE D’UN DÉCALAGE DE DÉSIR, SYMPTOMATI­QUE DE NOTRE ÉPOQUE.

- PAR SOPHIE BILLAUD. PHOTO CHRIS CRAYMER.

Analyse d’un décalage de désir, symptomati­que de notre époque.

« J’ai plus souvent envie de faire l’amour que mon mec », confie Célia, 32 ans, en couple depuis deux ans avec Thibault. « Je me heurte à des refus que j’ai du mal à encaisser. Si on s’aime, on devrait tout le temps avoir envie de se jeter l’un sur l’autre, non ? » Même constat pour Jasmine, qui vit une histoire avec Stéphane depuis trois ans : « J’ai un appétit sexuel plus important que lui, ce qui a posé quelques soucis dans notre couple, puis soulevé pas mal de questions. Pourquoi il n’a pas envie ? Est-ce que je l’attire vraiment ? Est-ce qu’on se correspond ? Est-ce qu’il me trompe ? En général, les mecs ont toujours envie, pourquoi pas lui ? » Dans l’inconscien­t collectif, l’homme serait toujours partant, toujours chaud, au réveil comme au coucher, après une raclette ou trois tours de Space Mountain. Une croyance largement répandue à travers les films, les séries, les romans… « Une grosse ânerie ! selon Gérard Ribes, sexologue. Il faut à tout prix déconstrui­re ce mythe, et arrêter de confondre virilité et masculinit­é. Le premier terme répond à une vision de l’homme via le prisme génital (je bande donc je suis), et le second via le prisme de l’être (une manière d’être qui fait que je suis un homme). » Pour Fabienne Kraemer, psychanaly­ste, le problème est tout autre : « Les femmes n’ont pas plus de libido que les hommes, elles font surtout face à des conjoints en panne de désir. » Une étude menée par l’Ifop en 2019 à l’occasion du lancement d’une plateforme de santé dédiée aux hommes* met en lumière le nombre constant d’hommes souffrant de troubles du désir : 61 % ont déjà rencontré un problème d’érection au cours de leur vie, contre 44 % en 2005. Et pour beaucoup, il ne s’agit pas d’un trouble isolé : 38 % disent avoir connu une baisse de libido au cours des douze derniers mois. En cause ? Des vies stressante­s, l’invasion des écrans, mais surtout… le porno. Sans oublier qu’en parallèle, les femmes vivent un éveil de leur sexualité, longtemps tue, pour ne pas dire cachée. Elles reprennent possession de leur corps et se préoccupen­t davantage de leur plaisir. On parle (enfin) du clitoris, de masturbati­on féminine, de leurs fantasmes…

Travail, stress et Netflix

« J’ai vécu une période de boulot super stressante, confie Nico, 34 ans.Je bossais presque soixante heures par semaine, mon boss me collait une pression de dingue. Je n’avais absolument pas la tête à faire l’amour. La seule chose dont j’avais envie en rentrant à la maison, c’était de me doucher et dormir. » La vie pro, les emplois du temps saturés et le manque de sommeil jouent sur le désir. Sans oublier Netflix et la dépendance aux écrans. L’étude Ifop de 2019 révèle que les plus touchés par la baisse de libido sont… les jeunes de moins de 35 ans. Surtout ceux qui regardent quotidienn­ement du porno (55 %), les réseaux sociaux (39 %), les applis (41 %), ou les plateforme­s comme Netflix (38 %). Flippant !

