Cosmopolitan (France)

JE LIBÈRE MES ÉMOTIONS ET ÇA ME CHANGE LA VIE

Retenir ses émotions, c’est comme oublier d’ouvrir la soupape de la cocotte-minute : on risque l’explosion. Comment ne pas en arriver là.

- PAR CHLOÉ PLANCOULAI­NE PHOTO BETH STUDENBERG

Retenir ses émotions, c’est comme oublier d’ouvrir la soupape de la cocotte-minute : on risque l’explosion. Comment ne pas en arriver là.

Cette colère, Clara ne l’a pas vue venir : « J’ai garé la voiture sur le côté de la route, je suis sortie et j’ai hurlé ! » Quand elle reprend le volant, son mec et ses deux enfants sont interloqué­s. C’est la première fois que Clara sort de ses gonds violemment. « C’est parti d’un minuscule détail : une question de mon fils à laquelle j’avais déjà répondu trois fois. J’ai explosé. Je m’en suis voulu, j’aurais dû en rire, mais c’était la sollicitat­ion de trop… » Sa mère hospitalis­ée dans le Sud, Clara traverse la France parce que ses frères ne sont pas dispo, elle conduit parce que son mec n’a pas le permis, et elle emmène les enfants parce que la famille se plaint de ne pas les voir assez. « J’étais à bout, j’ai éclaté : “Je ne peux pas m’occuper de tout le monde, tout le temps, et vous laisser penser que c’est normal !” Cette phrase bouillait en moi depuis longtemps sans que j’arrive à la formuler. La lâcher m’a fait un bien fou, et a lancé la discussion avec mon mec, mes enfants, puis ma famille qui s’est toujours beaucoup reposée sur moi. » Petit à petit, Clara apprend à se remettre au centre de sa vie, et réalise qu’elle a peut-être malgré elle créé sa situation, en ayant du mal à déléguer. « Au final, cette colère que je n’ai pas réussi à contenir m’a permis de faire le point sur mes besoins, de les accorder avec mes attitudes et de rééquilibr­er ma vie. » Et si les émotions qu’on qualifie à tort de « négatives » étaient en réalité une manière de signaler un dysfonctio­nnement, un besoin non satisfait, pour mieux nous réaligner avec nous-même ? Et si, en se (re)mettant à leur écoute plutôt que de les planquer sous le tapis, on se mettait sur le chemin de la joie ? N’attendons pas d’exploser sous la pression pour essayer !

Parfois, c’est le corps qui parle…

Après sa rupture avec Thibaut, Judith tient le coup. Dix ans de relation, quand on en a 28, ce n’est pas rien. Mais pas question que le monde s’arrête de tourner pour autant. Elle a un bon boulot, plein de potes et l’avenir devant elle. Le jour où elle récupère les clefs de son nouvel appart, sa vie peut enfin recommence­r. Mais ses mains la grattent. Puis gonflent. « Le soir, je buvais un coup avec des potes et je me revois leur dire : “Je crois que je suis allergique aux clefs !” » Le lendemain, des plaques rouges apparaisse­nt sur son corps. Si ce n’est pas sur les clefs, c’est dans l’appart qu’il y a un problème : elle passe le deux-pièces au vinaigre blanc. En vain. Le diagnostic tombe chez la dermato : c’est de l’urticaire. « On sait peu de choses sur cette maladie, sinon qu’elle est très souvent déclenchée puis aggravée par des facteurs émotionnel­s. » Judith se rend à l’évidence : « Je n’allais pas pouvoir passer à côté d’un gros chagrin d’amour et d’une énorme remise en question, comme j’avais tenté de m’en convaincre. » Elle passe alors la porte d’une thérapeute.

« La tristesse de cette séparation est remontée, et a entraîné derrière elle des émotions plus vieilles encore, enfouies depuis l’enfance. » Elle s’en libère au fil des semaines, et en un an, elle a espacé ses piqûres d’antihistam­iniques de deux à huit semaines. « J’ai surtout appris à me remettre à l’écoute de mon corps.

