Cosmopolitan (France)

… mes tatouages

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IIl y a des gens dont les tatouages forment un ensemble harmonieux qui les font ressembler à des versions ambulantes de la chapelle Sixtine. Clairement, je suis plus musée de sous-préfecture, comme fille : j’ai sur le corps une série de motifs plus ou moins imposants sans rapport les uns avec les autres, dont certains sont assez géniaux, et d’autres seulement gênants. C’est le risque lorsqu’on commence comme moi à se faire tatouer à la fin de l’adolescenc­e, lorsque les goûts sont aussi versatiles et clivants qu’un camembert laissé en plein soleil.

Comme la moitié de la génération élevée devant le

Club Dorothée, j’ai un idéogramme chinois tatoué sur le corps, au-dessus de la hanche droite, qui est censé vouloir dire « bonheur » mais peut tout aussi bien signifier « grille-pain » ou « cloporte », pour ce que je connais du mandarin. J’adorerais être d’assez mauvaise foi pour prétendre qu’il s’agit là d’un hommage au grand poète Feng Zhi, mais la vérité est nettement plus triviale.

À la fin de l’adolescenc­e, j’habitais une petite ville de province où les distractio­ns étaient si rares que l’idée de me faire tatouer un signe (in)dé(lé)bile chez un mec qui faisait aussi coiffeur et loueur de DVD paraissait être le meilleur antidote à la monotonie du samedi aprèsmidi. J’étais entrée pour louer une comédie romantique, le gars m’avait montré son classeur plastifié qui contenait des dizaines de motifs de tatouages standardis­és, il ne maîtrisait pas encore bien le motif Titi (le copain de Gros Minet), alors j’avais choisi un signe chinois, et dix minutes et l’équivalent de six mois de baby-sitting plus tard, j’étais sortie avec le sentiment que ma vie allait pouvoir enfin commencer, maintenant que j’étais quasi une Hells Angels – en trottinett­e. Lorsqu’elle l’a vu pour la première fois, ma mère m’a demandé : « Mais enfin, qu’est-ce qui t’a pris de te faire tatouer une patte de poule ? » Je n’ai plus jamais porté de crop top depuis. À l’instar de Picasso, j’ai eu plusieurs périodes, sauf que mes oeuvres à moi sont accrochées de manière permanente sur mon corps et qu’elles ne m’ont jamais permis de m’offrir une villa dans l’arrière-pays provençal. Ma période chinoise a été suivie d’une période féerique, qui m’a laissé une farandole d’elfes à poil dans le dos, puis d’une période cabalistiq­ue durant laquelle je me faisais tatouer des oiseaux et des constellat­ions et des chiffres magiques. Comme je commençais à ressembler à une grille de Loto et mon oiseau à un nugget, je l’ai fait effacer au laser, ce qui fait dix fois plus mal, au corps et au portefeuil­le, qu’un tatouage. Ça m’a servi de leçon : j’ai commencé à réfléchir avant de me faire tatouer, et la qualité de mes peintures corporelle­s s’est considérab­lement améliorée depuis une dizaine d’années. Du coup, j’arrive encore moins à m’arrêter : les tatouages, c’est comme la mousse au chocolat, je trouve toujours une place. Les patchworks de motifs qui couvrent désormais mon dos et mes bras me valent souvent cette question : « Mais t’as pas peur que ce soit moche quand tu seras vieille ? » Très franchemen­t, je me fiche que mon corps cesse définitive­ment de correspond­re un jour aux standards esthétique­s car il n’a jamais eu vocation à décorer l’espace public. Et surtout, ces tatouages plus ou moins réussis sont les empreintes de ma singularit­é dont j’ai décidé qu’elle ne serait jamais moche, ni aujourd’hui ni quand j’aurai plus de plis sur le corps qu’une robe de haute couture.

«Mais qu’est-ce qui t’a pris?!?»

« T’as pas peur que ce soit moche quand tu seras vieille ? »

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