Métro, boulot, porno

« Chez cette génération, il y a une captation de la libido par le porno, explique Gérard Ribes. Le souci, c’est qu’ils ne retrouvent pas dans la vraie vie ce qu’ils voient sur internet. Pour beaucoup, c’est plus simple de se masturber en regardant un porno. Ça va droit au but, le plaisir est vite assouvi. Alors que dans la rencontre, il y a des enjeux, il faut dépenser de l’énergie, prendre le temps, être à l’écoute… Le porno, c’est la malbouffe de notre siècle, on est dans l’immédiatet­é au détriment de la montée du désir. Sans oublier qu’il fait la promotion d’une sexualité irréelle, violente, phallocent­rée, où la femme jouit vite, à tous les coups et presque uniquement par pénétratio­n. » Fabienne Kraemer alerte sur la surconsomm­ation de X : « Beaucoup d’hommes se sont éduqués au sexe en regardant du porno, en pensant que c’était la réalité. Aujourd’hui, la fellation fait par exemple partie des actes basiques d’une relation. Une jeune fille qui commence sa vie sexuelle pense que c’est normal et obligatoir­e. Avant, la fellation n’était pas aussi répandue. » Une étude présentée au Congrès mondial d’urologie aux États-Unis** a montré l’impact néfaste du porno sur la libido des hommes. Sur 314 hommes âgés de 20 à 40 ans, 81 % admettent avoir regardé au moins une fois du porno, et 27 % d’entre eux présentent des troubles de l’érection. Pour Fabienne Kraemer, le sexe est en crise, et si un homme de 30 ans désinvesti­t sa relation de couple, il y a de fortes chances pour qu’il se soit tourné vers le porno. « Il serait temps que

les hommes s’interrogen­t sur leur rapport à la pornograph­ie et entament une autocrique de leur consommati­on », conclut-t-elle. Messieurs, on vous laisse méditer.

Réinvestir le couple

« On parle souvent de sexualité, alors qu’on devrait parler de relation sexuelle. Notre société a tendance à oublier l’aspect relationne­l. Or ce n’est pas un moment où l’on ne pense qu’à soi, mais un moment de partage », rappelle le sexologue Gérard Ribes. Il s’agit donc de remettre de l’humain dans notre rapport au sexe. Et surtout, d’en parler ! Trop peu de couples échangent sur leur vie sexuelle. « Pour éviter tout quiproquo, remise en question ou doute, il est important d’expliquer pourquoi on n’a pas envie de faire l’amour », poursuit Gérard Ribes. Fabienne Kraemer abonde : « C’est souvent avec notre partenaire qu’on en parle le moins, alors que c’est le premier concerné ! Il est vrai que le sujet est sensible et qu’il peut attiser les susceptibi­lités, mais il faut remettre de la légèreté là-dedans. La sexualité, c’est avant tout un jeu ! On manque d’un discours déculpabil­isant sur le sexe. » Pour la psychanaly­ste, le plus important, c’est de s’atteler à la question du couple, car notre société a désinvesti l’humain et le rapport au corps. « Pour l’instant, on est dans le libre-service du sexe sans efforts. Quand on s’apercevra de la misère sexuelle dans laquelle on évolue, on s’y intéresser­a sérieuseme­nt. Les choses changeront quand tous les hommes prendront conscience des aspects néfastes du porno, et les femmes de l’utilité et du fonctionne­ment de leur clitoris. »

Place aux femmes

« Peut-être que les femmes devraient moins se soucier de l’érection des hommes, conclut Fabienne Kraemer. Notre société patriarcal­e a convaincu les hommes qu’avoir une bonne érection, c’était bien, et on leur a donné tous les outils pour se satisfaire rapidement. Malgré elles, les femmes sont devenues complices. On leur a inculqué qu’elles devaient déployer des torrents d’ingéniosit­é pour être les plus excitantes possible. Et quand ça ne marche pas, elles se sentent responsabl­es. Mais elles doivent à tout prix se déresponsa­biliser : elles ne sont pas coupables de la baisse de désir des hommes.» Il appartient aussi à ces messieurs de s’interroger sur le rapport au sexe et au porno. Quant à nous, en 2020, on met enfin notre libido au premier plan et on se promet de ne plus jamais la laisser au placard.

* Étude Ifop/Charles.co, 2019, « Binge watching, binge drinking, sexe, cocaïne et libido… Les hommes et les problèmes d’érection, le grand tabou ? ». ** Étude présentée lors du 112e congrès annuel américain d’urologie par une équipe de chercheurs de San Diego sur le lien entre libido et pornograph­ie.

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