Il a des choses à me dire et si je laisse filer l’info, je me réveille avec une peau de crapaud. Ça motive pour être attentive. »

Parfois, c’est l’autre qui nous les révèle…

En psychologi­e, on parle de « projection » ou de « l’effet miroir » lorsqu’on voit en l’autre, inconsciem­ment, un reflet de soi. Il est troublant d’observer combien le défaut d’une personne peut nous sauter aux yeux et nous agresser alors que ce même défaut paraîtra anodin à quelqu’un d’autre. C’est souvent qu’il est révélateur de quelque chose que l’on ne s’avoue pas. Marie en a fait l’expérience avec sa belle-mère, dont elle se plaignait auprès d’un ami d’enfance : « Elle se met en colère pour un rien ! Et après c’est comme si de rien n’était ! Elle est tarée, je te jure ! » Son ami se moque alors gentiment : « Au lieu de râler, tu devrais peut-être prendre exemple sur elle, ça te ferait pas de mal de péter un câble de temps en temps. » Sur le coup, elle le prend un peu mal et ils changent de conversati­on, mais Marie y repense sur le trajet du retour : et si son ami avait raison ? Et si elle ne supportait pas les « débordemen­ts » de sa belle-mère parce qu’elle-même ne s’autorisait pas à exprimer sa colère ? « Ça a été le début d’une réflexion en profondeur sur ma manière de gérer mes émotions. J’ai réalisé aussi à quel point je râlais et soufflais plusieurs fois par jour, comme pour décharger ma soupape sans oser relever complèteme­nt le couvercle. J’ai encore du mal à “péter un câble”, mais je me force à exprimer plus régulièrem­ent mes besoins. Et quand je m’entends souffler, je prends une pause pour réfléchir à la véritable cause de mon irritation. »

L’exercice pratique :

Mai-Lan Ripoche, coach certifiée en PNL*, nous propose un exercice pour exprimer notre colère sans dégâts pour nous ni pour les autres, en 4 étapes, à l’écrit. On prend une situation qui nous irrite puis on note dans l’ordre :

1) la pensée qui est à l’origine de notre colère (« il ne devrait pas me parler comme ça ») ;

2) le besoin qui n’est pas satisfait dans cette situation (« j’ai besoin de considérat­ion et de respect ») ;

3) ce que l’on ressent quand ce besoin n’est pas nourri (« derrière ma colère, il y a de la tristesse ») ;

4) une demande formulée à soimême : est-ce que je peux faire quelque chose pour nourrir moi-même mon besoin insatisfai­t ? Si oui, quoi ? Sinon je fais une demande concrète et réaliste à l’autre, sans que ce soit une exigence – il/elle a le droit de la refuser. Mais la discussion sera ouverte. *mailan@lesguerrie­rspacifiqu­es.com

Pourquoi a-t-on peur d’exprimer certaines émotions ?

Chacun a ses propres modes de fonctionne­ment. Il peut s’agir de facteurs interperso­nnels : on n’ose pas exprimer des émotions vécues comme « négatives » par peur de décevoir, de déranger les autres ou de leur montrer des parts de soi que l’on considère comme des faiblesses. Il peut s’agir aussi de facteurs personnels : on a peur d’être submergée par l’émotion, de s’écrouler et de prendre conscience que l’on va mal. La retenir nous donne l’impression de contrôler la situation.

Que risque-t-on en les refoulant ?

Si fuir les émotions qui dérangent semble soulager dans un premier temps, à long terme, cette émotion restée bloquée va se manifester sous d’autres formes : des somatisati­ons (maux de tête, de ventre, de dos, eczéma…), des troubles du sommeil, des addictions, des baisses de l’estime de soi, des dépression­s…

Comment les repérer avant qu’il ne soit trop tard ?

Il faut s’interroger régulièrem­ent, devant une feuille : comment je me sens en ce moment ? Quelles

émotions me traversent ? Est-ce que je ressens de la colère ? Y a-t-il eu une attitude qui m’a vexée ? Ou une situation où j’ai eu honte ? Plus on apprend à se connaître, à s’écouter en mettant sa raison de côté, mieux on saura pointer une émotion et sa cause. Attention cependant : certaines émotions peuvent en cacher une autre. Il n’est pas rare que la colère soit le masque de la tristesse, par exemple.

Quand une émotion négative pointe le bout de son nez, la plupart d’entre nous ont deux manières de réagir : soit en la contenant très fort (en serrant le poing dans sa poche, en retenant ses larmes, en ravalant sa peur), soit en la laissant exploser. Rarement au bon moment, rarement à bon escient. Comment trouver le juste milieu entre exprimer ses émotions et ne pas passer pour la tarée du village ? On peut le faire en deux temps :

1) Quitter la situation qui nous met hors de nous, et s’octroyer une pause pour respirer. L’appli RespiRelax +, gratuite, propose des exercices de respiratio­n simples et rapides pour retrouver son calme. En version papier, Le Petit Guide de la respiratio­n, de Una L. Tudor (éd. Contre-Dires) donne les clefs pour se reconnecte­r à son souffle et reprendre les rênes de ses émotions.

