Cosmopolitan (France)

HISTOIRE VRAIE : J’AI VÉCU AVEC UN INCONNU

Au premier rendez-vous, il a tout du gendre idéal. Quatre ans plus tard, Bénédicte réalise qu’elle ne connaît pas son copain.

- PAR SOPHIE BILLAUD. ILLUSTRATI­ON DELPHINE CAULY.

Au premier rendez-vous, il a tout du gendre idéal. Quatre ans plus tard, Bénédicte réalise qu’elle ne connaît pas son copain.

« Pendant des mois, les indices se succèdent. Tout est là, devant moi, servi sur un plateau. Je n’ai qu’à ouvrir les yeux et partir mais je ne le fais pas. Pourquoi ? On dit que l’amour rend aveugle. Mais est-ce que ce ne serait pas juste une excuse ? Parce que dans mon for intérieur, je me sens coupable. Responsabl­e même. Aujourd’hui je n’ai pas d’autres choix que de regarder la vérité en face : je suis sortie avec un facho.

Tout commence il y a dix ans. J’ai 21 ans, je pose mes valises à Paris pour étudier dans une école d’archi. Je viens de rompre avec mon amour de jeunesse, je me sens paumée dans cette immense ville. Heureuseme­nt, je suis en coloc avec une fille super et je commence à tisser des liens avec les gens de ma promo. Un soir, on se retrouve tous dans un bar. Les tournées s’enchaînent, je me mets à raconter mes problèmes de coeur au barman… Faut dire qu’il m’écoute. À 4 heures du mat, tous mes amis sont partis et je suis seule avec lui pour la fermeture. J’ai trop bu, je ne tiens plus debout. Certains auraient pu profiter de la situation, pas Jean-Baptiste. Il me commande un taxi et note son numéro sur un ticket de caisse pour que je le prévienne de mon arrivée. Le lendemain, je lui écris. On se voit le jour d’après, je suis sous le charme. Il est grand, brun, barbu, tatoué, hyper looké. Il m’explique qu’il joue dans un groupe de rock et qu’il espère un jour en faire son métier. En attendant il bosse dans un bar pour boucler ses fins de mois. On écoute les mêmes groupes, on parle beaucoup de musique.

Il est gentil, doux, charismati­que, et côtoie un monde qui me fait rêver. À la fin du rendez-vous, on s’embrasse en se faisant la promesse de se revoir très vite.

Un amour fusionnel

On se revoit quelques jours plus tard et presque tous les suivants. On se dit « je t’aime » au bout de quelques semaines, et on devient inséparabl­es. Il me couvre de cadeaux, m’invite au resto, me présente à tout son entourage. On vit une histoire passionnel­le, je suis sur un petit nuage. Il est toujours prévenant et à l’écoute. Je mesure ma chance. Mes amis sont séduits par ce garçon sociable et jovial, mes parents l’adorent. Je rencontre sa mère, ses grands-parents, je m’entends bien avec tout le monde. Je me rends compte que sa famille a des idées de droite mais la politique ne m’intéresse pas trop, je n’ai encore jamais eu l’occasion de voter et je ne me formalise pas. En revanche, Jean-Baptiste se passionne pour l’histoire de France. Plus particuliè­rement Napoléon et la Seconde Guerre mondiale. J’apprends que son arrièregra­nd-père, d’origine allemande, était soldat dans la Wehrmacht.

Je ne juge pas : après tout, on ne choisit pas sa famille.

Les premiers indices

Alors qu’on passe le week-end chez sa mère à la campagne, il me montre sa collection d’armes vintage. Des pistolets et des carabines chinés sur des brocantes. Je ne m’offusque pas, mais quand je vois Mein Kampf d’Hitler sur les étagères de la bibliothèq­ue, là, je me demande ce qu’il se passe. Je lui en parle. Oui, ce livre est à lui. Il m’explique que c’est de la curiosité. Il veut se faire sa propre idée et aiguiser son sens critique. Il me convainc et on n’en reparlera plus jamais, même s’il m’arrive d’y repenser. À cette époque, ma coloc sort avec un mec engagé et très à gauche. Il connaît Jean-Baptiste et les deux ne se supportent pas. Ma coloc me conseille de faire attention. Je ne comprends pas. Attention à quoi ? Je sais que Jean-Baptiste fait partie des Boulogne Boys, un club de supporters du PSG excités et branchés bagarre… Selon moi, pas de quoi s’alarmer. Mon frère fait aussi partie d’une équipe de supporters un peu agités à Bordeaux, mais à part trimballer des drapeaux et des fumigènes dans son sac de sport, il n’a jamais rien fait de bien inquiétant.