2) Par la parole, par le corps ou par l’art, donner forme à l’émotion, pour l’extérioris­er .

« Après une réunion où j’ai eu envie d’écraser la tête de mon boss contre la table, j’ai pris un carnet, un crayon, et j’ai rempli 50 pages avec le mot “connard”. Ça m’a fait tellement de bien que j’ai réussi à lui souhaiter bonne soirée avec le sourire en partant. » Mylène, 36 ans

« Quand je suis triste, je prends ma guitare, je trouve quatre accords en

Que faire d’une émotion une fois qu’on l’a identifiée ?

Là encore, aucun fonctionne­ment n’est meilleur qu’un autre. L’important, c’est d’apprendre à se connaître pour savoir ce qui nous fait du bien ou pas. Chez une personne, écouter de la musique triste l’aidera à traverser un chagrin, chez une autre, ce sera tout le contraire. Certains auront besoin de

mineur, bien badants, et j’improvise des paroles dessus en pleurant. Parfois, ça donne de belles chansons, que je peux chanter à chaque fois que je sens que l’émotion se pointe. » Chloé, 32 ans

« Je travaille avec une psy sur la culpabilit­é qui me bloque dans de nombreux domaines de ma vie. Je ne sais pas encore d’où elle vient, mais le simple fait d’avoir pu mettre un mot sur ce sentiment diffus m’a libérée. » Ariane, 28 ans

« Avec mes enfants, on a mis au point une danse de la colère. Quand l’ambiance est tendue à la maison, on met la musique à fond dans le salon, on crie et on gigote dans tous les sens comme si on avait 3 ans. Parfois même on se roule par terre. Pas sûr que les voisins apprécient, mais chez nous, ça finit toujours en fou rire. » Flora, 34 ans

« C’est grâce à une séance d’hypnose régressive que j’ai mis le doigt sur une émotion refoulée : je me suis vue bébé dans mon lit à barreaux, hurlant en attendant qu’un de mes parents m’entende. Un non-événement pour eux, le point de départ d’un sentiment d’abandon chez moi. J’ai ressenti beaucoup de compassion pour ce petit bébé et cette séance a été un bon point de départ vers la compréhens­ion de moi-même et la guérison. » Gabrielle, 25 ans s’entourer et d’échanger avec leurs proches, d’autres préféreron­t la solitude. Et parce qu’il est très difficile de gérer seule une émotion trop forte ou difficile à identifier, il ne faut pas hésiter à se faire accompagne­r. Aujourd’hui, des thérapies brèves comme l’hypnose ou la sophrologi­e peuvent aider à se libérer en quelques séances.

Plus de conseils sur larevuedun­epsy.fr. « Le sport, le sport, le sport… Je travaille dans la politique et je suis une boule de tension quand je sors du travail. Je passe tous les jours par la salle pour me défouler et secouer tout le négatif en moi. Je ressors apaisée, prête à remettre ça le lendemain. »

Célie, 37 ans

« Je parle à mon reflet dans le miroir : “T’arrêtes d’avoir honte maintenant ! Tu n’as aucune raison de t’infliger ça ! Tu crois vraiment que c’est cette petite phrase que tu as dite maladroite­ment tout à l’heure que l’on va retenir de toi à la fin de ta vie ? Non, alors relève la tête ma poule et fonce, t’es la meilleure !” » Camille, 30 ans

« Yeux fermés, je visualise mon émotion comme une vapeur que je laisse sortir de mon corps. Cette vapeur s’agglutine, finit par former une bulle, sur laquelle je souffle, jusqu’à ce qu’elle disparaiss­e dans le ciel. » Lucile, 26 ans

« Avec ma meilleure amie, on se sert de soupape mutuelleme­nt : on partage assez de grands bonheurs ensemble pour pouvoir aussi absorber les émotions plus difficiles. On vit à 200 km l’une de l’autre mais on s’appelle tous les jours et on va droit au but, en demandant “comment tu te sens aujourd’hui ?” plutôt que “quoi de neuf ?”. Confier ses émotions à quelqu’un qui me connaît par coeur et ne me juge pas suffit à m’en libérer. Et je le lui rends bien. » Manon, 33 ans

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