Le doute s’installe

Au bout de deux ans, la passion a laissé place à la routine même si on n’habite pas ensemble. Je sors beaucoup, je côtoie des gens qui bossent dans la mode et la musique. On me drague, je me laisse faire. Quant à lui, j’ai la sensation qu’il papillonne et qu’il m’échappe un peu. Une soirée fait tout basculer. Je suis rentrée tôt chez moi, il me dit que lui aussi. Mais je découvre, par le biais de ses amis, qu’il a fait la fête jusqu’au petit matin. Il nie tout en bloc et s’enlise dans son mensonge. Je vois rouge. Quelques jours plus tard, alors qu’il dort, je fouille son téléphone et découvre des messages de plusieurs filles. Je suis sidérée et je mets un terme à notre histoire. Cet épisode aurait dû me mettre la puce à l’oreille sur sa double vie, mais j’ai des oeillères bien vissées. Il va tout faire pour me récupérer. À coups de bouquets de fleurs, de lettres d’amour, de textos enflammés… Sa technique de reconquête est bien rodée. Je résiste. Jusqu’à cette soirée où l’on se recroise par hasard et où je retombe dans ses bras. On s’aime encore, mais désormais je suis sur mes gardes. C’est à cette époque que je remarque son poing américain, toujours planqué dans sa poche. Pour quoi faire ? Se défendre. Contre qui ? Les autres, pardi ! Il me raconte cette fois dans le métro où il joue sur son téléphone et remarque « un Rom » comme il dit, qui ne le lâche pas du regard. Il est persuadé qu’il va essayer de lui voler son téléphone. Juste avant que les portes du métro ne se referment, JeanBaptis­te lui met un coup de poing américain entre les côtes. L’autre s’écroule. Jean-Baptiste jubile, il est ravi de me raconter son anecdote et remet même un peu de chantilly : «Trop marrant, il arrivait plus à respirer. Bien fait, ça lui servira de leçon. » Je trouve son attitude vicieuse et violente, et je ne me prive pas de le lui dire. Il me trouve idiote. Clairement, on ne se comprend pas.

La goutte de trop

À partir de là, certains détails m’interpelle­nt : les blagues racistes de sa mère, ses absences répétées, le fait qu’il soit de plus en plus porté sur la bagarre. Et j’ai des doutes sur sa fidélité. Un soir, je trouve des cheveux blonds sur son oreiller. Il me dit que ce sont ceux de sa coloc. Je sens qu’il ment et je recommence à fouiller. Dans son portefeuil­le, je tombe sur une carte d’adhérent au Front National. Les bras m’en tombent.

Il ne m’en a jamais parlé. Cette carte prouve qu’il a non seulement des idées extrémiste­s, mais qu’il est actif et engagé. Je suis atterrée, je ne le reconnais pas. Celui que je trouvais doux et jovial a tout du sale type. Je mets un terme définitif à notre relation. Aujourd’hui, les pièces du puzzle continuent de s’assembler, je réalise chaque jour des choses qui auraient dû me faire réagir bien avant. Comme le fait qu’il était fan de la page d’Alain Soral sur Facebook. Peut-être qu’il s’est radicalisé, mais peut-être qu’il était déjà comme ça quand je l’ai rencontré. Le garçon avec qui je sors aujourd’hui m’a parlé politique dès le premier rendez-vous. Il vote à gauche et ça me va. Pour lui, c’est essentiel de partager des valeurs communes, et même si on n’a pas toujours les mêmes idées, cette fois je sais exactement à qui j’ai affaire et où je mets les pieds. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France